A travers les siècles, les parents éduquaient les enfants en leur infligeant douleur et humiliation, ce qui est contesté actuellement. Les études révèlent que frapper un enfant produit des effets négatifs à court et long terme. Ne plus le «corriger» améliore son intégration scolaire, ses relations avec les autres et diminue sa violence dès l'enfance et à l'âge adulte. La violence donne des adultes agressifs.
Au Maroc, les premières écoles étaient les msid, écoles coraniques. A partir de quatre ans, le garçon passe la journée à mémoriser le Coran, assis sur lahssira (une natte en jonc tressé) autour du fquih. Il apprend sur ellouha (ardoise) et avec elkarrake, un bout de bois taillé que qu’il frotte sur l’ardoise en se balançant. Le fquih tient un long bâton pour bastonner celui qui somnole ou se trompe en récitant. Larbi: «à 5 ans, j’étais terrorisé. J’ignorais sur qui allait rebondir le bâton. Il tapait au hasard». Pas de communication avec le fquih ou entre les élèves. La pédagogie dominante? La peur, la terreur. La3sa limane ya3ssa (le gourdin pour l’entêté). Le père disait au fquih: «nta tadbèhe, wana naslakhe» («tu égorges et moi j’écorche»). L’enfant est camouni (un terme qui vient du cumin, dont les graines doivent être écrasées pour que l’odeur s’en dégage). Les parents demandaient au maître de le battre pour faire «entrer la scolarité dans sa tête». Lorsque les écoles ont été créées, la violence a perduré. Les Marocains, dans leur majorité, ont été violentés!
La violence est verbale, blessant la dignité de l’élève: insultes et humiliations, «âne» et «bâtard» sont courants. L’erreur, étape indispensable de l’apprentissage, est condamnée et entraîne des traumatismes qui ne s’oublient jamais: «au premier cours, heureux, j’ai levé la main pour répondre à une question. Je me suis trompé. J’ai reçu 10 coups sur les doigts».
«Le maître m’a collé sur le dos la photo d’un âne et m’a fait tourner dans les classes…»
L’erreur provoque les moqueries des camarades, avec la complicité du maître, censé enseigner le respect des autres. Que retient l’élève? «Madirche, matkhafche» («n’agis pas, tu ne risques rien»), «dir rassèque fwasthe aryousse ou 3ayyate 3la qatta3e aryousse» («garde ta tête au même niveau que les autres et appelle le bourreau pour qu’il coupe les têtes qui dépassent»). Le sens de l’initiative est ainsi condamné!
La majorité des adultes garde de la rancœur envers des enseignants, surtout les hommes qui, garçons, étaient moins peureux que les filles et donc ont été plus maltraités. Ils gardent un sentiment de hogra (injustice), une plaie: «c’était à la campagne. Un instituteur m’a massacré, car mes parents ne lui faisaient pas de dons. Si je l’avais pu, je l’aurais tué». Que d’élèves ont fui l’école!
L’épanouissement, censé se cultiver à l’école, est écrasé: «j’ai été battue sans raison. Je rêve de revoir certains profs, juste pour qu’ils m’expliquent pourquoi».
«Je faisais 12 km à l’aller et 12 au retour, sous la neige, le froid ou le soleil. Le maître se déchaînait sur moi à cause du retard. J’ai fui l’école!»
Types de châtiments corporels subis: coups de pied et de poing, gifles, claques sur la nuque… «Les profs lançaient des projectiles: stylo, règle, chaussure, ardoise. Tu baisses la tête et c’est celui qui est derrière toi qui le reçoit, même s’il n’a rien fait.»
La fessée, au primaire, est courante. Mina, 18 ans: «il me plaquait sur le ventre, relevait mes habits et me fouettait devant mes camarades. Je n’ai pas pu le dire à mon père. J’ai quitté l’école».
La majorité des Marocains a connu les outils de torture. Tahmila sur la plante des pieds, avec un bâton ou avec la célèbre falaka: une latte en bois, à laquelle est accrochée une corde en boucle. L’élève est maintenu dos au sol, jambes en l’air. Deux élèves costauds lui coincent les chevilles avec la corde. Le maître le fouette, sous les hurlements de l’élève, la crainte et les moqueries des camarades. La falaka existe encore, de nos jours!
Il est encore courant de voir dans les classes des instruments de torture: azfèlle, zerwata, akourray (en amazigh), règle en bois ou en fer, ceinture en cuir, zellate ou mezlate (une branche d’arbre), nerf de bœuf séché, crafache ou mechouita (une cravache), voire une courroie de motocyclette...
Aujourd’hui, dans un collège rural, un maître garde devant lui trois tuyaux, qu’il utilise selon la gravité de la faute: un vert et épais, un orange et de moyen calibre, un dernier, blanc et fin…
D’autres supplices: tirer les cheveux, pincer, cracher dans la bouche, frotter du piment sur les lèvres…
Souvent, l’élève ne se plaint pas auprès de ses parents, de peur d’être corrigé davantage. La violence est plus courante en milieu rural. C’est d’ailleurs l’une des raisons du décrochage scolaire. Bien qu’elle ait été interdite par le ministère de l’Education, en 1999, cette violence perdure encore, surtout dans les établissements publics. L’enseignement doit développer la confiance en soi, l’imagination, la créativité, l’autonomie, le sens de la critique. Mais la pédagogie reste désuète.
L’enseignement est en cours de réforme. Comment réformer la mentalité de trop nombreux enseignants, afin qu’ils respectent la dignité de l’élève et même de l’étudiant, car même dans les facultés, l’étudiant n’est pas toujours respecté.
De nombreux jeunes parents refusent que l’on batte leurs enfants, mais surtout dans les établissements privés. Dans le public, les parents ont peur de protester, surtout les ruraux. Trop de parents et d’enseignants pensent encore que la violence est indispensable à l’apprentissage. Dernièrement, il y a eu une mobilisation contre la violence des élèves à l’égard des enseignants. A quand une mobilisation contre la violence des enseignants à l’égard des élèves?