Le syndrome du nid vide: quand les enfants quittent le cocon familial

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueMon Dieu, que le temps passe vite! Hier, j’ai mis au monde «hbiba diali» (mon chéri); aujourd’hui il est bachelier!

Le 14/07/2023 à 11h02

Le Bac? C’est maman qui l’a passé: le stress des cours supplémentaires, les accompagnements, faire le psychologue, supporter ses sauts d’humeur, calmer le père qui trouve que je le néglige, que je cède trop aux fchouch (caprices) de hbiba diali, payer les livraisons des repas car, meskine (le pauvre), il ne supporte plus les repas faits maison, recevoir sa horde d’amis avec lesquels il prépare son exam, les nourrir...

Le stress des pré-inscriptions.

Papa ne dit plus waldi (mon fils), mais waldek (ton fils). Mais une fois les résultats proclamés: «Tbaaarkallah, waldi a eu le bac».

La fête! La maison déborde de copains et copines et de membres de la famille qui viennent féliciter le bachelier. Le budget familial explose, maman et les employés de maison sont épuisés. Papa râle.

Passons aux choses sérieuses: quel établissement supérieur, quel pays?

Les parents: «Il y a de bonnes écoles au Maroc lahbiba dyali.» Réponse catégorique: «Jamais au Maroc».

Je comprends: découvrir d’autres cieux et échapper aux parents. Je suis passée par là!

Pleurs, sanglots, supplications… La majorité des parents ne peuvent pas assumer les frais de scolarité à l’étranger. D’autres se ruinent, s’endettent, vendent des biens. Très peu ont les moyens de réaliser le rêve de leurs enfants.

Choisir le bon établissement. Le visa, la galère!

Le départ! Les larmes de maman sont intarissables. Elle reçoit la famille et les amis pour dire trik slama au bachelier (bonne route). Thé, café, jus, gâteau, repas…

Si les moyens le permettent, maman accompagne lahbiba pour l’installer.

Papa rabâche les mêmes conseils qui énervent le bachelier, qui se dit en son for intérieur: «Wa safi, fhamna assahbi (on a compris)». «Contrôle tes dépenses, ferme bien ta maison, attention à tes papiers, à tes fréquentations, aux loisirs… Cigarette, drogue, alcool…».

L’aéroport. Excédent de bagages. Papa s’énerve, maman le calme.

Si maman n’accompagne pas lahbiba, embrassades, pleurs, sanglots… Dernières recommandations. Difficile de couper le cordon ombilical.

Larmes de tristesse de maman. Larmes de joie du bachelier.

Si maman a accompagné lahbiba pour l’installer, elle le quitte dans le déchirement, la souffrance. Ni voyageurs ni hôtesses de l’air ne réussissent à tarir ses larmes.

Retour au foyer. «‘La slama. Comment vas-tu après la séparation avec lahbiba dialek?» Famille, amis, thé, café, jus, gâteau, repas…

Maman est épuisée. Elle pleure.

Papa explose: «Wa baraka alalla (assez), wily, ton gosse n’est pas mort, il a été réaliser son rêve».

Maman: «Kalbake hajra (ton cœur est de pierre)!»

Maman, angoissée, multiplie les appels vidéo, donne des conseils. Plus l’année avance, moins le bachelier répond au téléphone.

Il appelle juste pour demander comment faire fonctionner la machine à laver, cuire un œuf et surtout se plaindre quand il déprime. Il n’appellera jamais pour dire que tout va bien!

Maman envoie à manger, de peur que lahbiba crève de faim. À chaque fois que quelqu’un voyage, elle lui fourgue des kilos de ch’hiwates.

Papa dort mal car maman est sujette à des insomnies. Papa s’énerve: «Si au moins je perdais mon sommeil pour du plaisir! Walou (rien) depuis le départ de waldek, lhame tkhawa (nous sommes devenus frère et sœur!»

Les tensions augmentent avec les problèmes financiers. Le bachelier demande des rallonges car la vie est trop chère. Maman persécute papa, envoie des sous en cachette, vend des bijoux…

Avec les autres enfants, les mêmes scénarios se répètent et se ressemblent. La tension grossit. Un jour la maison se vide. Plus que maman et papa.

Le syndrome du nid vide: tristesse, angoisse, sentiment d’abandon… Tout s’écroule: les habitudes, les occupations, l’organisation… Il faut reconstruire une nouvelle vie conjugale.

