Le 22 septembre, à la veille de la comparution d’Omar Radi devant un juge d’instruction, une enquête co-signée, une fois n’est pas coutume, par Mediapart et L’Humanité, a été publiée par les deux médias. «Une enquête glaçante», comme la qualifie Edwy Plenel, président et cofondateur de Mediapart, sur son compte Twitter, et qui a trait aux «pouvoirs autoritaires d'aujourd'hui [qui] usent des méthodes du stalinisme contre leurs opposants: salir, calomnier, discréditer».
Mais pour les deux journalistes qui ont ficelé cette enquête, Rosa Moussaoui du côté de L’Humanité et Rachida El Azzouzi pour Mediapart, le sujet était tout autre, tout du moins si l’on en croit la teneur des messages échangés avec Hafsa Boutahar, qui accuse Omar Radi de viol.
Voici comment une enquête prétendument censée réhabiliter les victimes dans leurs droits a outrepassé toutes les règles de la déontologie journalistique pour parvenir à ses fins.
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Mentir pour obtenir un témoignage«Nous travaillons pour des publications connues pour faire entendre la voix des femmes victimes de violences sexuelles quels qu’en soient les auteurs», écrit l’une des deux journalistes à Hafsa Boutahar dans un message téléphonique. «Et nous sommes surprises que votre voix ne soit pas entendue dans la presse française», s’étonne-t-elle. «Il est important que vous parliez, pour que de tels faits ne puissent se reproduire, pour en finir avec la culture du viol et l’impunité des auteurs», conclut la journaliste, en l’invitant à entrer en contact avec elles, arguant que son témoignage est important, qu’il doit être connu en France. «J’espère que la justice fera son travail», écrit la journaliste qui souhaite parler de vive voix avec la plaignante.
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Malgré les multiples refus de la jeune femme, les journalistes lui envoient une série de questions et à leur lecture, Hafsa Boutahar est confortée dans sa décision de ne pas y répondre. Et pour cause, elles s’apparentent davantage à des questions orientées, qui contrastent avec la ligne d’une enquête visant à «défendre la voix des femmes» et «en finir avec la culture du viol».
«Avez-vous vu vos collègues de la rédaction du Desk durant cette période?», «qui vous a soutenu dans votre dépôt de plainte?», «qui est la première personne à qui vous avez parlé du viol ou qui vous soutient?», «avez-vous été voir un médecin et à quelle date?», «pourquoi avoir parlé à Atlas Info en premier?» … Voici en partie les questions envoyées à Hafsa Boutahar. Nous sommes très loin de la dénonciation de la culture du viol et encore moins du soutien aux femmes victimes de violences sexuelles.
Visiblement, pour ces journalistes, tous les moyens sont bons pour parvenir une seule fin: décrédibiliser la voix de la plaignante. Nous sommes en présence d’une prétendue enquête qui a une visée préconçue, qu’elle cherche à étayer par un travail tendancieux de sélection dans les propos de la plaignante, quitte à tenter de manipuler une femme fragilisée par l’accusation qu’elle a publiquement lancée, voire à remettre en question ses capacités mentales, en annonçant qu’elle est suivie par un psychiatre.
Dès les premières lignes de l’enquête, le ton est donné. «Révélations sur une affaire éminemment sensible qui croise deux luttes cruciales: l’engagement contre la répression des voix et des plumes libres et le combat contre les violences sexuelles et sexistes, de plus en plus instrumentalisé par le régime marocain à des fins politiques et sécuritaires».
Et Hafsa Boutahar de comprendre que les deux journalistes lui ont menti sur toute la ligne et que de présumée victime, elle vient en fait d’acquérir, au fil de treize pages d’enquête, le qualificatif de manipulatrice à la botte des autorités.
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Inverser les rôles pour mieux asseoir une thèseA plusieurs reprises, des témoignages de féministes sont brandis et la plupart se montrent sceptiques quant à l’accusation de viol, divisées qu’elles sont face à ce qu’on qualifie dans l’enquête d’«instrumentalisation de la lutte contre les violences sexuelles».
C’est là un nouveau coup dur pour la présumée victime, qui, en plus de ne pas faire l’unanimité chez les féministes, se voit aussi reprocher le fait d’avoir parlé à certains supports de presse marocains, accusés dans cette enquête d’être «engagés depuis des mois, bien avant cette affaire de viol présumé, dans le harcèlement médiatique du journaliste Omar Radi et de ses soutiens».
Au cours de cette enquête, qui abonde dans un seul sens, Omar Radi est dépeint quant à lui comme une victime, et celle qui l’accuse de viol comme une personne louche. D’ailleurs, «certains se méfient d’elle, pointent son parcours chaotique», va-t-on jusqu’à écrire, montrant du doigt l’un de ses anciens employeurs, taxé de «machine médiatique à salir».
Omar Radi, quant à lui, est brossé sous les traits d’une victime et surtout d’un grand seigneur, qui «balaie d’un revers de main les soupçons de ses amis», et qui décide donc de faire confiance à cette jeune femme «toujours disponible pour une course, un service».
