La lettre arabe Bâ correspond à la deuxième lettre de nombreux abjads sémitiques qui l’appellent Bet donnant, de là, Bêta en grec et le B de l’alphabet latin auprès de son équivalent cyrillique.
Son héritage lointain serait à chercher dans le système graphique phénicien et, avant cela, probablement du côté de l’alphabet protocananéen et protosinaïtique dont certains caractères auraient pour prototypes les hiéroglyphes.
Avant son évolution progressive et sa fixation définitive, la valeur phonétique de la lettre b était initialement rendue par un signe sous forme de carré ou de rectangle ouverts, induisant l’idée d’un objet contenant, assimilé en cela à une maison stylisée.
Suivant cette logique, le son consonantique correspond à la première lettre de l’objet figuré. La lettre g était ainsi représentée par un chameau (gamal), le n par un poisson (noun), le b par un pictogramme suggérant une maison, qui est appelée bīt en akkadien, Bet en chaldéo-araméen, en phénicien, en arabe, en hébreu, en syriaque…
Ce lexème sémitique, assimilé à la maison ou au temple, étendu à ceux qui y demeurent (famille, clan, tribu….), entre dans la composition de plusieurs noms de lieux dont on peut citer Bethléem, Beit Lahia ou Beit Hanoun.
Même en dehors du Proche-Orient, ses traces sont vivaces dans la toponymie, ainsi que l’affirment des auteurs de la stature du juriste Jacques Azaïs (fondateur de la Société archéologique de Béziers) avec, entre autres exemples, les grottes de Bétharram dans les Pyrénées et, selon la même étymologie, avec l’antique ville de Bettara, devenue Béziers.
«Comme la cité, comme le temple, la maison est au centre du monde, elle est l’image de l’univers», lit-on dans le «Dictionnaire des symboles».
Bet devient l’archétype de toutes les maisons, qu’elles soient physiques ou spirituelles avec leur symbolisme cosmique.
D’où le mot bétyle, dérivé des mots sémitiques beth-el, pierres sacrées, littéralement «demeures de Dieu», considérées comme le symbole de sa présence et le réceptacle de sa puissance.
Qu’on se rappelle l’épisode biblique durant lequel Jacob, levé de bon matin, avait pris la pierre qui lui avait servi de chevet: «Il la dressa comme une stèle et répandit de l’huile sur son sommet. À ce lieu, il donna le nom de Béthel….».
Microcosme relié au macrocosme, la maison symbolise aussi, dans une autre mesure, la matrice génitrice et sécurisante avec tout ce qu’elle évoque universellement comme lieu de naissance, de commencements et de régénération spirituelle.
En arabe, la graphie de la lettre Ba est conçue comme un arc en cercle ou comme ce qui a été qualifié d’«Alif étendu».
Si l’alif, première lettre du nom suprême d’Allah, symbolise le Créateur et indique par sa forme scripturale arabe l’unicité et la transcendance, la lettre bâ est celle par laquelle commence l’Ecriture.
C’est par elle que s’ouvre le Coran, en introduction à Sourate al-Fatiha, Prologue du Livre et pilier de la prière qui ne peut se faire sans elle.
Impossible de ne pas rappeler dans ce cadre, comme l’avait fait le grand maître, Cheikh al-akbar, Muhyi al-dine Ibn ‘Arabi dans ses «Futuhat al-Makkiya» (Illuminations mecquoises), que la lettre b est la première lettre du premier mot du premier livre de la Torah, qui commence par «Bereshit» (Au commencement).
Dans la pensée islamique, la symbolique du Bâ est naturellement rattachée à la Basmala (invocation du nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux «Bism Allah ar-Rahmane Rahim»), ouvrant toutes les sourates à l’exception de celle de la Tawbah («Le Repentir», qui commence tout de même par un Bâ) avec des divergences sur son statut exact et sur son mode de prononciation, à voix basse ou à voix haute, selon les avis des différentes écoles jurisprudentielles.
La Basmala est par ailleurs mentionnée plusieurs fois par jour, inaugurant, au nom de Dieu, les actes à entreprendre, depuis les plus anodins aux plus dignes d’importance.
Une tradition attribue à Ali ibn Abi Talib ces paroles selon lesquelles l’ensemble du Coran serait contenu dans la première sourate, la première sourate contenue dans la basmala, la basmala dans la lettre bâ et le bâ dans le point diacritique.
Ce point en vient même à exprimer la perfection de la réalisation spirituelle illustrée par l’expression: «Je suis le point sous le bâ».
C’est dire la valeur de cette lettre qui totaliserait, d’après certaines doctrines ésotériques, tout ce qu’il y a dans le Coran et renfermerait le secret de la Connaissance.
Son point à lui seul est un océan de symboles marquant, dans plusieurs cultures, le germe de la manifestation et le début de l’existence.
C’est la «habba», poussière primordiale, évoquée par Sahl ibn ‘Abd-Allāh Tustarī dans son «Epitre sur les lettres» (Risālat al-ḥurūf) venant nous rappeler la pensée gnostique selon laquelle les lettres auraient précédé la création du cosmos par la matérialisation de la parole divine: «Koun!» (Sois!) en référence au verset du Livre Sacré:
- «Quand Il décide d’une chose, Il dit seulement : «Sois!» et elle est».
Par ailleurs, selon un Hadith rapporté par Abou-Dawoud et, dans une forme voisine, par Al-Tirmidhi, la première chose que Dieu a créée est le Calame auquel Il demanda d’écrire.
- «Que dois-je écrire?», demanda le calame.
- «Ecris les destinées de toute chose jusqu’au jour de la résurrection!».
La première chose que le calame aurait transcrit sur la Tablette Préservée, poursuivent d’autres récits, serait le point.
Ne serait-ce pas là une figuration, pour reprendre la formule de la Bible, du «Premier atome de la poussière du monde»?