Les empires meurent, les civilisations demeurent

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ChroniqueMalgré les péripéties de l’histoire dont la plus dramatique fut celle du protectorat, la civilisation marocaine a survécu, en transmutant l’héritage impérial en nation contemporaine, tout en préservant l’essence de son identité et de son système politique.

Le 30/12/2021 à 11h00

Il y a de cela 30 ans, en ce même mois de décembre, l’empire soviétique prit fin. Empire du mal pour les uns, empire de toutes les promesses pour d’autres, le sentiment au sein de la population russe est partagé entre nostalgie d’une période stable et procurant un sentiment de fierté et de grandeur, et une période de libération pour d’autres, qui y voient la fin d’un carcan idéologique qui a trop longtemps étouffé l’âme russe.

Cependant, s’il est vrai que les empires meurent, les civilisations ont par contre pour elles l’éternité. Car la civilisation est ce socle culturel profond qui traverse toutes les formes politiques et historiques qui n’ont sont que des modes d’expressions éphémères.

Lénine, Trostky et Staline sont morts, Pouchkine, Dostoïevski et Tolstoï demeurent vivants. Le communisme est mort, l’orthodoxie demeure vivante.

Une réalité que seules des cultures millénaires peuvent comprendre, à l’instar de la Russie, de la Perse, de la Chine et du Maroc. Car oui, le Maroc fut un empire. Le Maroc fut des empires. Et malgré les péripéties de l’histoire dont la plus dramatique fut celle du protectorat, la civilisation marocaine a survécu, en transmutant l’héritage impérial en nation contemporaine, tout en préservant l’essence de son identité et de son système politique. Le Sultan devint Roi, l’empire devint nation, mais l’âme marocaine fut préservée. Peut-être qu’elle n’est pas pleinement épanouie, peut-être qu’elle se cherche encore, ou qu’elle est latente en attendant des jours meilleurs, mais elle est là, au fond de chacun de nous. Elle est ce temple dont nous sommes tous les gardiens.

Mais qu’en est-il des empires sans âme et sans civilisation?

Qu’adviendra-t-il de ces derniers si leur hégémonie venait à décliner?

Tous les regards se tournent à juste titre vers l’empire américain, cet empire du «bien», comme véhiculé pendant des décennies par la propagande hollywoodienne. Cet empire qui fait la guerre sans l’aimer pour reprendre l’expression de BHL, ce philosophe au service de l’empire.

L’histoire nous apprend que plusieurs dynamiques peuvent s’opérer dans ce cas de figure. Ou bien le conquérant est absorbé par les peuples conquis, qui des fois sont porteurs d’une civilisation infiniment plus ancienne et sophistiquée, à l’image de la Chine défaite par les Mongols, mais qui finit par les diluer et les absorber. Il en fut de même en terre d’islam, où les Mongols devinrent Moghols, donnant lieu à une resplendissante civilisation islamique en Inde.

Ou bien, la disparition de l’empire donne lieu au chaos et à la dislocation, non sans violence, à l’image de l’empire des Huns, celui d’Attila, dont on dira que là où il passe, l’herbe trépasse.

Il se trouve que l’empire dont on parle, celui de l’Oncle Sam, a entamé un lent mais irrémédiable déclin à partir de la fin des années 1970. Le tournant néolibéral, l’ultra-financiarisation de l’économie et les délocalisations des années 1980, puis plus tardivement les épopées militaires au Moyen-Orient (Afghanistan en 2001, Irak en 2003) et la crise de 2008, ne sont au fond que les symptômes d’un empire malade, d’un empire qui cherche à acheter du temps à travers une fuite en avant permanente.

Si ce diagnostic venait à se confirmer davantage, les Américains sauront-ils se réinventer en nation puissante parmi d’autres dans le cadre d’un monde multipolaire? Ou bien s’accrocheront-ils bec et ongles à un empire qui semble s’effriter jour après jour au profit de la Chine et de la Russie, au risque d’entraîner le monde dans un chaos sans nom?

En attendant que l’histoire tranche, nous autres Marocains, avons tout intérêt à persévérer dans notre approche de diversification stratégique, en ne mettant jamais tous nos œufs dans le même panier. 

Par Rachid Achachi
Le 30/12/2021 à 11h00