Là encore, les archives françaises elles-mêmes confirment cette réalité. Dans une note officielle datée du 4 février 1924, rédigée par le maréchal Hubert Lyautey (Résident général au Maroc), on peut lire: « (…) avant le Protectorat, l’Empire chérifien étendait nettement son influence au sud de l’Algérie (…). Les oasis sahariennes du Touat, du Gourara et du Tidikelt relevaient depuis plusieurs siècles du Sultan du Maroc. L’autorité du Sultan Moulay Hassan y fut rétablie en 1892, et des gouverneurs marocains y demeurèrent jusqu’à l’occupation française d’In-Salah (1902) qui provoqua des protestations au Makhzen (…) En 1917, le général Gouraud, alors Résident général par intérim, demanda même le retour de Colomb-Béchar au Maroc». Ce document, émanant de l’administration coloniale du Maroc, reconnaît explicitement que la conquête française de ces contrées en 1900-1902 s’est faite contre des représentants du pouvoir marocain en place.
Qu’en disent les sources académiques? L’encyclopédie Britannica rappelle par exemple que «les oasis du Touat, du Gourara et du Tidikelt, un ensemble qui avait fait partie de l’Empire marocain pendant des siècles avant l’arrivée des Français en Algérie, furent annexées par la France en 1901».
À noter qu’à l’époque, des voix éclairées reconnaissaient l’iniquité de cette annexion. Des officiers français, après avoir visité Touat et Tidikelt, furent frappés du caractère marocain de ces oasis. Le capitaine Risso écrivit en 1925 que «le bâti de Tindouf ressemble tout à fait à une petite ville marocaine». Le lieutenant Bijou, en 1928, rapporta la surprise de son expédition en découvrant «trois cités marocaines [à Tindouf] aux maisons bien construites, surmontées de minarets élégants». Et le colonel Charbonneau jugea en 1936 que «le rattachement de Tindouf à l’Algérie fut une erreur géographique flagrante, car on l’a incluse dans le sud algérien alors qu’elle en est isolée, coupant ainsi un passage naturel reliant le Maroc à la Mauritanie à travers le Sahara depuis toujours». Ces témoignages de première main confirment que ces contrées sahariennes étaient marocaines par leur peuplement, leur architecture, leurs traditions, et qu’elles ont été arbitrairement rattachées à l’Algérie coloniale, au mépris de la géographie et de l’histoire.
Leur annexion au début du 20ème siècle n’a rien d’une fable nationaliste. Boualem Sansal n’a fait que le rappeler.
Ce qu’en pense la CIA
Dans un document de la CIA daté du 23 octobre 1963, analysant les conflits frontaliers maroco-algériens, on peut lire que «durant l’administration française du Maroc et de l’Algérie, les redéfinitions successives de la ligne administrative séparant le Maroc français de l’Algérie française ont tendu à favoriser l’Algérie».

En clair, chaque remaniement effectué par l’administration coloniale rognait un peu plus le territoire du Maroc au profit de l’Algérie. C’est pourquoi, dès l’indépendance en 1956, les nationalistes marocains revendiquaient la restitution des «provinces perdues» de l’Est. Allal El Fassi, leader de l’Istiqlal, parlait de «l’Orient marocain» pour désigner toute la zone englobant Tindouf, Béchar, la Saoura, le Touat, etc., jusqu’à Colomb-Béchar.
«Tout le groupe des oasis appartient nominalement au sultanat du Maroc, aussi bien que le Touat»
— Oskar Lenz (1848-1925), géographe austro-hongrois
Les archives du 19ème siècle: quelques exemples probants
De 1879 et 1880, le géographe austro-hongrois Oskar Lenz entreprend un voyage au Maroc qu’il relate dans son «Timbouctou: voyage au Maroc, au Sahara et au Soudan» (2 tomes, publié en 1886-1887). Il sillonne ainsi, depuis Tanger, un vaste territoire qui le conduit à Tindouf et Touat, avant de s’enfoncer en Afrique.
