Tribune. Les dangers pour les Marocains des cigarettes hors normes

Le campus de recherche et développement de l'entreprise de fabrication de cigarettes et de tabac Philip Morris International, à Neuchâtel, en Suisse romande, le 21 août 2018.

Le campus de recherche et développement de l'entreprise de fabrication de cigarettes et de tabac Philip Morris International, à Neuchâtel, en Suisse romande, le 21 août 2018. . Fabrice COFFRINI / AFP

Aujourd’hui, la cigarette au Maroc est fortement dosée en nicotine, en goudron et monoxyde de carbone par rapport aux normes internationales. Le Tabac au Maroc devrait être soumis à la norme 10-1-10 alors qu’il est à 14-1-14. Il y a un espoir que cela change en 2024 mais à quel prix pour la santé des fumeurs?

Le 10/10/2021 à 13h03

Le tabagisme fait plus de 8 millions de morts chaque année dans le monde. Plus de 7 millions d’entre eux sont des consommateurs ou d’anciens consommateurs de tabac et 1,2 millions sont dus au tabagisme passif.

Le Conseil de gouvernement du lundi 6 septembre 2021, a adopté le projet de décret n°2.21.235 fixant les taux maximums de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone dans les cigarettes.

La norme internationale « 10-1-10 » (10 mg de goudron, 1 mg de nicotine et 10 mg de monoxyde de carbone maximum par cigarette) a été retenue.

A aujourd’hui, ce taux au Maroc est de 14 mg de goudron, 1 mg de nicotine et 14 mg de monoxyde de carbone. Pour un petit pourcentage de cigarettes commercialisées au Maroc, il est de 12 mg. Ce sont des taux excessifs et doivent être interdits de marché s’accordent tous les spécialistes de santé publique

Cette mesure, une fois appliquée et elle ne le sera qu’en 2024, vise à aligner la législation marocaine avec les normes internationales en termes de limites maximales en goudron, en nicotine et en monoxyde de carbone.

Et les cigarettiers marocains devront donc se mettre à niveau en respectant la norme «10-1-10» (10 mg de goudron, 1 mg de nicotine et 10 mg de monoxyde de carbone maximum par cigarette).

Il se trouve que le législateur marocain a donné 3 années aux industriels de la cigarette pour se conformer à ces normes.

Si cela paraît compréhensible et bien venu pour l’industriel du Tabac, cela reste inadmissible sur le plan de la santé et celui de l’économie de la santé. Quelles altitudes a la nouvelle Ministre de la santé pour influencer le législateur à accélérer le processus de la mise à norme de la cigarette marocaine

Plusieurs arguments scientifiques justifient l’accélération de ce processus.

Le monoxyde de carbone est un gaz toxique directement responsable de la diminution des capacités physiques et sexuelles. Une fois inhalé via la fumée de cigarette, il passe très rapidement dans le sang et se fixe aux globules rouges en lieu et place de l'oxygène.

La nicotine provoque l'augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque et elle augmente le métabolisme.

Le goudron contenu dans la cigarette est classé cancérogène, en raison notamment de la présence de particules cancérogènes en quantité importante (8 400 mg/kg à 12 500 mg/kg), pouvant entraîner des cancers cutanés, du poumon et de la vessie.

Et contrairement à la nicotine, les effets nocifs du goudron ne sont pas observés immédiatement. Il se dépose insidieusement principalement dans les voies respiratoires et dans les poumons. Le goudron se loge également dans les émonctoires (fonctions de l’organisme humain qui permettent l’élimination des déchets ) et peut être à l’origine d’un cancer de la vessie.

Comme une cigarette ne contient pas que du tabac, on y ajoute des composants chimiques.

En étant consumées, les cigarettes disséminent 4.000 substances.

Une cigarette contient plus de 2.500 composants chimiques. Même fumée et jetée, la cigarette pollue encore 12 ans avant de disparaître.

Le tabac tue trois fois plus que les homicides + l’alcool + les accidents de voiture + le sida + les suicides réunis.

Un fumeur sur deux mourra prématurément d’une maladie due au tabac.

Une cigarette, c'est, dit-on, sept minutes de vie en moins.

L’environnement souffre lui aussi de la production et de la consommation du tabac...

Un hectare de bois est coupé pour sécher 1 hectare de tabac.

Une machine à cigarette utilise 6 kilomètres de papier à cigarette par heure.

Un paquet de cigarette c’est un film de plastique, un film d’aluminium, du carton, un film de cellophane. Avant d’être distribuées, les cigarettes parcourent des dizaines de milliers de kilomètres.

Par ailleurs, il faut rappeler que le tabac fait environ 6 millions de victimes par an dans le monde. 

