Cela fait plusieurs campagnes présidentielles déjà, aux Etats-Unis, que les guerres électorales se jouent, se gagnent (et se perdent) sur les réseaux sociaux. Donald Trump, tout cow-boy qu’il est et fonctionnant suivant l’ancien schéma du complexe militaro-industriel, règne et gouverne à travers (et grâce à) Twitter. C’est pour lui une nécessité. «Je n’adore pas les réseaux sociaux, mais il m’ont aidé à faire passer mon message…Quand on dit du mal de moi, cela permet de répondre», avait confié le président US dans une interview accordée à CBS.
En France, le président Emmanuel Macron a réussi un véritable coup de force, cassant la polarisation, classique, de la gauche et de la droite, en ayant très bien su investir les réseaux sociaux, alors qu’il était candidat. Il n’a eu besoin ni de conseils de think tanks, ni de ces jadis incontournables centres d’influence (CAC40, Franc-maçonnerie, etc.), mais plutôt d’une task force, avec des jeunes en jeans et t-shirt pour, soi-disant, «casser la baraque».
Au Maroc, nous en sommes encore à l’âge de pierre en matière de communication politique. Alors même que les directives royales sont claires: que la classe politique bouge et fasse bouger les choses. Alors que la réalité sociale, économique et culturelle ne cesse de bouger, parfois de tanguer, que les questions sont nombreuses et que les réponses se font rares, que font nos hommes politiques, nos partis, nos centres d’influences?
Ils reproduisent les mêmes et vieux stéréotypes: les sempiternels «diagnostics», des «réalités et perspectives» aussi creuses les unes que les autres, et un discours politique usé jusqu’à la corde, complètement délavé jusqu’à en devenir incolore, inodore et sans saveur, et qui ne parle donc plus à personne. Et tout cela, toujours via les mêmes, vieilles, méthodes. Nous devons toujours, aujourd’hui encore, attendre les JT télévisés pour les voir apparaître, regarder d’abord les discours du chef de l’Etat pour les voir ensuite réagir (et tous de la même manière) et, en cas de coup dur, nous apercevoir qu’ils ont disparu comme par magie. Mais cela, c’est quand ils ne surfent pas sur la vague du désastre et du désarroi d’un peuple, pour engraisser, encore davantage, le mammouth déjà bien repu de leurs ambitions personnelles et leur insatiable avidité de pouvoir, de show-off et… d’argent.
Parmi nos hommes politiques, existe-t-il, et vraiment, des hommes ou des femmes qui ont décidé de dépoussiérer radicalement ce morbide work flow, qui ne convainc plus personne? Y compris ceux-là même qui en jouent pour rester sous les feux de la rampe et pour, au passage, soigneusement garder leurs privilèges? La plupart se sont depuis bien longtemps emmurés dans des postures de donneurs de leçons, purement de façade, tout en grattant le moindre des avantages que leur position partisane ou politique peuvent leur offrir. La politique, pour eux, relève de la carrière personnelle. Sa philosophie, son bien-fondé et son impact attendu (c’est-à-dire améliorer ou changer le réel) ne figurent pas à leur ordre du jour.
Nous nous trouvons dans un pays où il existe 33 partis politiques pour, à peu près, 33 millions de Marocains. Sur ce dernier chiffre, et selon le HCP, 43% sont âgés entre 18 et 44 ans, cœur de cible électoral donc et qui s'est naturellement emparé, de plus, du tournant numérique. Notre population est résolument jeune, plus ou moins instruite, mais définitivement connectée, ultra-branchée sur les réseaux sociaux (ils sont 15 millions rien que sur Facebook), et bien équipée à cette fin.
Et que font nos politiques? Ils multiplient les meetings à coups de logistique et de sandwichs pourris pour rassembler les foules, ils détruisent, les élections venues, des forêts amazoniennes d’arbres pour nous servir des programmes identiques, souvent à la virgule près, ils servent les mêmes vieilles recettes qui, justement, ne font plus recette. Regarder le taux d’abstention lors des dernières élections, c’est s’en rendre forcément compte.
Qui gagne, alors? Ce sont forcément les plus astucieux, ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à passer des stages de plusieurs mois chez les Républicains américains pour capter l’air du temps, investir massivement les réseaux sociaux. Ils surfent, collectivement mais aussi individuellement, sur tout ce qui bouge pour distiller leur idéologie, leurs «valeurs» et leurs points de vues.
Avant, il fallait gagner les rues, les foules. Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux, soit des électeurs isolés devant leur écran, qui servent à la fois de terrain de jeu et de thermomètre socio-électoral. Et à ce «jeu», c’est évidemment, aujourd’hui, le PJD qui l'emporte. Loin devant tout le reste. Pendant que les éphémères effets de relifting des uns se flétrissent, et que la logique surannée des autres se fane, les armées digitales islamistes, composées de centaines de trolls et autres soldats de l’écran, n’hésitent pas à casser tous les codes et ont, eux, ce mérite de remplir un vide. Or, la nature a horreur du vide.
Voilà un parti qui n’a nullement besoin d’avis d’experts ou autres spin doctors pour investir la toile, qui sait parler à son électorat, fidèle, discipliné, largement incorruptible, mais en utilisant les méthodes d’aujourd’hui: un portail réactif 24h/24, des pages solides sur les réseaux sociaux, une interaction à toutes épreuves ainsi que des élus, des acteurs régionaux, des ministres qui ont su faire leur les canaux modernes de communication. Quitte à sortir des âneries, comme ce député qui s’en prend à des bénévoles belges à cause de leur short. Quitte à se contredire, aussi, comme cette élue de la nation qui, il n’y a pas si longtemps, tirait à boulets rouges sur Jennifer Lopez et son spectacle à Mawazine, à cause –c’est décidément une obsession– de son code vestimentaire, mais qui, aujourd’hui, et pour défendre une des leurs, se pose en Jeanne d’Arc des libertés individuelles.
Voilà donc un parti qui se sert de ces commodités technologiques pour faire passer des messages simples, accessibles, voire, parfois, intelligents, mais à la seule fin de faire percer son idéologie: totalement obscurantiste, hypocrite, totalitaire. Le pire, c’est que ça marche. Les épingler sur tel ou tel méfait ne sert, au final, à rien. C’est aux autres formations de produire des offres politiques différentes et différenciées les unes des autres et d’en convaincre l'électorat, au lieu de servir la même soupe, dans les mêmes bols.
Alors que doit-on faire?
Et qu’on ne vienne surtout pas se plaindre sur ce même PJD qui aura remporté, une fois de plus, la prochaine partie.