Nos élus méprisent-ils la culture?

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.. KF Corporate

ChroniqueHeureusement que le public fassi a été à la hauteur, lui. Nous avons rarement rencontré autant de gens sympathiques, amicaux, intéressés par les livres et la lecture, souvent accompagnés par leurs enfants.

Le 05/10/2022 à 11h00

«Ils sont venus, ils sont tous là» chantait Charles Aznavour en 1963, dans La mamma. On aurait tant aimé reprendre en chœur ce refrain le week-end dernier, à Fès, à l’occasion du festival Littératures itinérantes, organisé par l'association du même nom avec Najat Vallaud-Belkacem comme marraine. Hélas, si les écrivains, les poètes, les artistes et le public sont effectivement venus, ce ne fut pas le cas des élus locaux ni des autorités, comme on dit.

Depuis 1996 et la parution de mon premier roman, j’ai pris part à une bonne centaine de festivals littéraires dans le monde entier. Qu’ils soient réputés ou confidentiels, qu’ils se tiennent à Rome ou Paris, dans un village haut perché dans les Abruzzes ou dans un fjord norvégien, on pouvait compter sur une constante immuable (pardon pour le pléonasme): la visite du maire. Passant de table en table, serrant la main de chaque auteur, feuilletant les livres, en achetant quelques-uns, il ne manquait jamais à l’appel. Les autres édiles faisaient également acte de présence, soit par goût personnel (il n’est pas interdit d’aimer la littérature quand on fait de la politique), soit par devoir, soit par opportunisme électoral –une photo avec une gloire littéraire fait toujours bel effet dans la presse locale.

À Fès, le conseil municipal a brillé par son absence. Sauf erreur –et si j’en commets une, je m’en excuse d’avance– aucun élu n’a jugé bon de venir faire un tour dans la salle où se tinrent de très intéressantes conférences ni au jardin Jnane Sbil où nous faisions nos dédicaces. Ce jardin, créé au XVIIIe siècle par le sultan Moulay Abdallah, est pourtant splendide et il faisait très beau ce jour-là. Ce n’aurait pas été une corvée de venir y faire un tour, un samedi. Végétation agréable à l’œil, allées ombragées, ambiance bon enfant, que demander de plus?

Vous me dites: c’est peut-être parce qu’on y parlait français? Non: il y avait autant d'invités qui s’exprimaient en arabe: Abdelfattah Kilito, l’Égyptien Youssef Zidane, l’Algérienne Zayneb Laouedj, le Soudanais Abdelaziz Baraka Sakin, le Palestinien Najwan Darwish (qui récita un de ses poèmes), etc.

Vous me dites: le thème du Festival était peut-être délicat, controversé? Non: le thème était «D’une culture à l’autre» et était synonyme d’ouverture, d’échange et de partage avec des auteurs prestigieux représentant, outre notre beau pays, l’Égypte, la Palestine, la Jordanie, la Mauritanie, la France, le Cameroun, le Liban, l’Algérie, la Tunisie, la Turquie, le Soudan et la Côte d’Ivoire. Ne serait-ce que pour cette ouverture au monde, on aurait aimé apercevoir, fût-ce un instant, les représentants officiels de la ville qui abrite la plus ancienne université du monde et qui est censée être la capitale spirituelle du Royaume.

Ne serait-ce que par galanterie, ces messieurs auraient pu venir souhaiter la bienvenue dans leur bonne ville à Asma Lamrabet, Yasmine Chami, Leila Bahsaïn Monnier, Mouna Hachim, Christiane Taubira (ancien ministre, faut-il le rappeler), Véronique Tadjo, Florence Noiville, Hyam Yared la Libanaise, etc.

Heureusement que le public fassi a été à la hauteur, lui. Tous les auteurs en convinrent le soir, au dîner. Nous avons rarement rencontré autant de gens sympathiques, amicaux, intéressés par les livres et la lecture, souvent accompagnés par leurs enfants, également souriants. Si nous avons passé une très belle après-midi samedi dernier, c’est grâce aux Fassis, pas à leurs élus.

Je ne comprends pas. Les élus méprisent-ils la culture?

- Non, soupira un poète local, c’est encore plus grave: ils ne savent pas ce que c’est.

À Fès! À Fès! Les bras m’en tombent.

Par Fouad Laroui
Le 05/10/2022 à 11h00

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Bsr professeur.La culture,la vraie,pour la plupart des élus est la culture de la gamelle.Autrement dit la culture du dirham.Or ces chers élus oublient que c'est par la culture que beaucoup de pays se sont développés;la France par exemple!Le souverain a à maintes reprises rappelé l'importance du patrimoine immatériel de notre pays qui peut être un grand levier socio-économique pour beaucoup.La grande majorité de nos concitoyens se contente des inepties suggérées par les gadgets électroniques:cellulaires et compagnie.La vraie culture est la lecture qui est la clé de tout.Le prophète sidna Mohammed a dit:"La maison où il n'y a pas de dattes est une maison d'affamés."Sur le même modèle,on peut dire:"La demeure où les livres sont absents est une demeure de dirhamistes spirituellement affamés."

