Au-delà de la pandémie actuelle

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ChroniqueSi de nos jours, nous nous croyions à l’abri, nous voilà déstabilisés par un microscopique virus qui est venu nous rappeler, si besoin est, que nous sommes vulnérables, tous autant que nous sommes, sans distinctions d’ethnies, de religions ou de classement du PIB…

Le 15/01/2022 à 11h01

L’humanité en a vu d’autres: peste, variole, typhoïde, choléra…

Les précautions sanitaires ne sont pas en reste aujourd’hui comme autrefois: confinement, distanciation sociale, quarantaine…

Et si le nombre des victimes change selon la gravité de la pathologie et la nature des moyens alloués, il en est de même pour les bouleversements qui en résultent d’une époque à une autre et pour l’impact sur la vie des peuples et des nations.

Nul besoin de remonter au temps de Mathusalem et nulle prétention d’embrasser l’histoire des épidémies sur la surface du globe.

Il suffit de quelques éclairages puisés dans nos contrées pour relativiser les choses et dépassionner le débat.

Le milieu du XIVe siècle se révèle alors intéressant à étudier avec son cortège de toutes formes de calamités.

La plus terrible des pandémies, coïncidant avec la décadence de la dynastie mérinide, est sans conteste le fléau de la peste noire, partie d’Asie centrale pour gagner la Chine et l’Inde, avant d’atteindre les bords de la Méditerranée, dévaster toute l’Europe et provoquer de grands ravages au Maghreb entre 1347 et 1350, touchant équitablement toutes les franges de la population, classe populaire ou milieu savant.

En témoigne Ibn Khaldoun qui vit périr, à Tunis, plusieurs membres de sa famille dont ses parents alors qu’il avait 17 ans.

Dans ses Prolégomènes, il écrivit à ce sujet: «une peste terrible vint fondre sur les peuples de l’Orient et de l’Occident; elle maltraita cruellement les nations, emporta une grande partie de cette génération, entraîna et détruisit les plus beaux résultats de la civilisation. Elle se montra lorsque les empires étaient dans une époque de décadence et approchaient du terme de leur existence; elle brisa leurs forces, amortit leur vigueur, affaiblit leur puissance, au point qu’ils étaient menacés d’une destruction complète. La culture des terres s’arrêta, faute d’hommes; les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins s’effacèrent, les monuments disparurent; les maisons, les villages, restèrent sans habitants; les nations et les tribus perdirent leurs forces, et tout le pays cultivé changea d’aspect».

Loin d’être circonscrite à une époque déterminée, la peste revint de manière cyclique, assimilée en cela à une malédiction.

Le voyageur Hassan Al-Ouazzan, dit Léon l’Africain, affirme qu’elle «se manifeste en Berbérie tous les dix, quinze ou vingt-cinq ans et emporte, quand elle survient, un très grand nombre de gens».

Frappant encore durement le Maroc en 1441-42, durant 18 mois, elle se solda par des pertes humaines effroyables, évaluées à près de 400 ou 500 personnes par jour avec des conséquences évidentes sur la structure démographique, sur les échanges économiques, sur la vie sociale et sur les mentalités.

D’autres épidémies suivirent en 1468, puis en 1493, à la suite des migrations des populations chassées de péninsule ibérique.

De même, le XVIe siècle fut marqué par des périodes successives de famines et d’épidémies dont les conséquences démographiques, politiques, économiques et culturelles furent innombrables.

Certains n’hésitent pas à déplorer des pertes humaines de l’ordre de 70%, ainsi qu’un recul net de la sédentarisation, au point que certaines villes des plaines atlantiques de la Chaouia et des Doukkala se sont dépeuplées avant d’être abandonnées par les populations.

D’autres localités n’ont plus laissé que des évocations livresques et de vagues toponymes avec la conjonction de l’occupation portugaise.

C’est le cas de Tamourrakoucht et de Targa sur la rive droite de l’oued Oum-er-Rbi’ ou de Miat Bir-ou-Bir (appelée Centpozzi dans les sources européennes).

Dans ce contexte global de bouleversements cataclysmiques, la riposte ne pouvait se concevoir sans stimulation mystique, accompagnée par la floraison de toutes sortes de propagandistes et d’extatiques, de prétendus sauveurs et de faux messies avec leurs discours eschatologiques qui font retentir, comme à chaque temps de crise, les trompettes de l’apocalypse.

Jusqu’au XIXe siècle encore, les ravages du choléra, que les Marocains appellent «bouglib», dépassaient le stade sanitaire pour plonger le pays entier dans le chaos et dans l'anarchie.

Si de nos jours, nous nous croyons à l’abri grâce à nos avancées scientifiques et à nos progrès en matière d’hygiène et d’urbanisme, nous voilà déstabilisés par un microscopique virus qui est venu nous rappeler, si besoin est, que nous sommes vulnérables, tous autant que nous sommes, sans distinctions d’ethnies, de religions, de couleurs ou de classement du PIB… Tous ébranlés dans notre sentiment de puissance, nos économies paralysées, nos ménages fragilisés, nos villes sinistrées, nos zones marginalisées encore plus enclavées, nos petits et grands déprimés, notre vision d’avenir obstruée…

Une humanité en souffrance à l’échelle mondiale face à l’incertitude et à l’isolement, face à une crise globale multidimensionnelle qui dépasse le stade strictement pandémique ou sanitaire.

Et comme l’homme reste fondamentalement homme, qu’il vive au cours du Moyen Age ou à l’ère moderne, ses rapports à la maladie et à la mort restent confrontés de manière générale à la même peur, voire terreur, allant parfois jusqu’au besoin de désigner ou de traquer un bouc émissaire.

Hier, principalement en Occident, c’étaient toutes sortes de «semeurs de peste», le juif, le vagabond, l’étranger… Aujourd’hui, un peu partout sur Terre, c’est idéalement le non-vacciné, faisant face au gré des sentences, et alors qu’il n’a enfreint aucune loi en vigueur relative à une obligation vaccinale, à des mesures discriminatoires le menaçant, sans états d’âme, de déchéance de citoyenneté.

Le doute ne serait-il donc plus permis?

Le débat sur la place publique, via les canaux classiques, reste en tous cas souvent monopolisé par ceux qui entretiennent la doxa, n’hésitant pas pour certains à stigmatiser ceux qui ne partagent pas leurs convictions, traités de «complotistes» ou de «fanatiques». Puis, fin de la discussion!

Etrange paradoxe lorsqu’on est censé défendre la science érigée dès lors au rang de foi aveugle et de dogme absolu.

Car s’il l’on bannit le questionnement, la réflexion critique, la réfutation et la controverse, que restera-t-il de la science?

Il est évidemment logique de laisser la médecine aux médecins, mais il est tout aussi naturel en démocratie que chaque citoyen puisse s’interroger, en espérant avoir des arguments cohérents au lieu d’anathèmes, sur la nature, la portée et la durée des traitements; sur les contradictions cacophoniques des études et données; sur la rhétorique de la guerre qui crée des scissions tout en exacerbant les sentiments d'angoisse et d'insécurité; sur les différentes mesures ubuesques décrétées; sur les répercussions de décisions sur les acquis démocratiques arrachés au terme de longs combats et sur la notion précieuse de liberté et ce qu’il en adviendra...

Par Mouna Hachim
Le 15/01/2022 à 11h01