Mahi Binebine est un peintre, un sculpteur et un romancier à succès, et c'est peu dire. Ils ne sont pas si nombreux, les romanciers marocains ayant une audience internationale. Encore moins lorsqu'ils ne prennent pas même la peine de s'exiler, comme c'est le cas de Mahi -c'est par son petit nom qu'on appelle, affectueusement, dans le milieu culturel national où cet homme est unanimement apprécié, ce qui, là encore, n'est pas si fréquent. Il faut dire que son éternelle bonne humeur et sa non moins constante bienveillance désarment, littéralement, toutes velléités de critique vis-à-vis de lui. Sans parler de son inlassable engagement dans le social. Une implication réelle, qui se traduit par des projets tangibles, à l'adresse, particulièrement, des enfants et adolescents des quartiers défavorisés.
Confidence: Binebine connaît ma réserve personnelle, en tant que critique d'art, sur sa production plastique. Il ne m'en a jamais tenu rigueur, du moins ne m'a jamais fait montre de la moindre distance, bien au contraire. Il est vrai qu'il sait mon admiration pour l'écrivain qu'il est. Un des meilleurs, pour ne pas dire le meilleur, actuellement, selon moi, du moins pour ce qui est de la littérature marocaine d'expression française. Sur la dizaine de romans -traduits en autant de langues-, j'ai, naturellement, mes préférés : "Le sommeil de l'esclave", "Les funérailles du lait" et "Le fou du roi".
Qu'en est-il de son dernier opus -un peu plus d'une centaine de pages seulement?
C'est un conte. Un récit qu'on lit d'une traite -ce qui n'est pas un mince compliment sous ma plume!
Une histoire de transmission. À l'intérieur même de l'histoire, puisque l'auteur nous narre la vie d'une jeune chikha qui apprend son métier sous la houlette d'une diva de la Aïta, avant d'en devenir une à son tour. Non sans avoir traversé, entre-temps les mille unes péripéties, plus ou moins mélodramatiques, inhérentes à tout conte populaire. Mais il s'agit, ici, également d'une autre transmission : la description qu'offre cet écrivain de soixante ans, à son jeune public, de cet univers -si proche et si lointain- des chikhat citadines marocaines. Un univers musical, chorégraphique et humain -si sophistiqué et codifié- qui n'a rien à voir, ou si peu, avec celui des chanteurs et chanteuses de ce qu'on appelle le chaâbi! Ce second genre musical n'étant, en réalité, qu'un ersatz du premier.
Ce talentueux conteur marrakchi -excusez le pléonasme- qu'est Mahi Binebine, connaît bien, à non point douter, sa Aïta traditionnelle. Sur le bout de sa taârija. Après avoir retourné la dernière page de ce court et léger récit, il nous monte, subrepticement, des fourmis aux jambes. Et nous nous surprenons à chercher des yeux une qaâda sur laquelle nous aimerions tant trépigner. Là, tout de suite.
Mahi Binebine. Rue du pardon. Editions Stock & Le Fennec.