Les restrictions qui accompagnent la pandémie sont en train de changer la donne dans plusieurs domaines. La distribution des rôles au sein de la société et de la famille n’y échappe pas.
Le confinement a agi comme un révélateur d’inégalités au sein du couple et de la famille. Cantonnées à domicile, les femmes dans leur grande majorité ont dû supporter une charge mentale des plus lourdes. Faire abstraction d’une aide ménagère pour grand nombre d’entre elles dans les milieux urbains et s’atteler elles-mêmes à la gestion de leur foyer, de leurs enfants et de leur boulot.
Il a fallu être sur tous les fronts et briller sans relâche, comme un marathon qu’on courrait en mode sprint, car plus que jamais, l’erreur n’était pas permise. Avec ce rythme effréné qu’il a fallu tenir coûte que coûte, beaucoup ont fini sur les rotules, vidées physiquement et psychiquement, échouées de fatigue sur le sable des plages enfin accessibles.
A peine relevée la tête un chouiya de ce semestre éprouvant, nous voici face à la seconde tranche de l’année avec son lot de surprises ô combien désagréables. On se disait qu’on ne pourrait pas encaisser plus que ça mais nous voilà face à un dilemme inhumain pour des parents: choisir entre envoyer son enfant à l’école et l’exposer à des risques, ou le garder à la maison bien au chaud. Derrière cette question qui a tout d’une torture mentale, se cache une autre question tout aussi perverse: travailler ou lâcher son job pour s’occuper de son enfant?
Tout parent en son âme et conscience préfèrerait à coup sûr ne pas mettre en péril la santé de sa progéniture. Mais le fait est que 80% d’entre eux ont opté pour le présentiel selon notre ministre de l’Education. Un chiffre qui étonne mais qui n’est tout compte fait pas si étonnant. Dans ces 80% de parents téméraires, il y a bien entendu ceux qui ne disposent pas des moyens et de l’équipement nécessaire au télé-enseignement, il y a aussi des parents qui souffrent d’analphabétisme et il y a enfin beaucoup de parents contraints par leur travail.
C’est cette troisième catégorie qui nous intéresse ici car au sein des couples et des familles, la question du bien-fondé du travail des femmes recommence à poindre. Après tout, si l’homme travaille et gagne bien sa vie, pourquoi la femme ne resterait-elle pas à la maison pour s’occuper des enfants et de leur éducation? Certes deux salaires valent mieux qu’un, mais après tout en se serrant un peu la ceinture, en revoyant les priorités, en congédiant par exemple la nounou et la femme de ménage, on pourrait très bien s’en sortir. Elles faisaient comment nos grands-mères et nos arrière-grands-mères? «Ah c’était le bon vieux temps et on vivait bien mieux que maintenant après tout», soupirent déjà certains en guettant du coin de l’œil la réaction de leur femme. Ajoutez à ça l’enthousiasme des enfants si contents d’avoir enfin leur maman à temps plein à la maison… Il y a de quoi vous faire chavirer.
Alors on se met à revoir notre copie, envisageant doucement mais sûrement de tourner le dos quelque temps à notre autonomie financière et donc à notre liberté, pour le bien des enfants. Etant entendu que ce choix qui doit être fait aujourd’hui est celui des femmes. Et que la culpabilité qui s’invitera à la table des négociations sera le lot de celles qui choisiront de bosser et d’envoyer leurs enfants à l’école.
Face à cette situation à choix multiples, qui nous impose de cocher des cases en toute froideur, qui nous donne l’impression de marcher dans le noir en funambule, n’oublions pas cependant une chose, nous autres femmes. Nous avons toujours travaillé, que la loi reconnaisse notre travail ou pas, qu’elle nous impose d’avoir l’accord de notre mari ou pas. Et surtout n’oublions pas non plus que dans les moments les plus sombres de l’histoire, quand les hommes partaient en guerre, ce sont les femmes qui faisaient tourner l’économie des pays. Alors, à cette heure sombre de notre histoire contemporaine, il est plus que jamais indispensable de ne pas tourner le dos à nos acquis et à nos droits pour lesquels on se bat et qui dépendent entièrement de notre autonomie financière.
Car au prétexte de s’adapter à une situation, on risque fort de régresser. A l’Etat et au gouvernement de trouver des solutions adaptées. Une loi pour protéger les salariés (et parents) en cas de fermeture des écoles, un cadre pour promouvoir le télé-travail, des aides sociales adaptées et une stratégie économique qui impliquera autant les femmes que les hommes sans risquer de s’écrouler à la fermeture éventuelle des écoles.