L’inflation est-elle russe?

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ChroniqueLes banques centrales et les marchés financiers se tiennent par la barbichette, les gouvernements font semblant de s’inquiéter de l’inflation sans pour autant pointer du doigt les vraies causes. Quant aux peuples, ils se devront d’en subir les conséquences.

Le 12/05/2022 à 11h00

Depuis plusieurs mois, l’Europe autant que les Etats-Unis sont confrontés à un phénomène qu’ils semblaient avoir oublié depuis quelques décennies. En effet, une inflation galopante gagne de plus en plus de terrain, au détriment du pouvoir d’achat de millions de citoyens, et de la compétitivité des entreprises. En Allemagne, pays qui pour des raisons historiques semble fondamentalement allergique à l’inflation, affiche un niveau de quasiment 8%. Aux Etats-Unis, on parle de la pire inflation depuis 25 ans avec un taux de 8,3%.

Le coupable semble tout désigné: la Russie.

Car depuis l’enclenchement du conflit russo-ukrainien le 24 février de cette année, la Russie semble avoir bon dos, puisqu’il est désormais possible de lui attribuer tous les malheurs du monde, un peu à l’image du Covid à une certaine époque. Un alibi bien pratique pour mieux dissimuler des défaillances structurelles et des erreurs monumentales commises par le passé.

La crise énergétique actuelle est donc présentée comme une conséquence directe du conflit en Ukraine. Il en va de même pour l’envolée des cours de toutes les autres matières premières.

Or, il se trouve que le cours du baril du pétrole n’a pas attendu Moscou pour entamer un trend haussier, puisque la montée graduelle, puis de plus en plus rapide des cours du baril a été entamée en décembre 2021. A cette époque, le baril se situé autour de 70$. Le 22 février, soit deux jours avant l’opération militaire russe, il se situé déjà à 97$. Entre les deux dates, la hausse des prix s’est faite de manière ininterrompue. Il est cependant vrai que la guerre a projeté momentanément les cours à des niveaux historiques qui dépassèrent durant le mois de mars les 130$, avant de se stabiliser quelques semaines plus tard autour de 107$.

Il suffit cependant de s’extraire du narratif occidental anti-russe primaire, pour se rendre compte que les maux sont plus profonds.

Pour ce faire, un bond en arrière d’environ quatorze années est nécessaire, puisque depuis la crise financière mondiale, bien qu’occidentale dans sa genèse et ses causes, les Banques Centrales des grands pays développés (FED, BCE, BOE, BOJ) ont adopté à une échelle jamais vue dans l’histoire, une politique de «Quantitative easing» à tout va.

Autrement dit, il s’agit d’une politique d’assouplissement quantitatif, qui a pris la forme d’un rachat massif réalisé par les banques centrales, des titres toxiques possédés par les banques, ainsi que des obligations d’Etat sur les marchés primaires et/ou secondaires. Dit plus simplement, les Banques Centrales ont eu recours à la planche à billet pour recapitaliser les banques en difficultés en injectant des milliers de milliards de dollars pour la FED et d’euros pour la BCE, et pour acheter la dette des Etats. Tout cela accompagné par une politique de taux zéro pour le taux directeur. L’objectif? Eviter l’effondrement du système bancaire, permettre aux banques de continuer à financer l’économie et permettre aux gouvernements de mettre en place des politiques de relances afin de revitaliser la demande.

Les banques ont certes pris l’argent, mais les économies réelles n’ont en pas vu un kopek. Toute cette masse monétaire a trouvé refuge au sein des marchés financiers dans une perspective spéculative. Le passage des marchés des actions vers les marchés des matières premières et alimentaires ne s’est pas fait attendre. Souvenons-nous qu’en juin et juillet 2008, le cours moyen du baril atteignit les 134$, à un moment où la récession touchait de plein fouet autant les pays développés que ceux émergents. Il ne pouvait donc aucunement être question d’une explosion de la demande de pétrole. En 2011, une nouvelle flambée des prix nous fit atteindre des pics de 123$ le baril, largement supérieurs aux cours actuels.

La seule explication réside dans l’immense dynamique spéculative sur les marchés, rendue possible par les politiques monétaires laxistes et accommodantes des grandes banques centrales.

A cette époque, les banques centrales cherchaient vainement à provoquer une inflation pour stimuler la croissance et pouvoir remonter les taux directeurs.

Or, l’inflation était bien là, mais pas dans l’économie réelle. C’est dans les marchés financiers et de matières premières qu’elle prospérait.

Ce phénomène est toujours d’actualité, et les banques centrales des puissances occidentales peinent à augmenter sérieusement leur taux directeur. Lors de son dernier comité de politique monétaire, la Réserve Fédérale Américaine a timidement augmenté son taux directeur de 0,5 pour atteindre 0,75. Un coup d’épée dans l’eau. Car depuis 2008, les marchés financiers sont devenus accros à l’argent gratuit. Il leur faut absolument leur dose d’injection monétaire.

Dans ce contexte, il devient impossible aux banques centrales d’augmenter leur taux brutalement et de manière conséquente, au risque de provoquer un effondrement des marchés boursiers.

Ainsi, la guerre en Ukraine sert d’alibi parfait aux fonds spéculatifs et aux grandes banques (Goldman Sachs, JP Morgan, etc.) pour donner un second souffle aux bulles spéculatives sur les différents marchés.

Les banques centrales et les marchés financiers se tiennent par la barbichette, les gouvernements font semblant de s’inquiéter de l’inflation sans pour autant pointer du doigt les vraies causes. Quant aux peuples, ils se devront d’en subir les conséquences.

La boucle est bouclée, jusqu’à la prochaine grande crise économique qui, du fait de la folie des politiques adoptées par les banques centrales depuis 2008, risque bien de prendre la forme d’un effondrement monétaire du dollar et de l’euro, ainsi que d’une crise inédite des dettes souveraines.

Par Rachid Achachi
Le 12/05/2022 à 11h00