En 2020, cet enseignant français de 47 ans a été égorgé près de son collège, en région parisienne. L’affaire avait fait le tour du monde. L’assassin était un extrémiste tchétchène. Mais l’affaire avait démarré bien avant, quand l’enseignant avait décidé de montrer à ses élèves les fameuses caricatures du prophète, après avoir invité les âmes sensibles à sortir de la classe. L’une des collégiennes, pourtant absente ce jour-là, s’en est ouverte à son père. Ce dernier a multiplié les protestations, bientôt rejoint par d’autres personnes. Et la machine infernale s’est emballée.
Samuel Paty s’est ainsi retrouvé au cœur d’une cabale qui a fini par lui coûter la vie…
En suivant le déroulé du procès Paty, qui vient de se clôturer il y a peu avec, entre autres, de lourdes condamnations pour les Marocains Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, je me suis rappelé qu’un film marocain, absolument remarquable, avait tenté de s’emparer de cette histoire. Le film s’intitule «Amal, un esprit libre», il est sorti en 2023 et mérite absolument d’être (re)découvert. Au Maroc surtout, où on ne le connaît presque pas.
Le réalisateur, Jawad Rhalib, un garçon intelligent qui nous vient du documentaire, a transposé l’histoire en Belgique, qu’il connaît mieux que la France. Son Paty à lui est une femme (Lubna Azabal, impeccable) qui veut enseigner à ses élèves l’art d’Abou Nouwas, extraordinaire poète épicurien de l’ère abbasside, qui vantait les plaisirs de l’enivrement: par le vin, et par l’amour.
«Amal, le film et le personnage, n’est qu’une fiction. Mais elle vous prendra à la gorge, parce que Amal n’est que le prototype de cet enseignant de culture musulmane qui lutte, de bonne foi, contre la montée de l’extrémisme.»
L’enseignante désire faire passer l’idée que la culture islamique a su être tolérante et ouverte durant de longs siècles, avant de se dessécher et de se rétrécir comme une peau de chagrin. Un Abou Nouwas, comme un Omar Khayyam, n’avait pratiquement pas d’équivalent dans l’autre monde, en Occident.
Mais le message passe mal. La classe se ligue majoritairement contre l’enseignante, les parents d’élèves s’en mêlent aussi. Et l’enseignante se retrouve dans l’œil du cyclone. Comme Paty ou presque…
Le dispositif dramatique fonctionne à merveille, avec des enchaînements et une montée de la violence, et plus encore de la bêtise, jusqu’au déchaînement final…
Amal, le film comme le personnage, n’est qu’une fiction. Mais elle vous prendra à la gorge parce que Amal n’est que le prototype de cet enseignant de culture musulmane qui lutte, de bonne foi, contre la montée de l’extrémisme, et contre l’ignorance qui se propage comme un feu de forêt parmi la jeune génération. Un homme ou une femme seuls, désespérément seuls, incompris, qui finiront broyés par la bêtise et l’ignorance.
Un film comme celui-ci devrait être montré à la télévision marocaine, et même dans les associations de quartier. Il est d’utilité publique. Il faut le décortiquer pour tenter de comprendre les ressorts de la bêtise et de ce mal qui ronge nos sociétés.
Le mécanisme qui a conduit à la décapitation de Samuel Paty dépasse de loin le seul cadre des banlieues françaises ou belges. C’est un monstre, et il est plus vivant que jamais. Le cinéma, à travers ce beau film de Rhalib, nous rappelle que nous sommes directement concernés.