La succession «tranquille» du président Déby, mort au combat en 2021, n’aura pas duré bien longtemps. Après les dizaines de morts ayant suivi la répression de la manifestation-insurrection d’octobre 2022 à N’Djamena, la question se pose de l’avenir du Tchad, verrou de l’Afrique centrale et pivot de la lutte contre les groupes terroristes. Ici, tout va dépendre de la manière dont vont s’exprimer les puissants déterminismes ethno-claniques qui ont ensanglanté le pays depuis les années 1960 dans un contexte régional conflictuel (Libye, Soudan, Nigeria, Niger et RCA) aggravé par les manœuvres de la Turquie depuis la Libye, ainsi que par celles de la Russie depuis la Centrafrique.
La grande réalité tchadienne est que les profondes fractures internes à la société sont toujours présentes et qu’elles y sont constamment réactivées. Depuis l’indépendance, la vie politique du Tchad tourne autour des quatre principales ethnies nordistes, à savoir les Zaghawa, les Toubou du Tibesti (les Teda), les Toubou de l’Ennedi-Oum Chalouba (les Daza-Gorane), et les Arabes du Ouadaï. Tous ensemble, ces peuples à forte tradition guerrière rassemblent moins de 25% de la population du Tchad. Or, c’est autour de leurs alliances, de leurs ruptures, de leurs rivalités et de leurs réconciliations plus ou moins éphémères que s’est écrite l’histoire du pays depuis l’indépendance. C’est autour de ces peuples que se sont faites toutes les guerres du Tchad depuis 1963. C’est de leurs relations que dépend le futur du pays, la majorité sudiste de la population n’étant que la spectatrice-victime de leurs déchirements et de leurs ambitions.
Avant la colonisation française, ces ethnies nordistes razziaient régulièrement les sédentaires sudistes parmi lesquels elles enlevaient des esclaves qu’elles revendaient en Libye, au Soudan ou en Egypte. Privées de ces «ressources» par la colonisation, elles ont connu un lent endormissement accentué par le fait que la France privilégia le Tchad agricole du sud, le «Tchad utile», où la culture du coton fut développée.
Les ethnies sudistes, dont les Sara, accueillirent favorablement la colonisation qui les libérait des rezzous nordistes, et elles acceptèrent l’école, le christianisme et le recrutement militaire. Le résultat de ce choix fut qu'au moment de l’indépendance, et à la différence des nordistes demeurés murés dans leurs traditions, les sudistes disposaient de cadres. Ayant hérité du pays, ils voulurent prendre leur revanche sur leurs anciens razzieurs, ce qui provoqua la réaction de ces derniers et les premières guerres du Tchad qui éclatèrent dès 1963.
A ce schéma sahélien «classique» d’opposition entre nomades nordistes et sédentaires sudistes, vient s'ajouter une originalité tchadienne qui est que, parallèlement à la guerre Nord-Sud, la coiffant en quelque sorte, eut lieu une guerre interne au Nord dans le prolongement de laquelle le conflit tchadien s’internationalisa.
C’est ainsi qu’au début du mois de février 1986, l’armée libyenne franchit le 16e parallèle pour soutenir Goukouni Weddeye, un Toubou du Tibesti qui était en guerre contre Hissène Habré, un Toubou-Gorane. En réaction, le 14 février, la France déclencha l’opération Epervier qui succédait à l’Opération Manta. Le colonel Kadhafi comprit alors que la France ne le laisserait pas s’emparer du Tchad et il cessa d’aider Goukouni Weddeye qui s’exila en Algérie.
Hissène Habré était donc vainqueur, mais les Zaghawa menés par Idriss Déby Itno, entrèrent en guerre contre les Anakaza, le clan gorane d’Hissène Habré, et le 1er décembre 1990, ils s’emparèrent de N’Djamena.
Puis, à partir de 2003, le président Idriss Déby se trouva pris dans l’engrenage du conflit du Darfour, et de 2006 à 2010, les guerres entre le Tchad et le Soudan furent incessantes.
Finalement, le 15 janvier 2010, après nombre de batailles remportées par Idriss Déby Itno, des accords de paix furent signés et la guerre du Tchad s’acheva.
Cependant, au mois d’avril 2021, venus de Libye et commandés par Mahamat Mahdi Ali, un Gorane Daza, des insurgés lancèrent une offensive, et ce fut en les contre-attaquant qu’Idriss Déby trouva la mort. Son fils lui succéda.