Kaïs Saïed, ou la dictature au service de la démocratie

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Chronique La Tunisie semble se diriger de manière irrémédiable vers un nouveau régime politique, de type «présidentiel». Une sorte de cinquième république, pour le coup tunisienne, qui, sans ôter au parlement son rôle éminent, octroie au président des pouvoirs conséquents, capables de remédier aux dysfonctionnements institutionnels.

Le 16/12/2021 à 11h00

Après un peu moins de six mois d’état d’exception, le président tunisien Kaïs Saïed décide de prolonger le gel du parlement en annonçant dans la foulée l’organisation d’un référendum en juillet 2022, pour une nouvelle constitution et des législatives en décembre 2022.

Immédiatement des cris d’orfraie ont fusé ici et là dans diverses chancellerie occidentales mais également en Tunisie. Certains médias ont même parlé d’un nouveau Kadhafi. Rien que ça!

Or qu’en est-il réellement?

D’abord, il y a le personnage. Juriste de par sa formation et conservateur par certains aspects, Kaïs Saïed est avant tout un légaliste. A l’image d’un Carl Schmitt dont le décisionnisme part du principe que quand l’architecture juridique est dysfonctionnelle ou contraire à l'intérêt de la nation, le politique doit prendre le dessus sur le juridique. C’est le principe même de l’état d’exception, en tant qu’expression ultime de la primauté du politique sur le juridique quand la survie même de l’Etat est menacé.

C’est de même l’expression suprême de la souveraineté d’un Etat, que d’être capable de décréter l’état d’exception. Rappelons la définition que donne le juriste allemand de la souveraineté: «est souverain celui qui décide de l’état d’exception».

Quant à la dictature, autrement dit aux diktats du politique sur le juridique, est-il utile de rappeler qu’elle est une invention républicaine? C’est sous le règne de la république romaine que le principe de «dictature» fut formalisé et institutionnalisé. L’idée est que la temporalité d’une crise majeure n’étant pas celle des délibérations démocratiques, il était nécessaire d’être capable d’élire un dictateur pour une période limitée, afin de lui procurer les pouvoirs indispensables pour affronter la dite crise. C’est ce qui sauva Rome face à Hannibal, c’est ce qui sauvera peut-être la Tunisie et sa démocratie face aux différents périls auxquel le pays de Carthage est confronté actuellement.

Revenons donc après ce bref préambule à la Tunisie. Confrontée à plusieurs crises majeurs (économique, sociale, institutionnelle, Covid-19, ingérences étrangères, etc.), le président tunisien a été confronté à un choix cornélien: laisser le pays sombrer dans un schéma de libanisation, ou bien mettre en suspens le fonctionnement ordinaire des institutions afin de se doter des moyens de restaurer l’ordre et le bon fonctionnement de l’Etat, chose que la constitution actuelle, celle de 2014, ne lui permet pas, car elle consacre un régime politique de type parlementaire, dominé par un parti motivé par un double agenda politique, je parle bien entendu du parti frériste d’Ennahda.

Dans ce contexte, le seul article utile de cette constitution est celui qui permet au président de restaurer la verticalité du pouvoir au profit de l’intérêt suprême de la nation.

Le gel depuis le mois de juillet du parlement et l’annonce d’un référendum pour une nouvelle constitution en juillet 2022, semblent annoncer la couleur de cette dernière. La Tunisie semble se diriger de manière irrémédiable vers un nouveau régime politique, de type «présidentiel». Une sorte de cinquième république, pour le coup tunisienne, qui, sans ôter au parlement son rôle éminent, octroie au président des pouvoirs conséquents, capables de remédier aux dysfonctionnements institutionnels auxquels une jeune démocratie peut être confrontée.

En attendant, le seul reproche qui peut être fait, est celui de savoir qu’a fait Kaïs Saïed de ces six mois d’état d’exception pour lutter contre la corruption endémique qui ronge le pays, l’oligarchie héritée du règne de Ben Ali, et la menace du parti d’Ennahda? A priori pas grand-chose. Le problème est qu’à force d’être trop légaliste, en attendant le cadre juridique adéquat, Kaïs Saïed risque de perdre en chemin une crédibilité et une légitimité, qui lui aurait permis de trancher dans le vif, en tant qu’incarnation du pouvoir politique et de sa primauté sur le juridique. Peut-être que le président tunisien est-il en train de se tailler un costume qu’il risque de ne point pouvoir porter. L’avenir nous le dira. Espérons, pour la Tunisie autant que pour la région dans sa globalité, qu’il en sera autrement.

Par Rachid Achachi
Le 16/12/2021 à 11h00