Le 21 août dernier, la vidéo de l'agression sexuelle d'une jeune fille, dans un bus à Casablanca, devant des passagers inactifs et indifférents, était rapidement devenue virale. Choc, indignation, horreur, colère... Les Marocains, ou plutôt ceux d’entre eux qui s’étaient exprimés, étaient passés par toute cette palette de réactions. Quelques jours plus tard, la sociologue Soumaya Naâmane Guessous avait déclaré à un confrère: «Il faut que les parents apprennent à leurs enfants à comprendre leur corps, à le protéger, à le maîtriser, et aux garçons à respecter le corps de la femme». Cette affaire pose donc avec acuité la question de l'éducation sexuelle.
Pour Chafik Chraïbi, professeur de gynécologie et président de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin, le manque d’éducation sexuelle a «des conséquences dramatiques: viol, inceste, zoophilie, avortements clandestins, violences contre les femmes...Plus c'est tabou, plus les conséquences sont désastreuses». Et de fait. La sexualité demeure une question taboue au sein de la famille. A l’école, elle est abordée sous l'angle étriqué de l'appareil reproductif et des MST (maladies sexuellement transmissibles, dont le sida).
Qu’en est-il des médias audiovisuels qui assument en principe les quatre fonctions classiques de service public: informer, divertir, cultiver et éduquer les téléspectateurs/auditeurs? L’unique média audiovisuel qui proposait une émission d’éducation sexuelle n’était ni une télévision ni une radio publique, mais une radio privée musicale: Hit Radio.
Pendant près de six ans (de 2012 à 2017), Samad Cherkaoui Benalla, alias Doc Samad, a animé «On t’écoute» sur cette radio, dans un langage qui pouvait souvent irriter les sages de la Haca (Haute autorité de la communication audiovisuelle). Cette émission était diffusée cinq fois par semaine du dimanche au jeudi, de 23 heures à minuit. Malheureusement, à la veille de la rentrée, la radio a fait savoir qu’elle y mettait fin. Et le 29 août 2017, Doc Samad a annoncé la fin de sa collaboration avec Hit Radio.
Depuis lors, il a fallu se tourner du côté du web marocain pour trouver des émissions d’éducation sexuelle. Nous en présenterons ici les trois plus emblématiques: «Doc Samad t’écoute», «Sex’Pertise» et les web-séries du créatif et original réalisateur marocain Hicham Lasri.
Doc Samad, lauréat de la Faculté de médecine de Rabat et d’Oxford University (psychothérapie et sexologie) n’a pas chômé depuis son départ d'Hit Radio. Depuis le mois de septembre, il anime «Doc Samad t’écoute» en Youtube Live, du lundi au jeudi à partir de 22 heures (pendant 20 à 30 minutes). Comme il n’est pas uniquement sexologue, mais aussi psychothérapeute, cette émission de Doc Samad sur le web n’est que partiellement consacrée à l’éducation sexuelle, et dans un sens assez restreint: «Je lutte, affirme-t-il, pour éduquer à la santé sexuelle et reproductive, car il s’agit d’un bien-être physique et mental avant d'être une identité ou une orientation». Ce pionnier médiatique de l’éducation sexuelle entoure de mystère ses projets d’avenir en la matière: «J’ai deux grands chantiers nationaux et internationaux en boîte, mais je n’en dis pas plus pour le moment».
Quant à «Sex’Pertise», c’est l’émission d’éducation sexuelle la plus aboutie sur le web marocain. Elle est animée par deux journalistes, Rania Lâabid et Kabiro Bhyer. Elle est produite et diffusée par le site d’information «le360.ma». Chaque édition, d’une durée de 12 à 26 minutes, est consacrée à un sujet unique. La première édition date du 20 juillet 2017. Au début, l’émission avait une fréquence hebdomadaire, mais elle est passée, dans un souci de qualité, à une fréquence bimensuelle. L’émission se compose de trois moments: une introduction pour présenter le sujet de l’édition, un micro-trottoir sans voile et la parole donnée à un expert (sexologue, sociologue, médecin, théologien…).
Dans une société encore très conservatrice, il faut du courage à la jeune présentatrice pour animer une telle émission. Rania Lâabid témoigne: «J’ai immédiatement accepté l’idée en sachant évidemment que je m’exposais à des risques. Oui. Je reçois souvent des insultes. J’ai même reçu des menaces du genre: "Il faut la violer celle-là". Et ça ne vient pas forcément des milieux religieux extrémistes! Quand je regarde les profils des internautes qui profèrent des insultes, il s’agit plutôt de jeunes qui ont l’air "cool" et "branché"…C’est ça qui est terrifiant».
Il faut reconnaître que les sujets abordés ne sont pas anodins: la masturbation, l’éjaculation précoce, l’orgasme féminin, la zoophilie, où finit la drague et où commence le harcèlement, les agressions sexuelles…
Enfin, quant au travail du réalisateur Hicham Lasri, il ne s’agit pas à proprement parler d’émission, mais plutôt de web-séries et de capsules originales, très créatives et à l’humour décalé. On peut en citer trois ici: «Leklam hachakoum», une web-série d’éducation sexuelle au langage très imagé et présentée par l’actrice Fayrouz Amiri; les capsules (moins de deux minutes) «Hta hna bnadem», aux scénarios et images battant en brèche des stéréotypes sexistes, présentés par l’actrice Nisrine Adam et la web-série «Bissara overdose» présentée par l’actrice Fedwa Taleb, alias «Kathy». D’ailleurs, l’épisode 2 de cette web-série a remporté le prix du «Maroc Web Award» 2017 dans la catégorie de la meilleure vidéo en ligne.
Pour résumer l’essence du travail d'Hicham Lasri, citons ce passage d’une interview récente publiée sur «Mondafrique»: «Mon boulot n’est pas de me faire comprendre, mais de transmettre des émotions».
Trois approches s’offrent ainsi au lecteur: une approche d’expert, celle du sexologue Doc Samad; une approche didactique: «Sex’Pertise» et une approche décalée et humoristique, celle d'Hicham Lasri.
En 2016, en France, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes proposait la définition suivante de l’éducation à la sexualité: «C’est une manière d’aborder l’enseignement de la sexualité et des relations interpersonnelles qui soit fondée sur l’égalité des sexes et des sexualités, adaptée à l’âge, basée sur des informations scientifiques et sans jugement de valeur». C’est cette philosophie d’égalité entre les sexes, à la base de l’éducation à la sexualité, qui provoque l’ire et le rejet des conservateurs et autres extrémistes religieux. Mais mieux vaut allumer une bougie que de maudire les ténèbres.