Les informations de Lenz se révèlent de première importance pour l’historiographie. Un témoignage attentif de cet universitaire, qui occupera la chaire de géographie de l’Université de Prague à son retour du Maroc, atteste de la marocanité du Sahara: «Ces oasis se divisent du nord au sud en cinq provinces (…) Tout le groupe des oasis appartient nominalement au sultanat du Maroc, aussi bien que le Touat»
En 1895, François Rebillet («Les relations commerciales de la Tunisie avec le Sahara et le Soudan») désigne Tindouf comme «grand marché du Sud marocain» qui relie le Royaume chérifien à Tombouctou: «Tindouf s’approvisionnait de marchandises à Mogador (Essaouira), du cap Juby (au nord de Tarfaya, face aux îles Canaries) et dans la ville de Ifni». Selon l’auteur, le «chiffre d’affaires que faisait Tindouf avec le Soudan était de 1.700. 000 francs anciens, avant notre occupation de Tombouctou».
Sur le territoire marocain, Tindouf apparait comme un carrefour commercial reliant le sud marocain, le Sahara, et le Soudan.
Dans leur «Historique de la pénétration saharienne» (1900), les historiens A. Bernard et N. Lacroix écrivent: «Le Maroc a entretenu des relations administratives et religieuses avec les oasis du Touat jusqu’à la pénétration coloniale.»
Citons les archives de Touat, traduites de l’arabe et éditées en France en 1926 par A.-G.-P. Martin («Quatre siècles d’histoire marocaine»), qui représentent une source historique inestimable sur la souveraineté marocaine sur le Sahara oriental. Ainsi pour la période 1860-1900, A.-G.-P. Martin publie la liste des noms des 30 derniers gouverneurs marocains envoyés par les sultans, que nous reproduisons ici:
Page 1 Tableau du commandement des Oasis
, in «Quatre siècles d’histoire marocaine: au Sahara de 1504 à 1902, au Maroc de 1894 à 1912», A.-G.-P. Martin, Éditions F. Alcan, 1926 (Paris).
Les cinq derniers commis de l’État marocain furent:
–Lahmid ben Lahcen le Delimi (Saoura et Touât réunis) (1891)
–Hassan ben El-Hadj Mhammed (1892)
–El-Hadj Ahmed ben Rezzouk El-Bokhari (1895)
–Mohammed ben Amor le Merrakchi (1896-1900, tué par les Français à Timimoun)
–Idris ben El-Kouri le Cherradi (1896-1900, fait prisonnier par les Français à Inghar)
Les deux derniers fonctionnaires en place en 1900 connaitront une triste fin: l’un assassiné et l’autre capturé par les Français. L’année 1900 sonne, définitivement, le glas de la pénétration française, le sac de Touat et la spoliation du Sahara marocain oriental.
Tindouf et le Sahara oriental: du Maroc à l’Algérie post-coloniale
Tindouf a une histoire emblématique, devenue aujourd’hui le repaire des miliciens du Polisario que l’Algérie a installé sur son sol. Fondée en 1852 par les tribus nomades Tajakant, la ville a été un carrefour commercial du sud marocain, reliant le Maroc aux routes de Tombouctou. Des sources comme Ernest Mercier la qualifiaient en 1888 de «grand marché du Sud marocain», s’approvisionnant via Mogador (Essaouira), Cap Juby ou Ifni. Jusqu’au début du 20ème siècle, l’administration marocaine y nommait des caïds sous l’autorité du khalifa (gouverneur) de Tafilalet.