Papa et maman n’ont vécu que pour leurs enfants. Ils se sont sacrifiés corps et âme et ont oublié leur couple.

Une fois en tête à tête, ils sont deux étrangers qui cohabitent. Ils n’ont plus rien à se dire.

Maman fait le bilan et réalise que sa vie conjugale n’a été que contraintes et obligations. «J’ai gâché ma vie». Elle en veut à papa. Règlement de comptes. Papa ne comprend pas qu’elle cherche de la reconnaissance et de l’attention pour compenser le vide affectif.

Papa lui reproche de le négliger et de ne s’intéresser qu’à ses enfants, surtout si elle devient grand-mère.

Papa souffre de solitude, il sort chercher du réconfort ailleurs.

Maman s’absente plus souvent pour aller chez ses enfants, s’occuper de ses petits-enfants.

Papa découvre de nouveaux plaisirs avec des jeunettes. Il retrouve sa joie de vivre.

Les enfants s’épanouissent.

Maman se fane, se décompose. Elle est aigrie! Elle souffre de l’ingratitude des enfants et de papa: «J’ai tout donné. Je n’ai rien reçu!»

Moralité?

Tu as trop donné, maman. À chercher la perfection, tu t’es vidée!

Tu aurais dû être un peu égoïste. Exister pour toi.

Papa et toi auriez dû préserver votre intimité, vous offrir des moments de plaisir, de détente et de loisirs à vous deux.

Vous auriez dû tisser une relation de couple solide et développer des activités, des intérêts en commun qui perdurent au-delà du départ des enfants.

Vous auriez échappé au syndrome du nid vide.

Donner des chances de réussite aux enfants, oui, mais pas au détriment de vous-mêmes et de votre couple.

La dernière étape de la vie conjugale peut être vécue dans l’harmonie: de nouvelles activités pour combler le vide, des tête-à-tête agréables.

Un repos bien mérité, vécu dans l’affection et la douceur!

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 14/07/2023 à 11h02

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

C’est normal que la maman s’inquiète pour sa fille. C’est normal aussi que le fils appelle juste pour demander comment faire fonctionner la machine à laver ou cuire un oeuf. Cependant, ‘’lahbiba’’ citée et répétée six foix dans le texte - et vous le précisez sciemment dans le commentaire - pour désigner le garçon. Là, j’ai relu attentivement pour avoir le coeur net, et relève une phrase : « Si maman a accompagné lahbiba pour l’installer, elle le quitte dans le déchirement, la souffrance. » Que serait sa réaction si ses copains entendent sa mère l’appeler « lahbiba dyali »? Est-ce le syndrome du nid vide?

Merci beaucoup pour ces précisions pertinentes relativement au développement d’adolescence pré-adulte, et l’accompagnement au stade d’indépendance affective et sociale. Bonne année 1445 Hégire. Et bonne santé !

Oui, tout est normal. Mais il est vrai que dans notre société, dès que les garçons sont adolescents, ils ne disent plus mama ou baba en parlant de leur parents. Leurs copains se moquent d'eux. C'est comme si le fait de prononcer ces mots portait atteinte à leur virilité. Quand c'est une femme adulte qui dit mama, c'est pareil, on se moque d'elle. Moi-même, dans mes interviews, je ne dis pas mama ou baba, mais al oume dyali ou al abe dyali ! On entend des Français très âgés dire "Papa, maman en parlant d'eux même à des journalistes. Des automatismes avec lesquels nous fonctionnons inconsciemment. Le garçon va dire lwalida et éviter les mots maternels tendres sinon ses copains se moquent de lui. c'est sa façon de couper le cordon ombilical. Désagréable pour les parents. Bonne année

Oui, Driss, je suis d'accord avec vous. Mais j'ai voulu présenter dans cet article un type particulier de maman. De toute manière la femme de la campagne, arabe ou amazighe, est loin du schéma que je présente. Ce n'est pas elle qui a l'opportunité de gâter ainsi son fils ou sa fille qui prépare le Bac, ni de l'envoyer faire des études à l'étranger. Avec la sécheresse, les familles arrivent à peine à se nourrir et nourrir leur bétail, quand elles en ont encore. La maman aurait pu l'appeler aussi lakbida dyali, ouldi... En fait je me moque un peu des mamans qui en font beaucoup avec leurs enfants ! Je vous remercie pour votre commentaire et vous souhaite une très belle semaine et surtout une très bonne année.

