Casablanca. Joteya de Derb Ghalef. Un chariot poussé par un homme à la barbe bien fournie, au tchamère style Arabie Saoudite. J’hallucine! Je m’approche. Vous ne devinerez jamais le contenu du chariot. Wiiiiili ! Depuis quand ces produits raffinés et coûteux se promènent-il ici? Pour quelle clientèle? Ces produits facilement avariés et toxiques doivent être conservés selon le processus de respect de la chaîne du froid.
J’écarquille bien mes yeux et, wa Allah, je vois des mollusques à coquille: huître, coquille Saint-Jacques, couteau, moule, palourde, coque et même des oursins! Je questionne délicatement le vendeur qui m’envoie balader méchamment: «c’est pas pour les femmes comme toi!». Comme quoi? Je suis comment, moi? J’abandonne. C’était une journée où j’avais décidé de rester zen.
Ma réponse, je l’ai eue 8 mois plus tard !
Un hypermarché à Sidi Maârouf. Un rayon de poissons où se bousculent les clients. Jusqu’ici, rien d’anormal. Mais depuis que je fréquente ce lieu, j’observe une foule dense au rayon des huîtres. Et alors, me diriez-vous? Eh bien, je vois des hommes se faisant ouvrir les huîtres et les gobant l’une après l’autre sur place. Ok! Et alors? Eh bien ça m’a paru chelou, comme disent les jeunes, za3ma louche. Pourquoi? Très peu de Marocains mangent des huîtres, même quand ils habitent les zones côtières où les huîtres prolifèrent.
L’ostréiculture a débuté dans les années 50 à Oualidia, réputée au niveau national et international pour sa production d’huîtres dans des parcs spécialisés. Aujourd’hui, la plus grande production d’huîtres est à Dakhla, au potentiel énorme et qui fournit 80% de la production nationale.
Mais revenons à notre hypermarché et à nos dévoreurs d’huîtres. Ce qui m’a frappée d’abord, c’est que les clients étaient tous des hommes. Je vois très rarement des femmes en consommer sur place. J’en ai conclu naïvement que les hommes aimaient les huîtres plus que les femmes. Ma curiosité m’a poussée à faire du tberguigue sur le profil de ces hommes. En principe, et selon des préjugés condamnables, je l’avoue, les huîtres font partie de mets fins, consommés par un profil de population particulier. Mais là, mes avaleurs d’huîtres avaient des profils différents. La manière de gober les huîtres ne correspondait pas non plus aux habitués, qui prennent le temps de savourer chacune d’entre elles et de s’en délecter. J’avais l’impression d’être face à une carroussa où on vend al karmousse alhandi (figues de barbarie) que j’adore, mais où le client se gave sans savourer. Certains grimacent comme en avalant un médicament amer! Awe! C’est quoi ça?
Mon audace légendaire me pousse à m’informer. Ouah! J’vais pas partir sans élucider le mystère, sinon «ma tête va me brûler!». Je m’adresse à l’un des deux employés, d’origine subsaharienne, qui ouvre les huîtres avec une dextérité et une vitesse étonnantes: «pourquoi il y a autant d’hommes ici?». Réponse: «c’est surtout vendredi et le week-end». Incrédule, je continue: «pourquoi ces jours-là?». J’obtiens comme réponse un sourire moqueur, laissant penser que ma question est impertinente.
Mon alarme de sociologue se déclenche. Motivée davantage, j’inspecte visuellement la foule d’hommes en attente d’être servis. Je repère un jeune qui semble accessible: «Khouya, pourquoi il y a tant d’hommes ici?». « C’est l’approche du week-end !» «Ok, mais quel lien avec les huîtres?». Il éclate de rire: «Khti, tu es mariée?». «Oui, pourquoi?». «Il a quel âge ton mari?». Je réfléchis et annonce un âge auquel je soustrais une décennie, allez savoir pourquoi! Mon jeune homme, éclatant de rire: «si tu l’aimes, amène-le ici deux fois par semaine et laisse-le se gaver. Mais après, tu le surveilles. Il peut t’échapper entre les mains!». Les questions se bousculent dans ma petite tête: «Khouya, khtèque chouiya mkalkha (je suis un peu bête!». Il regarde autour de lui, s’assure que personne ne nous écoute et me souffle à l’oreille: «Maziane li ennafs diale arjale!». Je feins ne pas comprendre. Il perd patience: «Awili! Wa had chkouffe, houma viagra dialna!» («ces coquilles sont notre viagra!»).
OK, Vous avez saisi… Le chariot de Derb Ghallef, l’hypermarché, la foule, la quantité d’huîtres absorbée tel un médicament…
Ennafs, le souffle… Ainsi est nommée la virilité en darija (arabe dialectal). C’est dire l’importance de la virilité, assimilée au souffle, le souffle de la vie, sans lequel survient la mort. J’ai tout compris! 3la slama me diriez-vous! Mais encore un mystère, «Agi a khouya, pourquoi vendredi et week-end?». Toujours avec un sourire malicieux: «ce sont les jours des bertouches !». Ouaouhh! J’ai tout compris. Le bertouche est pour les plus jeunes ce que la piaule et la garçonnière étaient pour les moins jeunes! Donc ces hommes viennent renforcer leur virilité, ici, dans cet hypermarché, pour une fin de semaine érotique!
La morale de cette histoire? Les huîtres seraient aphrodisiaques!
J’ai fait ma petite recherche et j’ai appris que les huîtres et les moules contiennent du zinc en grande quantité. Un minéral important pour la production de sperme et pour la fertilité. Selon des informations glanées sur Internet, mais de source paaaaas très sûre, la quantité d’huîtres à avaler par jour pour l’apport nécessaire quotidien en zinc serait de 30 pièces! Il faut vraiiiiiiiiment être motivé et en avoir les moyens. Une seule huître coûte 10 dirhams!
Messieurs! Pitié, si par hasard vous me rencontrez dans cet hypermarché, ne m’attaquez pas à coup de tomates. En ces temps particuliers, j’essaye seulement de garder le moral en m’accrochant à l’humour et en vous offrant des sujets éloignés de ceux de l’actualité dominante! Sans rancune!