Tribune. La souveraineté sanitaire: ce qu’en pensent des professionnels de la santé

Seringue. La souveraineté sanitaire passe par une autonomie en dispositifs médicaux, simples à fabriquer par des mains marocaines (seringues, sérums de perfusion, etc.).

Seringue. La souveraineté sanitaire passe par une autonomie en dispositifs médicaux, simples à fabriquer par des mains marocaines (seringues, sérums de perfusion, etc.). . ZaldyImg

Dans son discours du 8 octobre dernier, lors de l’ouverture de la nouvelle législature, le Roi a indiqué que la crise pandémique avait révélé un retour en force du thème de la souveraineté sanitaire, énergétique, industrielle et alimentaire. Voici ce qu’en pensent des professionnels de la santé.

Le 17/10/2021 à 08h34

Pour le Dr Tahar Lahrech, ancien professeur de pédiatrie, qui œuvre aujourd’hui dans le domaine de la diplomatie culturelle, la souveraineté sanitaire, c’est pouvoir faire face à toutes les situations de santé individuelle ou collective et disposer des moyens et technologies nécessaires pour rendre service à la population en toutes circonstances, sans être dépendant de l'aide extérieure souvent aléatoire et incertaine. Mais, cela exige entre autres, une formation et une disponibilité de professionnels de santé compétents et suffisants.

Encourager la fabrication locale de médicaments essentielsPour le Dr Hafid Oualaalou, pharmacien et fin observateur des questions stratégiques, comme la sécurité énergétique, la sécurité sanitaire est devenue une priorité nationale depuis des années.

La pandémie du Covid a démasqué les grands déficits en matière d'approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux et des vaccins importés.

Plusieurs pays dans le monde ont connu des ruptures importantes en médicaments et en matières premières, contraints d’être localement fabriqués, à cause de la fermeture des frontières et de la spéculation sur leur prix.

Ne seraient-ce que les masques de protection… Ceux-ci ont constitué une tension commerciale entre les pays, même parmi les plus riches. Chacun défendait ses intérêts nationaux en ignorant les principes de solidarité internationale et l'équité sanitaire entre les peuples.

Le Maroc, heureusement, explique le Dr Oualaalou, n'a pas connu la problématique de ruptures de stocks en médicaments essentiels en milieu hospitalier.

En revanche, on a pu noter quelques ruptures de stock en médicaments dans les officines pour des raisons de distribution et de fortes demandes en période de certaines vagues épidémiologiques.

Pour assurer une sécurité sanitaire, particulièrement en médicaments, il est urgent de traiter cette question en concertation entre les ministères concernés, en premier lieu celui de la Santé et celui de l'Industrie.

Et cela, afin de définir tous les aspects techniques, juridiques, de gouvernance, de gestion des stocks de sécurité pour les matières premières, afin d’assurer la fabrication locale des médicaments essentiels.

Cette souveraineté sanitaire passe également par une réelle réorganisation de la pharmacie centrale ainsi que les modalités de lancement des appels d'offres pour l'achat des médicaments et des dispositifs médicaux (DM) en toute transparence financière.

Il est également urgent d'organiser les pharmacies hospitalières en assurant leur gestion par le recrutement de pharmaciens compétents.

La souveraineté médicamenteuse passe par l’encouragement de la fabrication locale de médicaments et de ses génériques, ainsi que de certains vaccins, en partenariat avec des pays amis.

De la sorte, la sécurité sanitaire est assurée par l'approvisionnement régulier en produits stratégiques dans les secteurs public et privé. Il faut prévoir une stratégie commerciale pour plus d'indépendance sanitaire, surtout en période de pandémie.

Pour le Dr Hassan Afilal, pédiatre libéral, président de la société marocaine de pédiatrie, la souveraineté sanitaire passe par une très bonne formation médicale de base dans les facultés de médecine et dans les écoles des sciences infirmières.

Une formation qui doit être épaulée par un bon encadrement dans les hôpitaux, qui doivent être des hôpitaux de pointe et de référence dans les différentes spécialités médicales et chirurgicales.

