«Depuis le rapport du cinquantenaire de 2005, le Maroc a développé un savoir et une expérience non négligeables en termes de diagnostic de la situation du pays et de feuilles de route dans de nombreux secteurs. Or, le rapport fait table-rase d’un capital d’expériences permettant de montrer le chemin pour l’avènement d’un nouveau modèle de développement» annonce les membres de l'ADFM dans un communiqué publié le 8 juin 2021, qui n’ont visiblement pas été consultées s’agissant de la question féminine.
Et autant dire que le rapport du nouveau modèle de développement n’a vraisemblablement pas convaincu l’association féministe. «Plutôt qu’un nouvel état des lieux, du reste, parcellaire et, dans certains cas, limité à des appréciations dépassées et/ou non fondées, le pays a surtout besoin de savoir pourquoi les différentes visions, stratégies et autres chantiers de réformes n’ont pas abouti ou tout simplement n’ont pas été mis en œuvre», jugent ainsi les membres de l’association. Elles estiment par ailleurs que le modèle de développement, tel que proposé par le rapport «reste imprégné, pour l’essentiel, des théories de développement de la décennie 70».
Et les féministes marocaines de soulever une série de questionnements, selon elles, restés sans réponse.
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«La croissance économique garantit-elle la résorption automatique des inégalités et en particulier celles de genre, notamment dans un pays comme le Maroc?», «Le développement n’a-t-il pas pour finalité et chemin, pour le concrétiser, le renforcement des libertés individuelles et collectives et des capacités des citoyens et citoyennes leur permettant de lever les obstacles qui restreignent leurs possibilités d’agir et de participer?», ou encore questionnent-elles, «Un nouveau modèle de développement peut-il se concevoir sans déconstruction des discriminations fondées sur le genre, s’appuyant sur une analyse scientifique et objective et une approche holistique et transversale liant l’économique, le politique, le social et le culturel?»
Le traitement consacré par le rapport à la question féminine«En abordant la situation des femmes, le rapport puise dans une vision (ou terminologie) désuète qui fait d’elles une catégorie au même titre que les jeunes qui sont d’ailleurs des deux sexes. Or, les femmes ne sont ni une catégorie, ni un problème social sectoriel relevant du département de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées comme c’est le cas depuis plusieurs décennies» relève d'emblée l'association.
Par ailleurs soulignent les membres de l’ADFM, à l’opposé de la Constitution, le référentiel universaliste, et plus particulièrement la CEDAW- dont le Maroc est partie prenante-, est quasi absent du rapport, alors que la spécificité religieuse et culturelle est évoquée et convoquée à maintes reprises pour justifier l’anachronisme des mesures dédiées au renforcement des droits et libertés des femmes. «La spécificité religieuse ne s’invite-t-elle dans les débats politiques que dès lors qu’il s’agit exclusivement des droits des femmes? Les autres secteurs de la vie économique et sociale sont-ils conformes aux préceptes religieux? N’ont-ils pas plongé depuis longtemps dans l’indistinction religieuse?» interrogent-elles.
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L’ADFM passe ensuite à la loupe l’appel à l’inclusion, à la citoyenneté et à une tolérance zéro s’agissant de la discrimination et des violences. Elle dénonce, par exemple, le fait que la mesure phare proposée par le rapport visant à porter le taux d’activité des femmes de 18% actuellement à 45 % à l’horizon de 2035 «passe sous silence les mécanismes complexes d’exclusion et de résistance à l’œuvre qui font que le Maroc, qui était champion de la région en matière de participation économique des femmes, se retrouve en 2020, selon le Forum économique mondial, au 148e rang bien après l’Egypte, la Tunisie ou encore l’Algérie».
Par ailleurs, le rapport ne dit rien sur «les moyens de lutter contre la pauvreté des femmes rurales travaillant, dans leur écrasante majorité, sans rémunération ni accès aux filets de sécurité sociale à titre de droits propres, ni à la terre, ni aux moyens de production, au moment où la législation successorale, celle relative aux terres collectives et au Habous de famille les discriminent quand elles ne les excluent pas tout simplement de leurs droits», poursuivent-elles. Et de s’interroger, «que préconise le rapport pour ces centaines de milliers de Marocaines parmi les plus pauvres?».
Autre faille du rapport, de l’avis de l’ADFM, le fait qu’on y passe sous silence «les différentes formes de discrimination de genre en matière successorale, le maintien du mariage des mineures et de la polygamie alors que l’écrasante majorité des femmes, tous niveaux éducatifs et sociaux confondus, considèrent que ces dispositions constituent une grande source d’insécurité pour elles et pour leurs enfants et portent atteinte à leur dignité et citoyenneté».
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Enfin, autre point de friction, le fait que ledit rapport propose de confier au juge la possibilité d’examiner au cas par cas, l’autorisation ou non du taasib. «N’est-ce pas là une préconisation, pour le moins incongrue, qui prévoit des règles différentes pour les citoyennes selon leurs capacités à ester en justice, contribue à engorger les tribunaux de famille, ouvre la porte aux dérives et à la corruption et exacerbe les conflits familiaux?» s’insurgent les féministes marocaines, disant s’être attendues à des solutions plus courageuses en conformité avec l’égalité et la justice.
Des zones grises qui persistent et font craindre une régression de la situation des femmesOr, selon elles, «les mesures préconisées sont marquées du sceau de l’anachronisme et largement en deçà de celles avancées, durant les dernières années, par plusieurs institutions constitutionnelles comme le CNDH, le CESE ou encore la HACA».
Ainsi, de nombreuses zones grises persistent dans le rapport qui se contente, pour ce qui concerne les droits des femmes, de proposer des mesures «ayant fait leur temps». En effet, explique l’ADFM, les vrais problèmes politiques et sociétaux «sont tus et non abordés de telle sorte que les Marocaines et les Marocains finissent par perdre confiance car ils constatent que leur citoyenneté fait, encore une fois, l’objet de compromis».
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Et d’appeler à plus de courage et à nommer les choses telles qu’elles sont, afin de proposer des solutions structurantes et audacieuses aux multiples injustices et inégalités, en conformité avec les directives royales à l’occasion de l’installation de la Commission en charge d’élaborer le nouveau modèle de développement.
«Avec ce rapport, l’occurrence d’un nouveau modèle de développement sera peut-être pour le prochain siècle!» entrevoient-elles, jugeant que ce rapport est «marqué par un tropisme masculin et par une grande frilosité».
Or conclut l'ADFM, «ce n’est pas le Maroc que nous voulons pour les petites filles et jeunes femmes d’aujourd’hui et à l’horizon 2035. Dans un monde en plein bouleversement, avec de telles préconisations, les Marocaines seront encore à l’horizon 2035 sous tutelle et soumises au diktat du code de la famille, aux privations, aux violences et autres restrictions sur leur liberté et mobilité ainsi que sur leur capacité à faire les choix requis concernant leur vie personnelle et citoyenne».