Parlons de notre formidable vie d’avant, quand le ftour était accompagné par la musique andalouse. Al Ala. On la passait et repassait jusqu’à la nausée. Ça ronronnait à la télévision pendant que les familles passaient à table et que les bruits de mastication et des ustensiles de cuisine créaient un tel tintamarre que toute conversation devenait impossible.
Tant mieux, puisqu’il est déconseillé de parler la bouche pleine.
J’imagine la tête de nos directeurs de programmation de l’époque. Ils n’étaient tenus par aucun objectif d’audience, puisque la concurrence n’existait pas. La pub tombait toute seule, sans démarcher rien ni personne. Ils pouvaient alors programmer ce qu’ils voulaient. Nous étions un peu leurs cobayes. C’était formidable.
Le chef devait alors demander au sous-chef:
- De quoi les Marocains ont-ils besoin au moment de rompre le jeûne?
- Donnons-leur Al Ala, chef. C’est idéal pour la digestion.
- Ça ne risque pas de les endormir?
- Euh oui, chef. C’est un problème?
- Au contraire! Et s’ils ne l’aiment pas, ils n’ont qu’à couper le son ou éteindre la télé.
Et l’affaire était conclue. Nous sommes des générations à avoir subi le ronronnement magique du Tarab Andaloussi sans broncher. Il n’y avait ni débat, ni polémique, ni rien. On ne se plaignait pas. Le zapping n’existait pas, il n’y avait aucun motif d’entrer en guerre avec les autres pour s’emparer de la télécommande.
La minorité qui aimait le Tarab Andaloussi était en extase. Pour les autres, c’était un excellent somnifère. Et tout le monde y gagnait. Paix totale, Pax Romana.
Mais ça, c’était avant.
Depuis l’arrivée du zapping et de la concurrence, les chaînes de télévision se font la guerre pour gagner à l’audimat et capter les plus grosses parts de marché pub. Le fameux Tarab Andaloussi est passé à la trappe. Trop ronronnant et pas assez accrocheur. Il fallait trouver autre chose.
C’est le moment de retrouver le chef et le sous-chef, avec une poignée de conseillers qui viennent de conclure une séance de brainstorming, une formule savante qui cache souvent une misère: beaucoup de bla-bla pour pas grand-chose.
- Alors, les enfants, une idée pour divertir les Marocains et les dissuader d’éteindre leurs téléviseurs?
- Le rire, chef. Donnons-leur des sitcoms, des sketchs, des gags, des caméras cachées…
- Bien vu, les enfants. Mais du rire familial, facile, lisse et gras, reposant, surtout pas transgressif.
Et c’est ainsi que, de saison en saison, on s’est retrouvé avec des sitcoms stéréotypées, de plus en plus vides de sens, avec des figures de style et des archétypes récurrents, qui rappellent la Halqa et le théâtre forain, quand il fallait forcer les traits et crier très fort pour retenir l’attention de tout le monde: un paysan fâché avec la modernité, une belle-mère survoltée, une marmaille gaffeuse, une amourette contrariée, des voisins envahissants, des gaucheries à n’en plus finir.
Des clowneries que tout le monde se plaît à massacrer, mais qui cartonnent à l’audimat. Du coup, impossible de les déprogrammer. Le chef les reconduit de saison en saison. On ne change pas une formule qui marche, même quand elle est mauvaise.
Le dernier avatar en date s’appelle «Oulad Izza». Oui, c’est nul, et alors? Du moment que ça remplit le cahier des charges…
Vous allez me dire que ce «truc» a déclenché la colère du corps enseignant parce que l’un des personnages principaux est un instituteur qui fait le débile. D’accord. Mais quand ce n’est pas l’instit’, c’est le fqih, l’avocat, le mécano, l’agent immobilier, etc.
Soyons sérieux: le problème, ce n’est pas le métier, mais le ciblage et l’idée que l’on semble se faire du téléspectateur moyen. Le problème, ce n’est pas le rire, mais la mauvaise écriture, la réalisation expéditive.
Le plus choquant, c’est la médiocrité. C’est le flot incroyable de spots (HACA, où es-tu?) qui ensevelit la télévision marocaine au moment du ftour. Et c’est le cliché du paysan, le «aroubi», que l’on continue de prendre pour un…
Oui, c’est choquant.
Et sinon, pour éviter de rire idiot, éteignez la télé et allez sur le Net. Surtout au moment du ftour. Cherchez le one man show d’un certain Bassou. Il est drôle et offensif. Et il fait de meilleurs scores que les «trucs» de la télé. Heureusement!