«Ils sont venus, ils sont tous là» chantait Charles Aznavour en 1963, dans La mamma. On aurait tant aimé reprendre en chœur ce refrain le week-end dernier, à Fès, à l’occasion du festival Littératures itinérantes, organisé par l'association du même nom avec Najat Vallaud-Belkacem comme marraine. Hélas, si les écrivains, les poètes, les artistes et le public sont effectivement venus, ce ne fut pas le cas des élus locaux ni des autorités, comme on dit.
Depuis 1996 et la parution de mon premier roman, j’ai pris part à une bonne centaine de festivals littéraires dans le monde entier. Qu’ils soient réputés ou confidentiels, qu’ils se tiennent à Rome ou Paris, dans un village haut perché dans les Abruzzes ou dans un fjord norvégien, on pouvait compter sur une constante immuable (pardon pour le pléonasme): la visite du maire. Passant de table en table, serrant la main de chaque auteur, feuilletant les livres, en achetant quelques-uns, il ne manquait jamais à l’appel. Les autres édiles faisaient également acte de présence, soit par goût personnel (il n’est pas interdit d’aimer la littérature quand on fait de la politique), soit par devoir, soit par opportunisme électoral –une photo avec une gloire littéraire fait toujours bel effet dans la presse locale.
À Fès, le conseil municipal a brillé par son absence. Sauf erreur –et si j’en commets une, je m’en excuse d’avance– aucun élu n’a jugé bon de venir faire un tour dans la salle où se tinrent de très intéressantes conférences ni au jardin Jnane Sbil où nous faisions nos dédicaces. Ce jardin, créé au XVIIIe siècle par le sultan Moulay Abdallah, est pourtant splendide et il faisait très beau ce jour-là. Ce n’aurait pas été une corvée de venir y faire un tour, un samedi. Végétation agréable à l’œil, allées ombragées, ambiance bon enfant, que demander de plus?
Vous me dites: c’est peut-être parce qu’on y parlait français? Non: il y avait autant d'invités qui s’exprimaient en arabe: Abdelfattah Kilito, l’Égyptien Youssef Zidane, l’Algérienne Zayneb Laouedj, le Soudanais Abdelaziz Baraka Sakin, le Palestinien Najwan Darwish (qui récita un de ses poèmes), etc.
Vous me dites: le thème du Festival était peut-être délicat, controversé? Non: le thème était «D’une culture à l’autre» et était synonyme d’ouverture, d’échange et de partage avec des auteurs prestigieux représentant, outre notre beau pays, l’Égypte, la Palestine, la Jordanie, la Mauritanie, la France, le Cameroun, le Liban, l’Algérie, la Tunisie, la Turquie, le Soudan et la Côte d’Ivoire. Ne serait-ce que pour cette ouverture au monde, on aurait aimé apercevoir, fût-ce un instant, les représentants officiels de la ville qui abrite la plus ancienne université du monde et qui est censée être la capitale spirituelle du Royaume.
Ne serait-ce que par galanterie, ces messieurs auraient pu venir souhaiter la bienvenue dans leur bonne ville à Asma Lamrabet, Yasmine Chami, Leila Bahsaïn Monnier, Mouna Hachim, Christiane Taubira (ancien ministre, faut-il le rappeler), Véronique Tadjo, Florence Noiville, Hyam Yared la Libanaise, etc.
Heureusement que le public fassi a été à la hauteur, lui. Tous les auteurs en convinrent le soir, au dîner. Nous avons rarement rencontré autant de gens sympathiques, amicaux, intéressés par les livres et la lecture, souvent accompagnés par leurs enfants, également souriants. Si nous avons passé une très belle après-midi samedi dernier, c’est grâce aux Fassis, pas à leurs élus.
Je ne comprends pas. Les élus méprisent-ils la culture?
- Non, soupira un poète local, c’est encore plus grave: ils ne savent pas ce que c’est.
À Fès! À Fès! Les bras m’en tombent.