La folie des hauteurs

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ChroniqueApposer un label Haute Couture sur un caftan n’a strictement aucun sens, car quand bien même le travail de couture, de broderie ou de perlage serait intégralement réalisé à la main par des artisans, en aucun cas nous ne devrions pouvoir utiliser ce label. C’est tout bonnement un grossier plagiat.

Le 27/03/2022 à 12h01

Haute Couture, haut standing, très haut standing… Chez nous, on aime bien les labels pompeux, les promesses de prestations de luxe qui s’accompagnent de prix tout aussi luxueux. Malheureusement, on ne le sait que trop bien, que ce soit dans l’immobilier ou la mode, ces appellations tape-à-l’œil sont un peu trop souvent à notre goût associées à des coquilles vides, au mieux plaquées or, faisant ainsi du tort au vrai luxe.

Le label «Haute Couture» que s’attribuent ainsi gaiement de nombreux stylistes, créateurs, designers ou couturiers marocains ayant pignon sur rue ou sur web en est la preuve. Et si ce corps de métier mérite tout notre soutien, d’autant plus en cette période de pandémie qui a vu toute une profession sombrer faute de commandes, il n’en demeure pas moins qu’il serait grand temps de faire régner un peu d’ordre au sein du secteur de la mode traditionnelle marocaine.

Mettons-nous d’accord une bonne fois pour toute, quitte à faire grincer des dents et susciter quelques inimitiés –qui aime bien, châtie bien–, au Maroc, comme ailleurs dans le monde, nous ne pouvons pas nous revendiquer d’un label Haute Couture. Parler de mode traditionnelle de luxe ou haut de gamme, oui! Mais de Haute Couture, en aucun cas! La raison en est simple et n’a strictement rien à voir avec un quelconque mépris pour notre savoir-faire ancestral et ô combien unique en son genre. Ce statut que l’on affectionne tant sous nos cieux est en fait strictement et exclusivement parisien –pas français non, parisien– et l’appellation en question est juridiquement protégée depuis un décret datant de 1945 et modifié en 2001.

Ainsi donc, quand nous assistons – de loin pour le commun des mortels– à des défilés de maison Haute Couture, sachez que ceux-ci ne se déroulent qu’à Paris, pas même à New York, Milan ou Londres, pourtant grandes capitales de la mode, où les fashion week présentent des collections de prêt-à-porter haut de gamme. Le statut de Haute Couture, véritable Saint-Graal, est ainsi une appellation protégée par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, réservée aux entreprises figurant sur une liste établie chaque année par une commission.

Et pour décrocher le gros lot, il faut en faire la demande auprès de la chambre syndicale de la couture, rattachée à la Fédération de la Haute Couture et de la mode, et pouvoir répondre à des critères, et pas n’importe lesquels. Les créations doivent être originales, réalisées à la main et dans les ateliers de ladite maison de couture, laquelle doit être composée d’une équipe de vingt personnes au minimum.

La maison qui prétend à ce label prestigieux doit défiler deux fois par an et proposer, lors de chaque défilé, un minimum de 25 modèles, et enfin les postulants doivent être inscrits sur le calendrier officiel des collections Couture depuis au moins quatre ans et, parce que ce n’est pas fini, être en plus parrainés par une autre maison de couture.

Pour les happy few qui entrent dans ce cercle très fermé, tout sera à recommencer l’année suivante. Car figurez-vous que ce label, quand il est attribué, n’est valable que pour une année seulement. C’est vous dire le sens de l’excellence et la régularité dans cette même excellence qu’il faut pouvoir démontrer. A l’image des étoiles attribuées par le Guide Michelin aux restaurateurs, il faut travailler dur pour conserver son titre et ses étoiles. C’est à cette seule et unique condition qu’on peut jouer dans la cour des grands.

Mieux encore, savez-vous combien de maison de mode bénéficient à ce jour de ce prestigieux statut? Quinze… Alexandre Vauthier, Adeline André, Alexis Mabille, Chanel, Christian Dior, Frank Sorbier, Giambattista Valli, Givenchy, Jean-Paul Gaultier, Maison Martin Margiela, Julien Fournié, Maurizio Galante, Stéphane Rolland, Maison Rabih Kayrouz et Schiaparelli.