Et les journalistes de L’Humanité et de Mediapart de relayer le fait que les amies féministes de Omar Radi le dépeignent comme un «homme bien». «Il est en demande, il veut toujours savoir comment se comporter au mieux avec les femmes», leur explique une militante. Et d’ailleurs, «même dans les moments où il consomme de l’alcool, il reste toujours très correct. Quand une femme lui plaît, il fait toujours très attention à ne pas la brusquer. Parfois même, ça le bloque», poursuit cette même source très attentionnée.
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Détourner les témoignagesLe pire dans cette enquête est encore à venir car les journalistes se lancent alors dans l’exercice périlleux de relater le déroulement du jour présumé du viol en affirmant par ailleurs, sans l’ombre d’une preuve, qu’une relation de flirt existait préalablement entre les intéressés.
Pour mieux asseoir cette nouvelle thèse sans fondement, les journalistes citent les messages échangés entre Omar Radi et Hafsa Boutahar mais… en inversant les rôles, et en prêtant à Hafsa Boutahar les propos de Omar Radi. Erreur ou manipulation? Dans les deux cas, c’est impardonnable.
«Elle échange des messages avec Omar Radi, auquel elle reproche de ne pas l’avoir réveillée la veille». Grosse erreur! Dans cet échange, dont Le360 dispose, c’est en fait Omar Radi qui reproche à sa collègue de ne pas l’avoir réveillé la nuit. Ce à quoi elle lui répond: «je n’ai pas eu le cœur à te réveiller alors que tu étais dans un profond sommeil».
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Là aussi, l’enquête de Mediapart et de L’Humanité attribuent ces propos à la mauvaise personne, faisant passer Omar Radi pour celui qui tente de tempérer les ardeurs d’une femme.
Un faux pas impardonnable, qui jette le discrédit sur l’ensemble de cette prétendue enquête et montre le parti-pris de ces auteurs et les déformations dans l’exploitation des faits auxquelles elles se sont livrées.
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Semer le doute en apportant des prétendus éléments de preuveEnfin, ultime camouflet, il y a aussi ce lien que les deux journalistes tentent d’établir entre Hafsa Boutahar et l’affaire Taoufik Bouachrine sur la base d’un message que celle-ci lui aurait adressé. On n’hésite pas non plus à établir un lien subtil entre celle-ci et Kaoutar Fal, dépeinte comme une redoutable Mata Hari, qui tente en vain «de harponner» Taoufik Bouachrine. Le point commun entre les deux femmes? Avoir envoyé des messages restés sans réponse. Est-ce suffisant pour tirer des conclusions? Visiblement oui, pour ces deux journalistes d’investigation que décidément rien n’arrête.
«Bonjour M.TAOUFIK ChuiHafsaBoutahar journaliste», écrit Hafsa Boutahar le 16 octobre à 10h57, affirment les auteurs de l’enquête. «La jeune femme ne précise pas le motif de son message», relève-t-on. «Professionnel? Personnel?», s’interrogent les journalistes qui concluent: «ignorée par le destinataire, elle s’en tiendra à cette lapidaire tentative de prise de contact».
Ainsi, après avoir présenté Taoufik Bouachrine comme la victime d’une machination, l’occasion était trop belle pour les deux journalistes qui ont tôt fait de coller l’étiquette d’intrigante à celle qui accuse Omar Radi de viol et, pire encore, de tronquer la vérité en décidant de n’en dévoiler qu’une partie, celle qui conforte la thèse soutenue dans cette enquête.
En effet, après vérification, Le360 a obtenu l’e-mail envoyé la veille de ce message, le 15 octobre, par Hafsa Boutahar à Taoufik Bouchrine. Après s’être présentée, celle-ci lui envoie… sa candidature pour un poste dans la rédaction du quotidien qu’il dirige.
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Absolument rien d’anormal là dedans... N’ayant pas obtenu de réponse à son mail, Hafsa Boutahar nous explique avoir suivi les conseils d’un collègue qui lui suggère alors d’appeler Taoufik Bouachrine le lendemain, s’il ne répond pas d'ici là à son courriel. Chose faite mais en vain, car Bouachrine ne répond toujours pas. Hafsa Boutahar envoie alors le message cité par l’enquête française. «Je lui ai envoyé un message pour me présenter et afin qu’il sache que l’appel en absence qu’il avait reçu ce jour là provenait de moi», nous explique la jeune femme. Les deux journalistes ont détourné une simple demande de candidature en tentative machiavélique de faire tomber«une plume libre» dans un traquenard.
Mais assurément, pour les deux supports de presse à l’origine de cette enquête, la fin justifie les moyens. Quitte à démolir l’image d’une présumée victime, quitte à la harponner avec de fausses informations, quitte à se prétendre défenseur des droits humains, quitte même à employer la ruse et à faire fi de la morale. Quant aux règles déontologiques de ce métier, les deux journalistes qui accablent une «presse de la diffamation au Maroc» devraient réviser leurs méthodes abjectes pour piéger une présumée victime d’un viol. Quel journaliste digne de ce nom peut-il affirmer à un témoin «il est important que vous parliez, pour que de tels faits ne puissent se reproduire, pour en finir avec la culture du viol et l’impunité des auteurs», alors qu’il a le dessein de l’exécuter?