Chère madame Guessous, la remarque qui va suivre n’ est nullement une critique à votre encontre, mais juste une invitation à nous tous à réfléchir à la sémantique des appellations qu’on utilise au quotidien. Dans votre commentaire, vous parlez de femme arabe et de femme amazighe. Les femmes arabes ne sont-elles pas en Arabie à des milliers de kilomètres du Maroc, et que dans ce dernier, il n’y a que des femmes marocaines dont la/les langues maternelles est/sont la darija et/ou l’ amazighe? La darija a une matrice linguistique fortement amazighe et un lexique éclectique contenant des mots arabes, amazighes, espagnols, et j’ en passe.

Chère madame Guessous, la remarque qui va suivre n’ est nullement une critique à votre encontre, mais juste une invitation à nous tous à réfléchir à la sémantique des appellations qu’on utilise au quotidien. Dans votre commentaire, vous parler de femme arabe et de femme amazighe. Les femmes arabes ne sont-elles pas en Arabie à des milliers de kilomètres du Maroc, et que dans ce dernier, il n’y a que des femmes marocaines dont la/les langues maternelles est/sont la darija et/ou l’ amazighe? La darija a une matrice linguistique fortement amazighe et un lexique éclectique contenant des mots arabes, amazighes, espagnols, et j’ en passe.

« Un peuple est une multitude d'hommes, vivant dans le même pays et sous les mêmes lois. Une nation est une multitude d'hommes, ayant la même origine, vivant dans le même État et sous les mêmes lois. » ( François Guizot ,1822 ). Selon cette définition, le Maroc ,constitué de groupes de populations ayant des origines, des langues ,des traditions ,des normes ,des couleurs ,voire des religions différentes ,serait plus ‘’ un peuple ‘’ qu’une ‘’ nation’ ’Il ne serait pas exact ,de considérer la culture de l’une des composantes de la sté marocaine comme étant la culture de tous les marocains! Une femme de la campagne ou une amazigh appellera son fils « Oulidi » ou «Illy » et pas « lahbiba dyali.»

j'ai beaucoup aimé le mot de Mansouri :A wadi lahla yhrag fik chi 3dam. Amiiiiine. lahbiba, dans certaines familles, est dit aussi pour les garçons. Je l'ai utilisé en fait pour parler des deux sexes. Houssine, c'est vrai que les papas angoissent aussi pour l'avenir de leurs enfants, sauf que la maman le fait aussi physiquement. Autour de moi, je constate que les mamans en font beaucoup, parfois trop, pour leurs enfants. Les mamans ont une relation fusionnelle avec les enfants, souvent trop émotionnelle, alors qu'avec les papas, c'est différent même si la relation d'amour est indiscutable. Votre réaction, Houssine, et le fait que vous parliez de clichés prouve que la relation père-enfant est en mutation, Je vous remercie pour vos commentaires.

Bonsoir Madame Guessous ; Personne ne peut contester votre conclusion à propos de l’amour sans limite, et du sacrifice sans calcul ,des mamans à l’égard de leurs enfants. Ce qui m’a interpelé ,en revanche, c’est votre illustration !L’échange familial que vous nous avez transcrit serait plutôt celui d’une famille bourgeoise ,ou petite-bourgeoise, citadine et plus précisément d’origine andalouse. Je ne peux pas imaginer ,en effet, une maman d’Oulad Haddou, Khmis Zemamra ou Guercif …dire à son fils : Chouf a lahbiba dyali,il y a de bonnes écoles au Maroc, mieux classées que Polytechnique,Centrale, HEC…mais si tu veux aller en France, j’en ai déjà parlé à ton papa Bouchaib Ould El Fatmia,qui a accepté que je t’accompagne et a introduit une demande de visa à présenter à la « 9amra de França ».

Je me demande pourquoi vous utilisez Lahbiba alors que vous vous référez à un garçon? Ne serait-il pas plus usuel d’ utiliser le mot Lahbib? I simply wonder?!

Article touchant,merci professeure Soumaya!

A wadi lahla yhrag fik chi 3dam.

Je trouve cet article bourré de clichés quand-même vis-à-vis des papas! Comme si maman toute seule supporte l'angoisse pour l'avenir de ses enfants.

0/800