S’agissant des maisons étrangères qui défilent aussi dans le calendrier de la Haute Couture à Paris, elles ont dû décrocher le sésame de «membre correspondant» ou «membre invité» pour pouvoir le faire. On parle ici par exemple de Giorgio Armani, Valentino, Elie Saab, Ateliers Versace ou encore Fendi Couture...

Alors comment vous dire… Apposer un label Haute Couture sur un caftan n’a strictement aucun sens, car quand bien même le travail de couture, de broderie, de perlage, etc., serait intégralement réalisé à la main par des artisans, en aucun cas nous ne devrions pouvoir utiliser ce label. C’est tout bonnement un grossier plagiat.

Pourquoi ça nous énerve? Parce qu’on entend beaucoup de questionnements sur le pourquoi du comment notre mode marocaine traditionnelle ne parvient pas à bien s’exporter. Mais comment être pris au sérieux dans le circuit de la mode internationale quand on prétend être ce que l’on n’est pas? Quel crédit peuvent bien avoir, en France ou ailleurs dans le monde, nos créateurs, même les plus renommés, si ceux-ci s’attribuent des appellations auxquelles ils n’ont tout simplement pas droit. Pire encore, cette façon de faire jette un discrédit total sur le talent de nos artisans et l’excellence de notre savoir-faire.

Enfin, et c’est là aussi une énoooooorme différence entre la France et le Maroc, si les prix des pièces de Haute Couture atteignent des sommes stratosphériques de l’ordre de dizaines voire de centaines de milliers d’euros par tenue, c’est bien parce qu’on valorise l’artisanat. Le travail des artisans – les brodeurs, les paruriers, les plumassiers, etc.– vaut de l’or sous d’autres cieux car on le hisse au rang de travail d’orfèvre. Ce sont des métiers rares, protégés, reconnus, valorisés auxquels on associe en plus la qualité des matériaux utilisés à commencer par le fil d’or pour les broderies ou encore les pierres précieuses, et non des copies prétendument originales d’une certaine marque commençant par un «Sva» et se terminant par un «ski».

Nous avons pourtant énormément de grands talents au Maroc qui peuvent rivaliser avec les créateurs libanais Zuhair Murad ou Elie Saab. Mais si ces derniers parviennent à s’inscrire sur la scène Haute Couture de la mode parisienne en tant qu’invités, c’est bien parce qu’ils remplissent les critères nécessaires sans se revendiquer d’un titre auquel ils n’ont pas droit.

Si nous voulons briller sous d’autres cieux, commençons donc par mettre de l’ordre et beaucoup de rigueur dans notre façon de faire, en commençant notamment par créer une fédération marocaine de la mode par exemple, laquelle serait chargée d’attribuer un label maroco-marocain prestigieux aux créateurs qui le méritent. Et quitte à faire comme en France, puisque c’est de cela dont on parle, autant s’inspirer de la mission de l’organisation de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, laquelle, rappelons-le, est parvenue, en l’espace de 150 ans, à conférer à Paris un rôle de capitale mondiale de la mode.

Pourquoi ne pas faire de même au Maroc? Ne serait-ce pas là le meilleur moyen de lutter contre la réappropriation culturelle, pour ne pas dire le pillage, dont est victime le patrimoine vestimentaire marocain faute d’une organisation fédératrice qui aurait pour mission de préserver ce patrimoine, de valoriser ses corps de métier, tout en le faisant briller dans le monde sous un label marocain?

Pourquoi ne pas encourager aussi le mécénat pour aider les créateurs talentueux que nous avons? Car comment aider ces talents à émerger et à se structurer sans un coup de pouce financier? C’est tout bonnement impossible.

Si nous n’opérons pas ce changement dans notre état d’esprit en nous rendant compte de nos richesses, de la préciosité de nos artisans, de l’urgence qu’il y a à former une relève, de l’aide dont ont besoin nos créateurs pour se structurer et évoluer, c’est tout un pan de notre patrimoine qui va tout simplement disparaître et être remplacé par une coquille vide. La mode n’est pas qu’une affaire de chiffons et de fashionistas, c’est une part de notre histoire et de notre identité qui peut considérablement tirer le Maroc vers le haut, aussi bien localement que sur la scène internationale.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 27/03/2022 à 12h01