Dans une société marocaine encore marquée par l’empreinte de l’analphabétisme, l’école a longtemps été perçue comme un ascenseur social incontournable. Mais cette valorisation de la réussite académique cache une réalité bien plus préoccupante: celle d’une pression scolaire croissante, souvent négligée, qui pèse lourdement sur les épaules des élèves. Les centaines de milliers de candidats au bac de cette année ne vous diront certainement pas le contraire.
Une question d’héritage
«Le Maroc était formé d’une population qui n’était pas lettrée, nous sommes en train de généraliser l’enseignement», rappelle la sociologue Soumaya Naamane Guessous. Cette mémoire collective du Maroc analphabète nourrit l’obsession pour la réussite scolaire, vue comme la seule échappatoire vers une vie meilleure. Même dans un marché de l’emploi incertain, le diplôme continue d’incarner l’espoir.
Mais cette pression ne repose pas uniquement sur les traditions. Elle est renforcée par les inégalités structurelles du système éducatif. Les familles aisées investissent dans des cours particuliers et des études à l’étranger, tandis que les plus modestes s’en remettent à une école publique souvent démunie. Pour ces dernières, la réussite devient non seulement un enjeu personnel, mais aussi un combat familial.
Des attentes mal exprimées
Le psychologue Mohssine Benzakour pointe du doigt le rôle parfois involontairement oppressif des parents. Animés par l’amour et le souci du futur de leurs enfants, ils expriment leurs attentes de manière maladroite, projetant leurs espoirs sur des élèves parfois en décalage avec ces aspirations. «Beaucoup d’élèves ne travaillent pas pour apprendre, mais pour satisfaire leurs parents», déplore-t-il.
À cela s’ajoute le rôle ambivalent des enseignants. Soucieux de motiver, certains usent de discours alarmistes qui, loin de stimuler, accroissent le stress. Résultat, une ambiance générale d’angoisse, nourrie par une «contagion émotionnelle» entre élèves, selon Benzakour. Les conséquences peuvent être graves: insomnies, isolement, troubles alimentaires, voire pensées suicidaires.
Une pression omniprésente, y compris chez les meilleurs
Contrairement aux idées reçues, la souffrance ne touche pas uniquement les élèves en difficulté. «Réussir ses examens ne veut pas dire qu’on n’a pas souffert», insiste le psychologue. L’orientation post-bac, les attentes sociales ou familiales pèsent aussi sur les plus brillants. La pression est partout, seule son intensité change.
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Les signes d’alerte existent pourtant: isolement, discours décourageants, comportements à risque. Les repérer et agir en amont devient crucial. Le genre joue aussi un rôle: «Les filles sont souvent plus touchées par la pression», estime Benzakour, en raison d’attentes culturelles plus strictes dans certains foyers.
Repenser la réussite, libérer la parole
Pour les deux spécialistes, il devient urgent de déconstruire le mythe du diplôme comme unique voie de réussite. Les formations en alternance, les métiers techniques ou numériques offrent aussi des perspectives d’avenir stables. Il faut diversifier les horizons et encourager des parcours personnalisés.
Autre levier fondamental, la santé mentale. Encore taboue dans de nombreuses familles marocaines, elle doit devenir un sujet de discussion ouvert. Aller chez le psychologue ne doit plus être perçu comme une faiblesse, mais comme un acte de lucidité. Parents, enseignants et institutions doivent être sensibilisés à ces enjeux et formés à détecter les signaux de détresse. Car aucun diplôme, ni rien d’autre d’ailleurs, ne mérite de coûter sa santé mentale ou psychique à un enfant.