Le récit est d’un drôle décapant et il vous replonge toute de suite dans l’univers fabuleux du réalisateur-acteur-musicien- (et bien plus encore) Emir Kusturica. Véritables hymne à la vie et à la joie que le futile, voire le simplet, peut apporter face aux pires horreurs de ce monde, les films de Kusturica nous apprennent à rire. De tout et avec n’importe qui.
Il arrive dans nos «Tziganies» que certaines fictions deviennent réalité. Et c’est ainsi qu’à Inzegane, chez nous, nous avons assisté à l’anniversaire… d’un trou, majestueusement installé en plein milieu d’une chaussée, tout juste à côté d’une école primaire publique.
Cela fait un an que le beau trou est là. Ça se fête. En bons Marocains, habitants et acteurs locaux n’ont pas manqué l’occasion de célébrer l’événement: gâteau, photos, youyous, chants et danses… C’était parfait et des Marocains d’ici et d’ailleurs y ont assisté. Même des étrangers étaient de la cérémonie. Merci la Toile, et ce sens inné de l’ouverture chez nous autres.
Viralité garantie, succès retentissant et toute une société pliée de rire. Sauf cette catégorie qui, elle, devrait avoir honte. Nos élus.
Les habitants de ce quartier d’Al Jorf ont eu beau alerter leurs représentants, un an durant, sur ce même trou, sur le danger qu’il représente et le manque criant en infrastructures dignes de ce nom dans la ville et, philosophiquement, bien au-delà. Rien. Le danger que cela peut représenter pour les enfants qui se rendent à l’école? Il faut un drame pour que les élus de la nation se bougent enfin. Sinon, ce n’est pas bien grave. Qu’est ce qu’un trou, ga3?
Alors, pour les concernés, il a mieux valu en rire et créer du buzz autour. Si cela a fait bouger nos corps élus? Que nenni. Au contraire, quand ils ont enfin compris le message, ils l’ont mal pris. Et il n’est pas exclu que les auteurs de cette offense bien grasse se retrouvent face à des ennuis.
Au-delà du caractère ubuesque de ce «simple fait divers», ce qu'il s’est passé à Inzegane n’est que le reflet caricatural de l’état de nos villes. Partout où vous allez.
Des trous affreux, des infrastructures effroyables et d’effrayants «mobiliers»: des kakémonos qui dépassent, des câbles à haute tension qui vous narguent, des terrasses qui débordent, loin, de plus en plus loin... La liste est longue.
Ici, nous ne parlons pas d’esthétique, de beauté et d’harmonie. Mais du danger bien réel de vous prendre, pile sur la tête, un panneau Stop mal posé, par un ouvrier qui s’en fout (normal, lui il habite encore l’kariane et puis on lui a dit de juste l’installer là, la nuit). Sans contrôle et sans surveillance aucune. Ou alors c’est une pub mal pensée à la base, et forcément mal calibrée sur un poteau électrique, qui vous guette. Quand ce n’est pas la poutre d’un de ces éternels chantiers en cours dans nos cités. Ou alors, puisqu’il y en a encore, ces véritables œuvres abstraites que sont nos nids-de-poule et, toujours, ces trous imaginés par on sait quel artiste dark aux réflexions quelque peu meurtrières. Pour cela, le mix est bien simple: mélangez des responsables véreux, des marchés obscurs, des adjudicataires sans foi ni loi, des ouvriers mal formés et très mal payés, des contrôleurs qui contrôlent mal et le tour (trou en verlan) est joué. Cela dure et perdure. Jusqu’à quand? Même pour les mauvais films, il faut bien une fin, non?
Avant, il faisait bon de lire des messages d’espoir tels que formulés par le délicieux Lotfi Akalay dans son roman Les Nuits d’Azed: «la saleté s’en ira, les parfums resteront». Aujourd’hui, il est permis d’en douter. C’est un peu logique en définitive: c’est par la voix d’une étrangère, que le Maroc continue d’émerveiller, que Akalay nous avait fait rêver.
Techniquement, essayez de mettre votre enfant dans une poussette pour une promenade. C’est le rallye. Mieux, tentez une petite marche. Vous verrez, c’est le 3.000m steeple. Négociez un chemin pour faire plus court et ce sera, Soubhanallah, une course d’obstacles. Le triathlon à côté, c’est un véritable jeu d’enfants. Dans le tout, il n’est pas recommandé d’être un nez.
Alors à ces dames et ces messieurs les élu(e)s, la question est: mais est-ce qu’il vous arrive de marcher dans la rue? Ou alors, êtes-vous trop pris à vous tenir par la barbichette ou par ce joli petit carré Hermès?