Ce n’est pas qu’ils la méprisent, au contraire, ils s’en méfient. Car le pouvoir et la culture ne font pas bon ménage. Quand il s’en mêle, le politique écrit l’Histoire et remodèle la connaissance à sa guise. Il y voit toujours une menace existentielle, surtout quand la plume dépasse la pensée. Mais rassurez-vous, ces élus que vous avez aperçus aux abonnés absents, vous lisent ; à l’instar de Abdelilah Benkirane qui ne tarit pas d’éloges sur ce que vous écrivez.

Le mot culture est tout bonnement banni du lexique de nos élus.

Bonsoir Observer. Une industrie de la culture n'a aucune chance de se développer sans une bonne place dans les médias. Ce sont eux qui la popularisent, sinon elle reste confidentielle. Je me rappelle des émissions de Bernard Pivot qui ont véritablement boosté l'intérêt des Français pour la culture. Cordialement.

Bonjour Madame Samira. Je n'ai avancé qu'une démarche que j'ai vue fonctionner partout où la culture a du succès. J'ai cité l'exemple français parce qu'il est connu de beaucoup de Marocains. Cordialement.

Bonjour Monsieur Omar, Désormais, les medias representent juste la culture in-situ, l'apport culturel n'est que d'une faible utilité dans l'absence de la culture de la culture.Le code de la route n'a vu le jour qu'apres le démarrage de la première voiture sur le terrain.La culture est un besoin et non une fin. Cordialement.

Ils voulaient venir, mais, peut etre qu ils se sont trempés d adresse. Ou, plutôt qu' ils se sont pris par d autres choses plus importantes pour eux.

Très heureuse d'avoir fait votre connaissacne Sii Fouad et d'avoir échangé avec vous de vive voix. Votre passage à Fes( avec les 39 autres) a marqué l'esprit des lectrices et lecteurs et c'est le plus important.Et le politique ne fait que representer la majorité et non la minorité initiée.Toutes les réactions à votre present billet en témoignent et dans une perfection de description et d'analyse. Merci d'avoir repondu présent.

Si seulement Fès était une exception ... La Culture, chez nous, sous (presque) toutes ses formes, est malheureusement encore considérée par beaucoup comme un luxe, un domaine réservé à une certaine catégorie de personnes et, pire que tout, comme un besoin secondaire, inutile, un passe temps pour bobos occidentalisés et désoeuvrés.

Bonjour Si Fouad, Surpris de ne pas avoir vue ces énergumènes pendant votre conférence, la prochaine fois annoncez leurs que le thème de votre conférence est la Aita. Je vous promets d’avoir une rahba d’élus.

C'est que le monde de la culture et des intellectuels manquent d'inspiration et d'esprit entrepreneur . De la créativité romanesque et livresque c'est bien mais pas suffisant pour attirer la foule des politiciens , élus et les agents de l'autorités mais par un peu de marketing et un peu de communication osée , dire par exemple par des fiches dans les médias qu'il s'agit de festival de la culture et du bien êtres animation assurée par les chants bulldozers et le rythme "bendir" et pourquoi ne pas annoncer qu'une tombola organisée pour honorer le meilleur élu de la commune !

Hhhh!! Vous vous étonnez !! Changez la prochaine fois le thème du festival et vous verrez le résultat !! Je vous propose quelques-uns : les chikhats, le michui un art culinaire ancestral, l'immobilier...la liste est longue !! Sauf la culture !! Avec ça vous chantez hors leur essein !!

Il aurait fallu invite l'auteur de l'ouvrage "la corruption pour les nuls"..!! Et vous auriez eu tous les élus de la région de Fès et même au-dela.. J'exagere à peine..!! 😟😟😟😟

Malheureusement, dans «le raisonnement» des élus et représentants des autorités locales, ils n’en ont que faire de la culture. Pour les premiers, on le sait, ils sont pour la plupart des incultes. Souvent même des illettrés. Quant aux «autres», la culture n’est pas pour leur espèce. Et pour les uns comme les autres, la culture «ne rapporte» tout simplement pas! Et si vous dites que le public «fassi» vous a étonné par sa présence à l’événement, il doit donc être une exception. Surtout dans un pays où la culture, plus particulièrement la lecture de livres littéraires ou autres, n’intéresse plus qu’une petite minorité de gens. Peut-être que la solution serait d’industrialiser la culture pour qu’elle attire tout ce beau monde; élus, responsable des autorités locales et citoyens. Le profit!

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