D’un côté, il y a Greta. Greta Thunberg. Cette jeune fille venue de Suède devenue le visage d’une jeunesse inquiète pour son avenir, prête à en découdre avec les politiques pour sauver la planète.
Son discours est logique, sensé, rationnel, sans fioritures ni mensonges et pour toutes ces raisons là, il plaît et rassemble.
Elle a 16 ans, elle est à la fleur de l’âge, c’est une jeune fille et pour ces autres raisons-là, on la discrédite.
«Prophétesse en culotte courte», «mini-gourou», «prêtresse de la climato-hystérie», la surnomme-t-on quand on ne la réduit pas seulement à son sexe comme dans le cas de Bernard Pivot qui persiste et signe en tweetant: «dans ma génération, les garçons recherchaient les petites Suédoises qui avaient la réputation d’être moins coincées que les petites Françaises. J’imagine notre étonnement, notre trouille, si nous avions approché une Greta Thunberg...»
Son regard froid, distant, implacable, trouble et bouscule les égos masculins et alimente les foyers de haine. Et pour cause, Greta Thunberg ne correspond pas du tout à l’image de l’adolescente ni de la femme véhiculée par la société. Elle ne s’inscrit ni dans la douceur, ni dans la séduction, ni dans la faiblesse.
Elle est l’antithèse de Lolita, créée par Vladimir Nabokov, qui a fait fantasmer les hommes.
Quand on ne la réduit pas à sa situation sociale, à son âge ou à son sexe, c’est au syndrome d’Asperger dont elle souffre que l’on s’attaque. Cette «autiste», «folle», «hystérique», a tout d’une illuminée qui se fait dicter ses discours véhéments par un pouvoir de l’ombre.
De l’autre côté, il y a Leila. Leila Slimani. Elle a 38 ans. Elle est franco-marocaine, écrivaine et son cheval de bataille à elle, c’est les libertés individuelles au Maroc, et plus particulièrement, la liberté de disposer de son corps. Avec Sonia Terrab, autre jeune femme marocaine, elles ont publié un manifeste dans les colonnes du Monde, le journal français, pour dénoncer l’hypocrisie de la société marocaine.
Elle est cultivée, intelligente, brillante, influente, talentueuse et connectée. Pour toutes ces raisons-là, sa parole porte et fait mouche.
Mais Leila est aussi une «hors-la-loi» comme elle le revendique elle-même, et selon ses détracteurs, elle est aussi une «hors de la société» et à ce titre, ferait donc mieux de se taire.
Après tout, elle n’est pas vraiment marocaine, elle dont la mère est française. De quel droit prend-elle la tête d’un mouvement citoyen marocain ? Elle, cette bourgeoise de Rabat qui vit à Paris.
Pire encore, preuve qu’elle est à la solde d’un pouvoir de l’ombre, elle écrit dans un journal français pour dénoncer des lois marocaines. «Vendue!». C’est ainsi qu’on la voit Leila, quand elle met dans une lumière aveuglante un sujet qui fait mal aux hommes.
Tout comme Greta, Leila ne respecte pas l’image de la femme qu’on tente de lui coller, de nous coller à toutes, et impose au monde l’idée qu’une femme, c’est un esprit libre dans un corps libre.
Pour toutes ces raisons là, tout comme Greta, Leila dérange. Epousant une cause différente, mais tout aussi importante, elle se cogne de la même manière aux partisans de l’inertie à qui le changement fait peur.
Greta et Leila sont des sorcières des temps modernes et il y a fort à parier qu’au Moyen Age, pour toutes ces raisons là, on aurait tôt fait de les envoyer au bûcher. C’est ainsi qu’on réduisait au silence les femmes libres, extraverties, émancipées.
Aujourd’hui, ce bûcher qui rassurait les foules et catalysait la peur de la différence et du changement est remplacé par les réseaux sociaux, où tout un chacun, pour peu qu’il soit connecté, peut craquer une allumette et faire cramer qui bon lui semble.