La France ne s’empara militairement de Tindouf qu’en 1934 – relativement tard donc – et l’intégra d’abord à la zone militaire du sud marocain, compte tenu de son lien évident avec le Maroc. Ce n’est qu’ultérieurement que l’oasis fut transférée sous l’autorité du gouverneur général de l’Algérie. Chose frappante, même alors, personne ne contestait la marocanité de la région. En effet, lorsque le Maroc recouvra son indépendance en 1956, Tindouf était toujours administrativement rattachée à la région marocaine d’Agadir (tout comme d’autres localités sahariennes frontalières, par exemple Fort-Trinquet/Bir Moghreïn en Mauritanie). Cela signifie qu’aux yeux des autorités françaises de l’époque, Tindouf relevait du Maroc jusqu’à cette date.
Que s’est-il donc passé pour que Tindouf devienne algérienne? La réponse se trouve dans les soubresauts de la décolonisation des années 1960. En juillet 1962, l’Algérie devient indépendante. À ce moment-là, l’armée française était encore présente à Tindouf, qu’elle n’évacua qu’en octobre 1962. Or, durant l’été 1962, juste après l’indépendance algérienne, les tribus de Tindouf (notamment les Tajakant et les Rguibat) proclamèrent leur allégeance au Roi du Maroc. Pour elles, il allait de soi que le départ des Français signifiait le retour de Tindouf dans le giron du Maroc, son ancienne autorité légitime. Le drapeau marocain fut même hissé à Tindouf par la population en liesse en juillet 1962.
La suite est tragique. Le nouveau gouvernement d’Alger, dirigé par Ben Bella, refusa catégoriquement de négocier la moindre rectification frontalière avec le Maroc, en dépit d’un accord préalable signé en 1961 entre le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et le Maroc, qui prévoyait de régler par la négociation «le problème territorial résultant des frontières arbitrairement imposées par la France». Ben Bella balaiera cet engagement d’un revers de main, déclarant que les terres libérées «par le sang des martyrs» ne sauraient être négociées. Ainsi, dès septembre-octobre 1962, des unités de l’ALN (Armée de libération nationale) algérienne font mouvement sur Tindouf.
Le 3 septembre 1962, les forces algériennes ouvrent le feu sur une manifestation d’habitants de Tindouf qui réclament le rattachement à leur patrie marocaine historique. Le 2 octobre 1962, sous la contrainte, le caïd local (représentant marocain) doit baisser le drapeau marocain qui flottait sur la kasbah. Enfin, le 8 octobre 1962, l’armée algérienne occupe militairement Tindouf: le caïd et les notables marocains sont expulsés manu militari et nombre d’habitants pro-marocains fuient vers le Maroc après une répression violente. Ces incidents firent des victimes. Le roi Hassan II lui-même en a témoigné plus tard: «À Tindouf, où le caïd et toute sa tribu affirmaient qu’ils étaient marocains, l’Algérie a envoyé 600 gendarmes pour les réprimer. La campagne militaire algérienne y a fait 100 morts parmi nos compatriotes», écrit-il dans «Le Défi»
Par la force des choses, Tindouf la Marocaine est devenue Tindouf l’Algérienne en 1962. Le Maroc, meurtri mais fraîchement indépendant, privilégie de régler ce différend dans le cadre de négociations. Hélas, ces pourparlers n’aboutiront jamais: dès 1963, la guerre des Sables éclate entre les deux pays au sujet de ces territoires frontaliers (régions de Tindouf et de Colomb-Béchar). Le conflit, bref mais intense (automne 1963), se conclut sous l’égide de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) par un cessez-le-feu. Le Maroc, malgré des victoires militaires, se retire et attend l’arbitrage de l’OUA. Cependant, il se fait piéger un an plus tard en 1964, lorsque l’organisation africaine, avec en tête d’affiche l’Algérie, décide d’adopter le principe de l’intangibilité des frontières coloniales, lors du sommet du Caire. Ce principe qui dit en gros que chaque pays décolonisé se doit de garder les frontières léguées par le colonisateur, bloque toute révision, même si ces frontières ont été tracées de manière arbitraire, en privant, pour le moment, le Maroc de territoires qui lui appartenaient.











