Emploi: l’effet d’annonce à l’épreuve du réel

Revue de presseLe gouvernement marocain lance une feuille de route ambitieuse de 15 milliards de dirhams pour faire reculer le chômage à 9%, d’ici 2030. Un objectif louable, pour lequel Fatima Zahra Ouriaghli souligne que les projections économiques sont trop optimistes, au vu de la conjoncture actuelle. Cet article est une revue de presse tirée du dernier éditorial de Finances News Hebdo.

Le 08/04/2025 à 19h18

Le gouvernement marocain vient de lever le voile sur une feuille de route ambitieuse pour relancer l’emploi, avec un budget de 15 milliards de dirhams.

Objectif affiché: faire baisser le taux de chômage de 13,3% en 2024 à 9% à l’horizon 2030. Une initiative saluée pour sa portée politique, mais qui soulève aussi des interrogations sur sa faisabilité.

«Quinze milliards de dirhams. Un chiffre qui claque», commente Fatima Zahra Ouriaghli, directrice de Finances News Hebdo, dans son dernier éditorial.

«Un chiffre qui traduit une volonté politique: celle de s’attaquer au monstre du chômage», écrit-elle.

Derrière cette enveloppe financière, un plan en trois volets: 12 milliards de dirhams pour stimuler l’investissement, 2 milliards pour rendre les programmes d’emploi plus efficaces, et 1 milliard pour soutenir le monde rural, particulièrement touché par les crises.

Mais le timing pose problème. Le pays fait face à une conjoncture économique difficile: «le Royaume traverse une zone de turbulences climatiques et économiques», rappelle Ouriaghli.

Entre autres, «six années de sécheresse. Une croissance molle qui tourne autour de 3,5%. Une agriculture exsangue, et une économie qui peine à digérer les crises internationales à répétition».

Dans ce contexte, l’objectif de créer 1,45 million d’emplois d’ici 2030 paraît, sur le papier, ambitieux. Mais dans les faits? «C’est plus compliqué. Car la réalité a un vilain défaut: elle est têtue».

Le Policy Center for the New South a passé au crible les scénarios de la feuille de route. Pour atteindre les 9% de chômage en 2029, une croissance de 7,9% par an serait nécessaire.

«Rien que ça! Or, avec les moteurs actuels de l’économie, on plafonne péniblement à 3,5%. Ce scénario frôle donc l’utopie», analyse Ouriaghli.

Un scénario plus réaliste, fondé sur une croissance moyenne de 4%, permettrait de ramener le chômage à un niveau «plus supportable», mais sans atteindre les 9% visés.

«Ce scénario, plus modeste, reflète sans doute mieux les capacités réelles du tissu économique national», estime-t-elle.

Quant au scénario le plus optimiste –une croissance de 10,4% par an– il est qualifié de «vœu pieux» par la directrice de la publication, en l’absence de «transformation radicale du modèle productif».

Pour Ouriaghli, la clé réside dans un changement structurel.

«Pour créer 1,45 million d’emplois, il faut repenser en profondeur le modèle économique, dynamiser les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, flexibiliser le marché du travail et, surtout, relever l’élasticité emploi-croissance, actuellement à 0,23 selon le PCNS», écrit-elle.

En clair, chaque point de croissance du PIB ne génère que 0,23 point d’emploi. Bien trop peu, pour espérer une vraie relance.

La réforme du marché du travail est incontournable, estime Ouriaghli, même si elle reste «coincée entre la frilosité politique et les pressions syndicales».

Elle déplore les rigidités actuelles en matière d’embauche, de licenciement et de fiscalité du travail. «Elles découragent bien des entrepreneurs. Et sans un secteur privé vigoureux, toutes les feuilles de route seront réduites à une simple clause de style».

Pour autant, Ouriaghli ne rejette pas la feuille de route gouvernementale: «Faut-il la jeter aux orties? Certainement pas. Elle a le mérite d’exister, d’agréger des pistes pertinentes et de mobiliser un budget significatif», commente-t-elle.

Mais, elle insiste: «Pour qu’elle ne reste pas une belle vitrine, elle devra impulser une transformation économique majeure et surmonter des inerties bien connues: lenteurs administratives, cloisonnement des politiques publiques, faiblesse de la coordination entre les acteurs…».

Par Lamia Elouali
Le 08/04/2025 à 19h18