Le combat de Naima

Tahar Ben Jelloun.

Chronique«Déterminée, mon combat contre la maladie de Charcot» est le récit de Naima Chakkour qui vient de paraitre. Ce texte est une grâce déliée dans les méandres de la douleur. Par sa force, par sa sincérité évidente, par sa volonté de transmettre et de témoigner, il nous concerne tous. Une leçon de courage et de résilience.

Le 07/07/2025 à 11h01

«Déterminée, mon combat contre la maladie de Charcot» est le récit écrit en anglais par Naima Chakkour; il vient de paraître en France dans une superbe traduction de Frédérique Julien (Viviane Hamy Éditions).

C’est un livre exceptionnel. Un simple récit de vie interrompue, une vie brisée, une vie mutilée, mais une vie vaillante, battante, déterminée à triompher d’une maladie cruelle, appelée scientifiquement «sclérose latérale amyotrophique» (SLA).

Cela fait bientôt 32 ans que Naima se bat. Elle a battu le record mondial. Au départ, on ne lui donnait pas plus de cinq ans à vivre. C’était sans compter avec le caractère et le tempérament d’une femme qui ne se laisse pas facilement abattre. Au contraire, elle a puisé dans ce défi toutes les forces pour résister et empêcher la maladie de l’emporter.

Avec ses rêves entêtés, avec ses espérances de voir ses quatre enfants bien éduqués et allant jusqu’au bout de leurs études, avec la folie heureuse de célébrer le mariage de ses filles dans un éclat somptueux, avec la foi inébranlable et l’amour des siens, Naima est aujourd’hui entourée de ses enfants et petits- enfants, luttant avec ses moyens contre la douleur et les inconvénients causés par certains médicaments.

Ce qui est extraordinaire chez elle, c’est son humilité, sa passion de la vie et par-dessus tout, l’élégance vestimentaire et l’humour nécessaire pour ne pas sombrer dans l’obscur.

C’est un combat qui suscite le respect et l’admiration. Quand on lui parle de courage, elle rit, car elle n’a pas le choix.

Aidée comme dans une «soudure fraternelle» (Montaigne) par Habiba, l’amie fidèle et inséparable, aimée de manière attentive par Abdesslam, le frère aîné (l’autre frère, Ahmed fut emporté en quelques jours par la Covid en octobre 2020), et surtout, entourée de l’amitié de quelques-uns qui, par leur présence chaleureuse l’aident à vivre.

Chaque jour est une victoire sur la maladie. Elle le sait et poursuit son espérance souvent avec constance et toujours avec humour. Elle aime rire. Depuis toujours. Mais le rire est mauvais pour sa respiration. Il l’étouffe.

Naima est, avec Abdesslam et feu Ahmed, la créatrice de l’hôtel Le Mirage à Tanger. Un lieu magique au Cap Spartel. Malgré son indisponibilité physique, elle a été à l’origine du projet et a eu son mot à dire du début jusqu’aux transformations actuelles.

«L’élégance de Naïma est dans cet humour dit noir qui la place au-dessus des banalités et des choses superficielles. Ne pouvant bouger aucun membre de son corps, c’est avec son menton qu’elle a écrit son récit. »

—  Tahar Ben Jelloun

L’élégance de Naïma est dans cet humour dit noir qui la place au-dessus des banalités et des choses superficielles. Ne pouvant bouger aucun membre de son corps, c’est avec son menton qu’elle a écrit son récit. Une écriture simple, directe, juste et sans fioritures. Elle dit les choses qu’elle vit et voudrait que son témoignage parvienne aux dizaines de milliers de personnes souffrant de cette maladie.

Certains malades, notamment en France, ne supportant pas les affres de la SLA, décident de couper court à la maladie et mettent fin à leur vie. Ils viennent en parler dans les médias. Naima les regarde et aurait souhaité tellement les convaincre de poursuivre leur combat. Mais, comme elle dit, «moi, j’ai la foi, et pour rien au monde, je n’irai contre la volonté divine».

Elle se tient informée quant aux progrès de la recherche. Lit des articles scientifiques. Discute à travers Internet avec d’autres malades et surtout avec ses médecins.

On aurait tellement aimé l’entendre malgré la lenteur de sa parole, mais il se trouve qu’elle déteste sa voix et refuse qu’on l’enregistre. C’est sans doute pour cela qu’elle a tenu à écrire elle-même son histoire et sa passion de la vie.

Ce récit est une grâce déliée dans les méandres de la douleur. Par sa force, par sa sincérité évidente, par sa volonté de transmettre et de témoigner, il nous concerne tous. À aucun moment Naima ne se plaint. Non, elle se réfugie dans le silence et ses yeux grand ouverts nous disent combien la vie est belle, il suffit de regarder autour de nous, surtout quand notre capital santé est de bonne qualité.

Concernés ou non par cette maladie, nous devons tous lire ce petit livre qui est un grand pas vers la sérénité et le bonheur d’exister. Une leçon de courage et de résilience.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 07/07/2025 à 11h01