CAN 2025: le football africain dans l’arène des grands enjeux économiques, médiatiques et de souveraineté

Le stade du Prince Moulay Abdellah à Rabat.

La Coupe d’Afrique des nations a officiellement démarré ce dimanche 21 décembre 2025. D’emblée, cette 35ème édition s’impose comme bien plus qu’un tournoi de football: elle constitue un test grandeur nature de la capacité du football africain à maîtriser sa chaîne de valeur.

Le 23/12/2025 à 11h57

À Rabat, le Maroc a ouvert le tournoi par une victoire face aux Comores, lançant une compétition déjà dense en symboles, en attentes sportives et en interrogations structurelles. L’enjeu sportif de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) est évident et cela au-delà des tribunes, des salles de rédaction, des cercles économiques et jusqu’aux commerces. Pour le Maroc, pays hôte engagé dans une stratégie assumée de rayonnement continental, la CAN est à la fois une vitrine et une épreuve. Mais au-delà des résultats sur le terrain, cette 35ème édition remet au goût du jour des problématiques anciennes, notamment la redistribution des revenus, la gouvernance des droits commerciaux, la souveraineté audiovisuelle et la place réelle des économies locales dans un événement présenté comme «historique».

Dès les premiers matchs, la ferveur populaire est palpable. Mais derrière l’enthousiasme, une question revient avec insistance: à qui profite réellement la CAN?

Dans les grandes compétitions internationales, le merchandising constitue un pilier financier structurant. À l’Euro ou à la Coupe du monde, les produits dérivés –maillots officiels, éditions limitées, objets collectors, licences numériques– génèrent des centaines de millions d’euros et irriguent des filières industrielles complètes. À la CAN, le potentiel existe, mais reste largement en deçà de ce qu’il pourrait être.

Les recettes issues du merchandising demeurent concentrées autour des grands équipementiers internationaux et de circuits officiels encore limités. La valeur ajoutée locale, elle, reste marginale. Contrairement aux standards européens ou mondiaux, la CAN n’a pas encore réussi à transformer ses produits dérivés en un pilier financier durable pour les fédérations africaines et pour l’instance organisatrice, la Confédération africaine de football.

Autour des stades, dans les centres-villes et les marchés populaires, le constat est sans appel: le merchandising informel domine. Maillots non officiels, drapeaux, écharpes et casquettes s’imposent comme l’offre principale, accessibles à des prix compatibles avec le pouvoir d’achat local, mais totalement hors des circuits de licence.

Cette réalité reflète à la fois une contrainte économique et une faiblesse de gouvernance. Elle prive la CAF, les fédérations nationales et les États hôtes de revenus substantiels, tout en posant un problème majeur de protection des marques et de crédibilité commerciale. La CAN reste ainsi prisonnière d’un paradoxe, celle d’une compétition suivie par des centaines de millions de téléspectateurs, mais incapable de capter pleinement la valeur économique de sa propre image.

Les signaux d’évolution existent. La professionnalisation progressive de la CAF, l’intérêt accru des sponsors, la montée en puissance du e-commerce et la digitalisation des ventes ouvrent des perspectives nouvelles. À terme, un merchandising mieux structuré pourrait financer une partie des compétitions, soutenir les fédérations les plus fragiles et créer des chaînes de valeur locales dans le textile, le design et la logistique.

Mais pour l’instant, ces ambitions restent largement théoriques. La CAN 2025 agit comme un révélateur: le football africain attire, mais il capte encore trop peu.

Les enjeux financiers au cœur du jeu

Pour Momar Dieng, éditorialiste sénégalais, la CAN dépasse largement le cadre du sport. Elle est d’abord un objet politique, économique et géostratégique. «Il y a de gros enjeux financiers dans l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations. Fondamentalement, c’est une manne à partager», analyse-t-il.

Selon lui, cette manne s’articule autour de plusieurs acteurs: la CAF, les équipes nationales, le pays hôte, les sponsors et les diffuseurs. «La CAF va prendre l’essentiel de la manne financière, puis redistribuer aux équipes selon leur parcours. Une équipe finaliste ne touchera pas la même chose qu’une équipe éliminée au premier tour», rappelle-t-il.