Il faut ajouter à cela un environnement professionnel optimal, afin que les médecins, formés dans les facultés du Royaume, ne migrent pas à l’étranger.

La souveraineté sanitaire passe par une autonomie en dispositifs médicaux, simples à fabriquer par des mains marocaines (seringues, sérums de perfusion, ou autres…).

Par ailleurs, il faut mettre en place des circuits administratifs d’autorisation pour les médicaments et les dispositifs médicaux, qui soient rigoureux, transparents mais rapides.

Il faut aussi faire bénéficier l’industrie pharmaceutique nationale de mesures incitatives pour produire certains médicaments vitaux, qui, par manque de marge bénéficiaire, n’intéressent plus les multinationales industrielles.

Pour le Pr Moulay Driss Alaoui, ancien chef de service à l’hôpital universitaire des enfants de Rabat, la souveraineté sanitaire passe par des ressources en professionnels de santé suffisantes, par une connaissance approfondie et un suivi périodique de l'épidémiologie des pathologies les plus fréquentes.

Autre pilier: l’éducation sanitaire de toute la population pour le développement de la prévention, par une alimentation saine et par une activité physique régulière.

Le Pr Moulay Driss Alaoui a conclu son propos par le fait que la souveraineté sanitaire passe par une couverture sociale et sanitaire à l'échelle de toute la population, soutenue par un impôt spécifique proportionnel au revenu de chacun citoyen.

Augmenter le niveau de la consommation médicalePour Abdelali Alaoui Belghiti, ancien secrétaire général du ministère de la Santé, la souveraineté sanitaire est cette capacité d’un pays à être autonome dans sa réponse aux crises sanitaires. C’est la capacité de satisfaire à ses besoins stratégiques en matière de médicaments, de sérums, de vaccins, de produits de protection personnelle, etc.

Atteindre cette souveraineté suppose une capacité de créer un marché national suffisant ou, a-t-il dit, le cas échéant, avoir un partenariat hautement stratégique avec un autre pays qui pourrait le servir en priorité.

Pour le Maroc, la recherche de cette souveraineté est confrontée à deux contraintes majeures: la taille de la population, qui n’est pas suffisante pour créer un marché viable, et le niveau de consommation médicale, très faible. La consommation médicamenteuse au Maroc est de 50 DH/hbts contre 500 DH/hbts dans les pays de l’OCDE.

Par ailleurs, la capacité d’hospitalisation est de 6,2% contre, par exemple, 18,3% en France.

En d’autres termes, la capacité de détenir cette souveraineté est liée à la capacité de créer un marché de médicaments et de produits de santé à l'échelle régionale, en Afrique, par exemple, ou dans les pays arabes. Et ce, d’autant que l’industrie du médicament marocaine est compétitive. Mais tout cela, assure Abdelali Alaoui Belghiti, en donnant la priorité à la préférence nationale pour développer un marché national rentable.

Pour le Pr Tarik Sqalli Hassani, vice-doyen de la faculté de médecine de Fès, la souveraineté sanitaire nécessite l'autonomie dans la prise de décision, et dans la définition des orientations générales.

La résilience par le développement d'une capacité d'adaptation aux situations de crise, est un autre pilier de la souveraineté sanitaire. Pour cela, la formation des professionnels de santé doit être polyvalente, et les laboratoires de recherche doivent être développés.

Enfin, des indicateurs de mesure et de suivi de la souveraineté sanitaire doivent être mis en place, profitant de la restructuration du Haut-commissariat au plan (HCP) préconisée par Sa Majesté le Roi dans son dernier discours, a insisté le Pr Tarik Sqalli Hassani.

Pour la Dr Rajae Aghzadi, chirurgienne et membre de la commission du nouveau modèle de développement (NMD), la souveraineté sanitaire passe par une diplomatie sanitaire efficace, protectrice, faisant face aux flux humains qui peuvent métamorphoser l’épidémiologie locale et faire propager de nouvelles maladies. 

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 17/10/2021 à 08h34