Du petit Rayan à Merendina il n’y a qu’un pas!

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ChroniqueQuelques jours après la mort tragique du petit Rayan, voilà que l’humeur volatile des réseaux sociaux semble l’avoir enterré une deuxième fois, au profit d’un sujet éminemment important, celui du nouveau package de Merendina.

Le 10/02/2022 à 11h21

Oui, je vous assure (ou rassure), le ridicule ne tue pas. On parle d’ailleurs déjà d’un «Merendina Gate». Prions par contre cette fois pour que les chaînes internationales ne s’en fassent pas le relais.

Entre la bigoterie moraliste des uns qui appellent sérieusement au boycott, et le romantisme émouvant des autres, la fièvre émotionnelle de la semaine passée semble s’être peu à peu éteinte. De quoi se poser légitimement des questions sur ses raisons profondes et son degré de superficialité.

Loin de moi l’idée de prétendre sonder les cœurs, mon objectif est de tenter d’appréhender le phénomène du point de vue de son caractère grégaire, celui de la masse, du mimétisme et de la «catharsis».

Voilà donc un mot barbare, qu’il s’agit de clarifier d’emblée.

Etymologiquement, le mot «catharsis» vient du grec ancien, qui veut dire «purification» ou encore «purgation», selon le contexte. 

Pour Aristote, l’art, et plus particulièrement la tragédie, permettent aux spectateurs de se purifier d’émotions pesantes voire négatives comme la crainte, la peur ou encore la pitié, et ce, en les vivant par procuration à travers des acteurs, un processus qu’il nomme «mimesis».

Ainsi, la théâtralisation d’une tragédie revêt un caractère thérapeutique autant pour l’âme que pour le corps.

Si l’on considère le voyeurisme des réseaux comme étant occasionnellement un immense théâtre national, voir international, les cinq interminables journées du calvaire de Rayan, semblent avoir été érigés en tragédie au sens aristotélicien du terme. Une théâtralisation dont les auteurs ne sont autres que certains médias putaclics qu’il s’agit de distinguer de médias qui se respectent, et les internautes eux-mêmes.

Un narratif semble s’être graduellement construit, au détriment d’un réel que beaucoup s’interdisaient de voir. Le petit Rayan a été rapidement érigé en héros brave et courageux, là où en réalité, il s’est agi d’une victime de la négligence et de l’irresponsabilité de ses parents, et qui s’est probablement retrouvé apeuré, agonisant et à peine conscient au fond d’un puits sombre, étroit et froid. En l’érigeant en héros, certains internautes autant que certains médias, l’ont en réalité déshumanisé. Il n’a plus eu le droit d’être un enfant, il s’est dû d’être un héros, car tel est le besoin profondément et inconsciemment égoïste de beaucoup.

De même, tout comme dans chaque tragédie grecque, il est question d’une ingérence des dieux dans les affaires humaines, il fut là aussi question pour beaucoup d’une volonté de Dieu.

Beaucoup, beaucoup trop d’internautes n’ont pas hésité à dire que Dieu a envoyé le petit Rayan sur terre, pour nous permettre de redécouvrir les vertus de la solidarité et de notre humanité.

Pour ma part, je ne savais pas qu’il y avait au Maroc autant de porte-paroles de Dieu. Pire, des gens qui décrètent ce que doivent être les desseins et la volonté de Dieu. Un raisonnement qui part certes d’une bonne intention, celle de donner un sens à sa mort, mais qui en même temps, forge l’image d’un Dieu sacrificateur, qui laisse mourir un enfant innocent sur l’autel de nos vertus oubliées. Ce n’est pas le Dieu auquel je crois. Sinon, vous êtes-vous dit ne serait-ce qu’un instant que peut-être Dieu l’a envoyé sur terre, pour reprendre votre expression, afin qu’il ait une longue vie? Une vie, écourtée non par le Divin mais par de la négligence et de l’irresponsabilité?

Oui, le petit Rayan n’avait pas besoin d’ailes angéliques, mais d’une vigilance plus accrue de ses parents ainsi que des autorités locales, quant au forage de ce genre de puits clandestins et a fortiori non scellés.

Oui, le petit Rayan n’a pas eu besoin que les réseaux sociaux se transforment en mur des lamentations avec un foisonnement de «dou’aa 2.0» agrémentés d’émoticônes. Il a eu besoin des autorités, d’experts, de topographes et d’ouvriers sur le terrain, qui ont fait tout leur possible, dans le silence et le professionnalisme. Quant aux «dou’aa» et aux prières, seules celles du cœur, que seul Dieu entend, comptent réellement. Car Dieu ne lit pas les statuts Facebook, mais il sonde nos cœurs.

Peur, angoisse, espoir, pitié, mort puis destinée imposée, voici donc les ingrédients d’une tragédie, pour le coup marocaine, mais dont les acteurs furent malheureusement des gens réels et concrets. Une théâtralisation consommée avidement, et souvent sincèrement, comme pour nous purger de l’angoisse, de la dépression et de la vulnérabilité, consécutives à deux années de Covid, de restrictions de tous genres et d’une absence de visibilité.

La thérapie émotionnelle étant probablement digérée, certains peut-être voient dans Merendina une sorte de thérapie digestive, ou de nouveau défouloir.

Donc, pour l’amour de Dieu, redonnons au petit Rayan son humanité confisquée et cessons une fois pour toutes de parler à la place de Dieu. Nos enfants ne sont pas faits pour mourir, mais pour vivre le plus longtemps et le plus joyeusement possible. Quant aux vertus perdues, cessons de les chercher au fond d’un puits ou dans le cercueil d’un pauvre enfant, mais en tentant de les incarner dans notre quotidien, afin que de tels drames ne se reproduisent plus.

Par Rachid Achachi
Le 10/02/2022 à 11h21