C’est l’un des grands tabous dans les entreprises: le «pistonné», ou bak sahbi («ton père est mon ami»). Je n’y ai pas vraiment échappé, et cela le fut toujours à mon corps défendant. Au moment de mon embauche par l’une des entreprises qui m’a employée, et bien que je n’avais absolument rien demandé, un coup de fil «providentiel» avait atterri sur le téléphone de mon ancien patron.
L’intention était louable, mais le procédé est retors. Les «pistonnés» sont légion dans les entreprises. Ce qui les distingue? Une certaine morgue, assortie d’une assurance totale, bien souvent accompagnée d’une incompétence avérée.
Je me souviens… Un entretien d’embauche, dans une grande entreprise, au Maroc, voici quelques années. Je remplissais tous les critères. Le premier entretien s’était très bien déroulé, mais voilà: au second, patatras, on me mit face à un psychopathe dont la mission était de me désarçonner. Ce qu’il réussit à faire, au bout d’un petit laps de temps. Les apparences étaient sauves, je ne fus pas embauchée à ce poste, que j’appelais pourtant de mes vœux.
J’appris plus tard que le poste était revenu à un flane, ould flane, un «untel, fils d’untel», dont les relations et l’entregent étaient autrement plus importants que celles que j’aurais pu avoir.
Voici ce qui nous bride, ce qui nous plombe, ce qui nous empêche d’avancer: ces confortables salaires versés à des filles et des fils à papa, une rente, en quelque sorte, contre leur présence physique au sein d’une structure qu’ils ne font que plomber, la plupart du temps.
Le procédé, pour dégoûtant qu’il soit, ne laissant que peu de place au mérite, est universel. Partout dans le monde, vous avez des «pistonnés». Ils sont la lie des entreprises, personne n’ose leur parler de leurs manquements. Parce que bak sahbi. Mais il faut reconnaître qu’il y a, toutefois, des domaines d’action dans lesquels il est impossible de mentir sur ce que l’on sait faire, sur ses compétences.
Quant à ma petite personne, je n’ai eu aucun scrupule à couper court, dernièrement, avec l’auteur de ce «coup de fil providentiel» à mon ancien boss. Le «bloquer» sur les réseaux sociaux, ne pas répondre, dans une totale impolitesse, à ses messages. Je l’ai fait, avec beaucoup de bonheur et un certain sens du sadisme.
Il faut reconnaître que se «faire recommander», même si on ne l'a pas demandé, c'est un coup porté à votre dignité. Comme si vous n'étiez pas capable, de vous-même, de prouver ce que vous avez dans le ventre, vos capacités, votre force à produire du sens pour cette entreprise qui vous a embauché, sur la base de savoirs et de compétences. Les pistonnés, bien qu'ils s'en défendront, sont, de fait, des personnes humiliées.
Je suis aujourd’hui en roue libre, non «recommandée», et j’en suis soulagée. Mieux encore, je m’en fiche: je travaille, dur, et du mieux que je le peux.
Quant à une solution sur cette maladie sociétale qu’est le coup de piston… Je ne l’ai pas. La dénonciation me semble être la seule issue. Mais c’est dur, que de s’attaquer à des puissants. Le jeu en vaut pourtant la chandelle: c’est ainsi, et pas autrement, que nous pourrons avancer. Au mérite.