Chaque ministre du gouvernement a le droit de choisir un nombre déterminé de collaborateurs pour le seconder dans les tâches dévolues au département dont il a la charge : direction administrative, impulsion et de mise en œuvre de la politique gouvernementale. Ces collaborateurs forment le cabinet du ministre, dirigé par un «chef de cabinet».
Leur mission commence en même temps que celle du ministre et se termine avec elle. Pour un membre du cabinet, il n’y a pas de conditions particulières de diplomation, ni d’appartenance à un corps spécifique: il peut être emprunté de l’administration ou venir du privé.
La tradition politique au Maroc, reflétée dans la législation, n’accorde pas un statut matériel ou de prestige particulier aux membres des cabinets ministériels. Invités à la discrétion et disposant d’une rétribution modeste, ce qui exclut de facto le recrutement de profils pointus, ils sont considérés comme de simples collaborateurs du ministre qui a la charge de leur recrutement.
Le ministre, sous la double contrainte de salaires alloués pour cette fonction modiques et de demandes insistantes de proches (famille, parti), fini la plupart du temps par «sacrifier» la compétence pour la proximité. Compromettant de la sorte le rôle essentiel que doit jouer un cabinet ministériel dans l’amélioration de la gouvernance de son département.
Amélioration de la gouvernance, qui revient depuis des lustres dans les rapports de la Banque mondiale, relayés par les cabinets conseils étrangers, qui pointent l’incapacité de nos gouvernements successifs à mettre correctement en application les réformes prônées pour la modernisation du pays, leur inaptitude, toujours persistante, à définir et exécuter les plans opérationnels en ligne avec la vision royale et les stratégies qui s’en suivent, faute d’un partage clair des responsabilités entre les acteurs de la politique publique.
Le débat n’est pas encore tranché. A qui devrait revenir la définition, une fois les stratégies validées, des plans d’action et leur ordonnancement (planification, budgétisation et échéancier) ? Est-ce à l’administration, aux cabinets conseils, à l’exécutif ? Avant d’exposer les arguments qui militent pour un renforcement du rôle des cabinets ministériels dans la conduite des réformes, expliquons pourquoi les deux autres options sont à écarter.
L’option de confier à l’administration seule cette mission est à exclure d’emblée. Au-delà du manque de compétences appropriées, il y a le risque qu’elle paramètre les composantes de l’ordonnancement en fonction de ses moyens actuels avec lenteurs et résultats minorés assurées. Elle sera, par la force des choses, juge et partie.
Les cabinets conseils offrent plusieurs avantages : profils pointus; expertise; travail de qualité livré dans les délais; recul, gage d’objectivité. Leurs inconvénients sont connus : c’est un livrable, pas toujours adapté au contexte; un travail couteux; le pilotage et le suivi s’ils existent ne sont pas toujours d’une efficacité certaine.
Reste la troisième option que nous privilégions : la prise en charge par l’exécutif ou internalisation de l’élaboration des plans d’action. Il va sans dire que le ministre concerné ne va pas s’atteler à cette tâche seule, il doit en confier l’essentiel à son cabinet. Lequel doit connaître un enrichissement qualitatif et quantitatif de ses ressources humaines.
Commençons par le quantitatif. Un ministre a droit, d’après les textes, quel que soit son portefeuille, à un cabinet composé de cinq conseillers techniques en sus du chef de cabinet. Si pour certains ministères à petit budget cet effectif peut sembler suffisant, c’est loin d’être le cas pour d’autres qui ont des chantiers vastes et diversifiés à gérer. L’ajustement quantitatif s’impose.
Les compétences ont leur prix sur le marché. Prétendre recruter des «conseillers techniques» disposant du profil pour assumer les nouvelles missions d’un cabinet ministériel moderne en gardant l’actuel grille de salaires relève d’une vue de l’esprit.
Quelles seraient ces nouvelles missions, en sus des missions classiques d’un cabinet ministériel? Devenir l’interface réelle entre l’exécutif et l’administration, faire du chef de cabinet l’interlocuteur sur un pied d’égalité du secrétaire général du ministère, ce qui requiert un haut niveau de qualification du premier, confier l’élaboration des plans d’action aux membres techniques du cabinet en collaboration avec les directeurs centraux.
Cette collaboration qui doit avoir comme préalable la non-ingérence des membres du cabinet dans le travail de l’administration, a pour but de faire coller les plans d’action aux réalités, en vue d’une meilleure territorialisation. La crainte de réticences de l’administration est à relativiser. En effet la Constitution de 2011 dans son article 92 en donnant au gouvernement le droit de nommer les directeurs centraux et les secrétaires généraux des ministères, prérogative qui a été largement utilisée, a contribué à calmer les esprits dans l’administration.
Une fois le plan d’action défini à partir des orientations stratégiques, il appartient au cabinet du ministre d’assurer le pilotage, tracer le périmètre des compétences des acteurs, faire le suivi stratégique et administratif, assurer la veille, le reporting, le respect de l’échéancier et l’utilisation optimale du budget.
Le cabinet peut aussi jouer un rôle plus actif: en assurant le soutien du plan d’action quitte à mobiliser de nouvelles ressources financières ou humaines, le ministre doit être mis à contribution, en multipliant les leviers contribuants à sa réussite. Bref le cabinet doit s’inspirer de la démarche d’un chef de projet dans le management moderne.
Seule la troisième option, on l’aura compris, est de nature à assurer une amélioration de la gouvernance et peut justifier la responsabilité pleine et entière de l’exécutif sur les résultats obtenus. Le présent éclairage peut sembler quelque peu technique à certains lecteurs. Il a été rédigé par votre serviteur pour rassurer, comme je l’espère, d’autres lecteurs, inquiets sur notre capacité à descendre d’une vue à 10.000 mètres d’altitude, à 5000 mètres, voire à atterrir. Comme Le360 pratique cet exercice au quotidien, la tâche s’est trouvée facilitée.