Ce chiffre pourrait atteindre 8 millions en 2030. Les décès font suite, dans la majorité des cas, à un infarctus du cœur, à un accident vasculaire cérébral, à un cancer, à une pneumopathie ou à une autre maladie liée au tabac.

Le plus inquiétant est que peu de Terriens en sont conscients, le tabac tue 1 adulte sur 9 sur la planète où il représente la 2ème cause de mortalité.

Selon l’OMS, le tabac, qui a fait 100 millions de morts au XXe siècle, pourrait en faire 1 milliard au XXIe siècle. Et 1 fumeur sur 2 mourra prématurément d'une maladie due au tabac.

Une législation en faveur des industriels du tabac aux dépends de la santéAu Maroc, la seule entreprise de fabrication et de commercialisation de produits de tabac est la Société marocaine des tabacs (ex-Régie des tabacs).

Près de 80% des marques de cigarettes vendues au Maroc ne seraient pas conformes à la norme 10-1-10.

Et une fois les nouvelles normes adoptées, les cigarettiers devront veiller au respect du dosage des composants. Dans ce sens, le LOARC (Laboratoire officiel d’analyses et de recherches chimiques), relevant du ministère de l’Agriculture, devra et doit jouer un rôle indéniable de contrôle du respect de la norme.

Un autre obstacle devant la réelle entrée en vigueur de la loi fixant les normes autorisées en goudron, en nicotine et en monoxyde de carbone, il faut attendre que le nouveau gouvernement publie un arrêté ou une circulaire définissant les modalités de prélèvement des échantillons de cigarettes.

Le législateur a prévu que le ministère de la Santé puisse adresser au LOARC une fois par an et de façon inopinée un échantillon de cigarettes pour analyse afin de s’assurer de la conformité des teneurs inscrites sur l’emballage.

D’accord, mais en attendant, quelle est la position du ministère de la Santé, quant aux dépenses de santé dus à la consommation de cigarettes fortement dosées d’ici 2024, date prévue pour la commercialisation au Maroc de cigarettes aux normes internationales?

Un autre constat, en faveur de l’accélération du processus législatif, émane du fait que selon plusieurs experts, les cigarettes importées de Suisse vers le Maroc sont bien plus fortes et plus nocives que celles qui sont fumées en Europe. Des tests de laboratoire, montrent que l’industrie du tabac appliquerait un double standard: les cigarettes vendues en Afrique seraient plus toxiques que celles fumées en Europe.

Une importation favorisée par un marché marocain libéralisé, des lois non promulguées et des industries du tabac à la recherche de nouveaux fumeurs à conquérir, jeunes et moins jeunes, ajoutez à une souplesse de la réglementation suisse, qui serait moins regardante sur les agissements des géants mondiaux du tabac.

D’ailleurs, indique l’ONG Suisse Public Eye, toutes les cigarettes importées de Suisse vers le Maroc sont plus fortes et plus nocives…

La Suisse exporte les trois quarts de sa production de cigarettes, et le Maroc en est le deuxième pays de réception, après le Japon et avant l’Afrique du Sud.

Selon la douane marocaine, environ 22% des cigarettes fumées au Maroc viennent de Suisse, soit 2 900 tonnes annuelles. A la tête des importations: Philip Morris International et Japan Tobacco Imperial, deux groupes dont les sièges sociaux sont installés dans la confédération helvétique et qui vendent leurs Malboro, Camel et Winston au Maroc depuis la libéralisation du marché du tabac, en 2011.

Enfin, il faut rappeler que le Maroc a été le premier pays de la région à avoir promulgué, en 1991, la loi 15-91 qui stipule l’interdiction de fumer dans les lieux publics et d’interdire de faire de la publicité pour le tabac.

Même si cette loi est entrée en vigueur en 1996, aucun décret d’application de cette loi n’a été publié depuis, jusqu’à nos jours.

Au niveau international, le Maroc avait signé en 2004 la convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), mais à aujourd’hui, le Maroc reste, avec la Somalie, l’un des deux pays de la région de la Méditerranée orientale, qui ne l’ont pas ratifiée.

Oui pour les lois, mais à condition qu’elles soient appliquées et qu’elles sanctionnent les contrevenants dans le cas échéant.

L’une des premières tâches dans ce domaine, de la nouvelle ministre de la Santé sera de veiller à la publication des décrets d’application de la loi antitabac au Maroc, qui interdit de fumer dans les milieux publics.

Et de deux, inciter davantage le gouvernement marocain à ratifier la Convention mondiale de lutte contre le tabac.

Ce n’est qu’ainsi que notre pays pourra se targuer d’être un membre respecté de la communauté internationale sans tabac.

Madame la ministre, vous êtes d’abord médecin, ne l’oubliez pas, la santé des gens est votre seul et noble objectif.

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 10/10/2021 à 13h03