Mais cette redistribution n’est pas sans tensions. «À la dernière CAN, au Sénégal, il y a eu des discussions et des bisbilles autour du partage du butin entre joueurs, staff technique et fédération», souligne Momar Dieng, évoquant les primes conséquentes versées après le sacre de 2021. Pour lui, le problème n’est pas le montant, mais l’absence de règles claires et acceptées par tous.

Autre front sensible de cette CAN 2025, les droits de diffusion. La question de l’accès des populations africaines aux matchs cristallise les tensions. «Les radiodiffusions africaines contestent le quota de matchs qui leur a été alloué», note Momar Dieng. Pour beaucoup, il est incompréhensible qu’une compétition africaine majeure ne soit pas accessible gratuitement à l’ensemble des populations du continent.

Le problème, cependant, est souvent mal posé. Contrairement aux accusations portées dans certaines capitales, la CAF ne distribue pas directement les droits de diffusion. En novembre 2023, elle a attribué les droits exclusifs de la CAN 2024 et 2025 à New World TV pour 46 pays d’Afrique subsaharienne. C’est ensuite à cet opérateur de sous-licencier les matchs aux chaînes nationales.

Dans ce schéma, accuser la CAF de favoritisme apparaît juridiquement fragile. Les éventuelles limitations de diffusion relèvent des négociations contractuelles entre New World TV et les chaînes locales, non d’une décision unilatérale de l’instance africaine.

CANAL+, chaînes locales et faux procès

En Côte d’Ivoire, la polémique s’est cristallisée autour de CANAL+, accusé à tort de manœuvres en coulisses. Or, les faits récents montrent un marché audiovisuel africain de plus en plus concurrentiel. Lors de précédentes compétitions internationales, CANAL+ a lui-même perdu des droits au profit d’acteurs africains, preuve d’une redistribution réelle du paysage.

L’histoire récente de la Coupe du monde ou de la Ligue des champions illustre cette mutation. Ainsi, l’opérateur togolais New World TV s’est imposé comme un acteur central, redistribuant ensuite les droits selon des logiques commerciales classiques. Dans ce contexte, les accusations de complot paraissent davantage relever de tensions internes que d’une stratégie organisée. Sur le plan technique, la CAN 2025 marque en revanche un saut qualitatif indéniable. Selon un consultant de la CAF rencontré à Casablanca, la réalisation audiovisuelle est coordonnée par la SNRT, appuyée par des producteurs européens spécialisés comme Mediapro.

Spidercam, drones, systèmes d’ultra slow motion et autre technologie renforcent l’image de la CAF qui, pour cette CAN 2025, s’offre une captation digne des plus grandes compétitions internationales. Pour son appel d’offre, elle a également retenu la société portugaise Media Luso Produções para Televisão pour assurer une captation aérienne immersive, pour un montant global de 8,5 millions de dirhams. Une démonstration de savoir-faire, mais aussi un rappel que l’excellence technique reste largement dépendante d’expertises étrangères.

La CAN 2025 s’est ouverte sur les pelouses, sous les projecteurs et l’ivresse des tribunes. Mais loin du rectangle vert, une autre rencontre se joue, plus stratégique encore, celle de la capacité du football africain à dépasser l’événementiel pour s’affirmer comme un véritable levier économique, structurant, équitable et souverain. Longtemps reléguées au rang de préoccupations secondaires, les questions de merchandising, de droits audiovisuels et de gouvernance financière se sont imposées au centre et non à la périphérie du jeu et en constituent désormais l’un des centres de gravité. À ce titre, la CAN apparaît, plus que jamais, comme un révélateur des ambitions affichées du football africain, mais aussi de ses tensions et de ses contradictions, à l’heure où la performance sportive ne peut plus être dissociée des exigences économiques et institutionnelles qui en conditionnent l’avenir.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 23/12/2025 à 11h57