Hafsa Boutahar dénonce la campagne menée par les soutiens d’Omar Radi

Journaliste, Omar Radi se trouve actuellement en prison, condamné pour un viol qu'il a commis sur une autre journaliste, Hafsa Boutahar. Il a reçu un «prix de l’Indépendance», décerné par l'ONG Reporters Sans frontières, le 12 décembre 2022, à Paris.

Journaliste, Omar Radi se trouve actuellement en prison, condamné pour un viol qu'il a commis sur une autre journaliste, Hafsa Boutahar. Il a reçu un «prix de l’Indépendance», décerné par l'ONG Reporters Sans frontières, le 12 décembre 2022, à Paris. . Le360 (photomontage)

Peut-on soutenir de manière inconditionnelle un homme accusé de viol sous prétexte qu’il est journaliste? C’est la question qui fait polémique et déchaîne les passions sur la toile marocaine. L’association marocaine des droits des victimes s’invite au débat.

Le 20/04/2021 à 21h32

Depuis quelques jours, les soutiens du journaliste Omar Radi, incarcéré depuis juillet 2020 pour viol, montent au créneau sur les réseaux sociaux pour l’appuyer dans la grève de la faim qu’il a entamée afin de mettre fin à sa détention préventive.

Pour Hafsa Boutahar, victime présumée d’un viol commis à son encontre par Omar Radi, ce soutien inconditionnel à son présumé agresseur, affiché à coups de hashtags sur les réseaux sociaux, est une manière de perpétuer la culture du viol et de soutenir ceux qu’elle qualifie de "héros du viol" dans un tweet. Pour cette femme qui se bat avec courage contre le mépris dont elle fait l’objet, il ne peut y avoir de héroïsme pour un violeur.

Celle-ci s’interroge par ailleurs sur les motivations qui se cachent derrière ce soutien brandi avec tant de conviction par "des personnes qui travaillent au profit de tierces parties pour atteindre leurs objectifs au nom des droits de l’homme", à moins que ces mêmes personnes, avance-t-elle, ne "soient impliquées dans des affaires similaires et ne craignent le scandale". Selon elle, le fait de soutenir Omar Radi aussi aveuglément, sans tenir compte de la parole de sa victime présumée, revient à "pratiquer une politique d’intimidation à l’égard des victimes et de leur imposer le silence".

La jeune femme, visiblement choquée par ces prises de position, exprime son étonnement dans une salve de tweets, dans lesquels elle affirme: "soit ils n’ont pas compris, soit ils ne veulent pas comprendre", ironisant par ailleurs sur l’éventuelle hypnose sous l’emprise de laquelle seraient placés ces esprits, ou encore les tentatives de certains de surfer sur une vague médiatique.

Autre cas de figure dénoncé par la jeune femme, celui de "ceux qui vendent au rabais leur dignité, leur honneur, leur patrie…" "Et à ceux-là qui exploitent les droits humains à des fins mercantiles, je leur décerne la médaille d’or de la traite des humains", écrit-elle, amère.

Hafsa Boutahar termine son réquisitoire en dénonçant également le traitement médiatique accordé à l’affaire qui l’oppose à Omar Radi par les médias français, Mediapart et L’Humanité. "Ceux-là qui prétendent défendre les droits de la femme ont multiplié les mensonges, les approximations, les données erronées, sans respect pour la justice marocaine, sans respect pour la victime que je suis, sans le moindre égard pour l’état psychologique que j’endure, ni pour ma blessure… Je ne vous pardonnerai pas" s’écrie-t-elle.

Dans ce tweet, Hafsa Boutahar fait référence à des articles au traitement éditorial subjectif dans lesquels deux journalistes cosignataires ont tenté de la décrédibiliser en la faisant passer pour une menteuse, une intrigante au profil psychologique instable.

"Chacun a une cause à défendre, à laquelle il consacre sa vie, et celle-ci est la mienne et je vivrai pour elle… Si l’inverse devait se produire, la mort serait plus douce", conclut-elle.

La mise au point de l’Association marocaine des droits des victimesDe son côté, l'Association marocaine des droits des victimes a exprimé dans un communiqué, diffusé le 20 avril 2021, son opposition aux méthodes visant à faire obstacle au droit de la plaignante, Hafsa Boutahar, à une justice juste et équitable, rappelant que celle-ci s'est adressée au parquet pour dénoncer les crimes sexuels dont elle aurait été victime.

L’association condamne ainsi "certaines déclarations" jugées "irresponsables" de la part des soutiens de son agresseur présumé et "portant atteinte à la dignité de la victime, à sa réputation et à la réputation de toutes les victimes d'abus sexuels qui ont choisi de briser le mur du silence". En effet, poursuit le communiqué, cet élan de solidarité intervient en réponse à "la campagne féroce menée par certains défenseurs des droits des accusés".

Et d’appeler "toutes les organisations de défense des droits de l'homme, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, nationales et internationales, qui croient aux droits de l'homme", à "s'opposer à toutes les formes d'agression sexuelle, à protéger les victimes, et à leur offrir des recours en cas de viol et de crimes sexuels", mais aussi "à faire preuve d'objectivité et à enquêter sur les cas de victimes d'agressions sexuelles". L’association marocaine des droits des victimes en appelle aussi à "tous les responsables de l'application des lois afin que ceux-ci garantissent une protection juridique et judiciaire à la victime Hafsa Boutahar et à toutes les victimes d'abus sexuels, conformément à la résolution 34/169 de l'Assemblée générale des Nations unies et à toutes les résolutions pertinentes".

Par ailleurs, le communiqué met également en garde l’opinion publique contre ceux qui la trompent "dans le but de solliciter la sympathie nationale et internationale pour influencer l'indépendance judiciaire" et "encourager l'impunité" d’un accusé que l’on dépeint comme un "combattant de la liberté d’opinion et d’expression", aux dépens de victimes qui ont subi un préjudice très grave.

Etre un journaliste, un artiste talentueux ou même un génie ne peut dispenser du droit de répondre pour une accusation aussi grave que celle d’un viol. Hafsa Boutahar, qui a brisé le mur la honte, est déterminée à aller jusqu’au bout pour avoir justice. Son combat mérite le respect.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 20/04/2021 à 21h32