Jusqu’à quand l’Algérie va persister à faire comme si l’Histoire n’existait pas, à ignorer son poids, emprisonnant un écrivain comme Boualem Sansal, âgé de 75 ans, simplement parce qu’il a osé évoquer les frontières maroco-algériennes telles qu’elles existaient avant la colonisation française?
Jusqu’à quand des historiens comme Benjamin Stora qui a fait sien l’aveu colonial d’Albert Camus: «Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice» (la “mère” est entendue comme l’Algérie que Stora protège, NDLR)», vont simuler une expertise sur les plateaux de télévision? Ils démontrent avec une désarmante assurance, leur ignorance abyssale, leur méconnaissance coupable des archives françaises qui documentent pourtant avec rigueur les tracés frontaliers algériens au 19ème siècle.
Cette réalité trouve une illustration emblématique dans la fameuse carte du Traité de Lalla Maghnia (1845), communément appelée la «Carte du duc d’Isly», que nous présentons aujourd’hui.
Dressée la même année du traité par l’état-major français, cette carte rendait hommage à Thomas Robert Bugeaud, duc d’Isly, le général qui avait infligé une défaite au Maroc lors de la bataille d’Isly en août 1844. Ce revers militaire, suivi de la signature du Traité de Lalla Maghnia, imposa au Royaume chérifien de renoncer à d’importants pans de son territoire au Nord-Est, définissant une frontière inégale sous la menace de représailles. Elle intervient également, rappelons-le, neuf ans après l’invasion par la France de Tlemcen en 1836 et le retrait définitif de l’administration et de l’armée marocaines de cette ville.
De Tindouf à Gourara, des territoires sous autorité marocaine
En dépit du fait que cette carte soit établie après la défaite militaire du Maroc face à la France et qu’elle annexe des territoires marocains comme butin de guerre, elle n’ampute pas le Royaume du Maroc de son flanc oriental. Véritable document historique, elle illustre avec précision trois catégories de territoires dans la partie Est du Maroc. Et notamment ceux qui ont déjà été spoliés et sont tombés entre les mains de l’Algérie française, et ceux qui relèvent encore de l’autorité du Sultan du Maroc, et que le duc d’Isly convoite de conquérir les années suivantes. Une véritable feuille de route expansionniste.
Les tracés, détaillés par des codes de couleur dans la légende, sont sans équivoque:
- En ligne rouge: «Les limites des frontières du Maroc» telles qu’imposées par la France à travers le Traité de Lalla Maghnia en 1845, qui fixa des délimitations strictes, marquant une perte territoriale majeure pour le Royaume chérifien. Ces frontières ne résultaient pas d’un processus naturel ou consensuel, mais bien d’une décision unilatérale dictée par la puissance coloniale.
- En ligne violet: «Les circonscriptions organisées par le gouvernement et où le pouvoir s’exerce au nom de la France». Cette catégorie reflète les zones de contrôle direct où l’autorité française était fermement établie, symbolisant l’expansion progressive de l’administration coloniale sur des territoires qu’elle considérait déjà comme sous sa souveraineté.
- En ligne orange: «Les circonscriptions de l’intérieur où notre pouvoir n’a pas encore d’action». Cette mention met en évidence les zones encore hors d’atteinte de l’administration française, mais clairement identifiées comme des espaces marocains à conquérir, révélant les ambitions territoriales futures de l’empire colonial.
Les zones en couleur orange sur la carte, qui nous intéressent ici, appartiennent au Maroc. Elles vont être progressivement intégrées dans les territoires administrés par la France, puis laissées en héritage à l’Algérie post-indépendance. Ces zones incluent la grande région du Touat, au sud-est du pays, appelée aujourd’hui le Sahara oriental et perdue par le Royaume, un ensemble de villes administré par des gouverneurs marocains nommés par les Sultans durant quatre siècles, jusqu’à l’année 1900: Tindouf, Timimoun, Tidikelt, Gourara, Aoulef, Adrar, In Salah, Reggane, Fenoughil, Tamentit, etc. Historiquement, ces ksour étaient des points d’ancrage pour les échanges entre le Maroc et le Sahara, avec des routes commerciales traversant le Touat pour relier les grandes villes marocaines comme Marrakech ou Fès aux centres économiques et culturels de l’Afrique de l’Ouest.
L’Histoire impose ses vérités et ses réalités sont ineffaçables
L’Histoire des frontières maroco-algériennes dépasse de loin le cadre d’un simple débat géographique. Elle est une plaie ouverte, un héritage historique refoulé par l’Algérie moderne qui persiste à entretenir un récit officiel fictif, effaçant des vérités bien documentées. Ce déni, en apparence solide, repose sur un mensonge précaire qui, tôt ou tard, finira par éclater sous le poids des faits historiques, nourrissant en attendant tensions, frustrations et démagogies.
Pourtant, les preuves abondent. Des archives françaises, des cartes militaires détaillées et des témoignages d’historiens incontestables… Il faut être aveugle pour les rater! Ou de mauvaise foi… Parmi ces documents, la carte du Traité de Lalla Maghnia de 1845 reste emblématique, car elle symbolise la prise par le duc d’Isly du Nord-Est du Maroc jusqu’à la frontière actuelle de Oujda, et désigne les zones du Sud-Est à conquérir pour l’Algérie française.
Mais ces vérités restent enfouies, muselées sous un silence calculé, orchestré par des autorités soucieuses de maintenir une vision biaisée du passé. Ce silence complice s’appuie sur la passivité –ou la désinvolture– de certains intellectuels et historiens, en Algérie comme en France, qui préfèrent contourner ces sujets sensibles plutôt que de braver les polémiques. Il est vrai que les historiens risquent gros en Algérie, comme l’écrivain Boualem Sansal embastillé et dont on est sans nouvelle depuis plusieurs jours.
La question devient alors inévitable: jusqu’à quand ce déni historique pourra-t-il tenir? Combien de temps l’Histoire sera-t-elle tenue en otage, réduite au silence dans le Maghreb, avant que l’on accepte d’affronter en Algérie cette réalité? À mesure que les preuves émergent, l’édifice du «Système» se fissure, craquèle, vacille… Car l’Histoire, implacable et têtue, ne peut être effacée.
Face à l’arrestation de Boualem Sansal, les penseurs et historiens, en France et ailleurs, doivent se demander s’ils resteront des spectateurs devant le drame qui se noue, ou s’ils oseront enfin prendre la parole pour rendre à l’Histoire ses vérités, aussi dérangeantes soient-elles.