Shakespeare versus Molière

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ChroniqueA mesure que le fossé se creuse avec la France et les pays de la francophonie, cet intérêt pour la langue anglaise au Maroc évolue vers une autre réflexion qui gagne du terrain, celle de l’entrée du Maroc dans le Commonwealth.

Le 03/10/2021 à 12h59

L’annonce de la diminution du nombre de visas attribués par la France aux ressortissants marocains, mais aussi algériens et tunisiens, porte un coup à la relation qu’entretiennent beaucoup de concitoyens avec ce pays. Un peu comme un amoureux éconduit, qui nourrissait des sentiments à l’égard de quelqu’un qui ne partagerait pas cet amour, on ravale tant bien que mal notre fierté et notre ego meurtris. 

Augmentation des frais d’université pour les étudiants étrangers, difficultés croissantes pour obtenir un visa, non-reconnaissance du vaccin développé par Sinopharm, largement utilisé au Maroc… Autant d’annonces émises sur fond d’une campagne présidentielle où l’islam occupe une place bien trop importante, et se retrouve associé aux thématiques de l’insécurité, du terrorisme et de la question migratoire.

Etre musulman et maghrébin en France revient à vivre une double peine si l’on en croit le traitement médiatique démesuré accordé à cette catégorie de la population française et la violence des propos tenus par des politiques qui n’essaient même plus d’édulcorer leur xénophobie.

On continue pourtant d’aller y étudier pour grossir les rangs des chercheurs, des médecins, des ingénieurs qui mettent leurs compétences au service de la France, plutôt que de faire profiter leur pays de leur matière grise. Normal, nous avons grandi avec ce mythe français, tant vanté par nos parents. Ils nous parlaient de cet ancien colonisateur tantôt avec amour, tantôt avec haine, mais toujours avec passion. Nous avons grandi aussi avec les récits de nos grands-parents, dont certains combattaient dans la résistance. Les armes cachées sous les cagettes de légumes dans l’épicerie familiale, les descentes en pleine nuit des soldats français, l’arrestation de ce grand-père résistant… Autant d’histoires de famille qui ont pétri notre imaginaire et forgé des sentiments assez ambivalents à l’égard de la France.

Pourtant, on utilise la langue française au quotidien, on la retrouve davantage dans les rues, les administrations et les panneaux d’affichage que la langue amazighe, on ne peut accéder à des postes à responsabilité et à une carrière professionnelle que si on la maîtrise, on associe les Marocains qui parlent cette langue à l’élite du pays, et s’agissant de cette élite, elle maîtrise tout autant, voire même plus, que certains Français dits de «pure souche», les classiques de la littérature, du cinéma et de l’art français… Et jusqu’à l’histoire et la politique du pays, pour lesquelles on se passionne parfois davantage que pour celles de notre pays, le Maroc. Si ça, ce n’est pas de l’amour… Mais aveugle et non partagé, faut-il croire.

"Mais aujourd’hui, à quoi bon?", se demande-t-on. N’est-il pas temps de tendre l’oreille aux attentes de la jeunesse marocaine qui, elle, s’inscrit davantage dans une culture anglo-saxonne et réclame la généralisation de l’enseignement de l’anglais, d’ores et déjà proposé pour l’enseignement des matières scientifiques au baccalauréat. Nourries de programmes télévisés anglophones en streaming, les générations Z et Alpha ont déjà fait de l’anglais leur langue de prédilection. Comme une revanche sur leurs aînés, qui déconsidèrent ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Molière, les jeunes Marocains ont créé leurs propres codes dans la langue de Shakespeare. Et à travers l’usage de ces deux langues, on assiste aujourd’hui au creusement d’un fossé entre générations et classes sociales. Reflet d’un Maroc d’hier et de demain, l’usage de la langue étrangère témoigne d’aspirations différentes et de la volonté aussi de tourner le dos à un héritage colonial dont on ne veut plus.

A mesure que le fossé se creuse avec la France et les pays de la francophonie, cet intérêt pour la langue anglaise au Maroc évolue vers une autre réflexion qui gagne du terrain, l’entrée du Maroc dans le Commonwealth. Une question qui mérite d’être explorée à l’heure où de nombreux pays européens, et anciens colonisateurs, font montre d’une diplomatie à double face à l’égard du Maroc et de son intégrité territoriale, pour mieux servir leurs propres intérêts. Après tout, la Grande-Bretagne n’était-elle pas notre premier partenaire économique avant le débarquement des Français en 1912? 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 03/10/2021 à 12h59