Do you speak English?

Rachid Achachi.

ChroniqueLa démarche est éminemment stratégique et audacieuse, puisqu’elle vise à offrir aux jeunes Marocaines et Marocains une nouvelle fenêtre ouverte sur le monde. Cependant, l’approche est loin d’être discriminante, puisqu’il ne s’agit aucunement d’une politique de remplacement linguistique comme certains l’appellent de leurs vœux, mais d’une politique d’enrichissement, n’en déplaise aux francophobes.

Le 02/06/2023 à 17h32

C’est désormais officiel, le Maroc opte pour un plurilinguisme plus poussé. Je fais ici référence à l’annonce faite le 23 mai par Chakib Benmoussa, ministre de l’Éducation nationale, qui officialise à travers une circulaire ministérielle la généralisation progressive de l’enseignement de l’anglais au collège.

La démarche est éminemment stratégique et audacieuse, puisqu’elle vise à offrir aux jeunes Marocaines et Marocains une nouvelle fenêtre ouverte sur le monde. Cependant, l’approche est loin d’être discriminante, puisqu’il ne s’agit aucunement d’une politique de remplacement linguistique comme certains l’appellent de leurs vœux, mais d’une politique d’enrichissement, n’en déplaise aux francophobes.

Mais si beaucoup de jeunes Marocains n’ont pas attendu l’Etat pour se mettre à l’anglais, les implications d’une telle décision sont nombreuses et méritent qu’on s’y attarde.

Car de quel anglais parle-t-on quand il est question des jeunes autodidactes qui parlent aujourd’hui en anglais? S’agit-il de la langue de Shakespeare ou de celle de Netflix? Celle de Chesterton ou celle de Snoop Dogg? Ces questionnements en apparence provocateurs nous amènent irrémédiablement à nous poser la question suivante: qu’est-ce qu’une langue?

Elle est beaucoup de choses. Mais, limitons-nous, dans le cadre de cette chronique, à deux aspects fondamentaux. Le premier est celui qui appréhende une langue comme un vecteur de communication, d’échange et de verbalisation des pensées, idées et émotions, entre autres choses. De ce point de vue, l’anglais est la «lingua franca» du monde contemporain. Autrement dit, elle est la langue vernaculaire qui permet à des populations d’origines différentes et sur une vaste aire géographique de communiquer et d’échanger, contournant ainsi les barrières linguistiques et culturelles. Ainsi, de la musique à la science en passant par le cinéma, l’anglais a su traverser les frontières politiques et mentales et s’ériger graduellement en langue hégémonique. Une hégémonie linguistique qui s’est appuyée tout naturellement sur une hégémonie économique et géopolitique, celle de l’empire britannique dans un premier temps, puis celle des Etats-Unis.

Cependant, et là on en vient au second aspect, cette hégémonie n’est fonctionnelle que quand elle s’appuie sur un état d’esprit et une configuration culturelle plus large. Celle par exemple, durant les Trente Glorieuses, de l’«American way of life» et de l’«American dream». Ainsi, l’anglais fut à une certaine époque la langue du rock, de l’esprit rebelle du cow-boy, d’un code vestimentaire décontracté, celui du jean, puis, plus tardivement, du cinéma spectaculaire mais aussi souvent manichéen d’Hollywood. Alors, la question qui s’impose et que l’on se pose est: aujourd’hui, c’est quoi le sous-jacent et le vecteur de l’anglais? Le champ est à nouveau très vaste, puisque cela va du jargon du marketing et du management (brainstorming, ASAP…) au langage neutre et carré de la recherche scientifique, en passant par les néologismes de l’idéologie «woke».

Car adopter une langue aussi connotée culturellement et idéologiquement que l’anglais, c’est aussi ouvrir un boulevard à un amas d’idées et de modes de vie, qu’il s’agit de questionner en amont, afin de pouvoir arbitrer et faire le tri.

Enfin, en tant qu’élément fondamental d’un rapport au monde et d’un paradigme civilisationnel, une langue agit en profondeur sur la dimension épistémologique, celle qui détermine comment se construisent les connaissances. De ce point de vue, les mondes anglo-américain et continental européen ont, pendant longtemps, été séparés par deux traditions philosophiques et épistémologiques que le contexte d’une chronique ne permet pas d’aborder avec la profondeur requise. Mais disons, pour faire vite et avec beaucoup de raccourcis, que dans le monde anglo-saxon, c’est la tradition empirique qui prédomine, celle qui part du réel et du concret pour en déduire des savoirs, là où dans l’Europe continentale, c’est l’approche idéaliste, idéelle, abstraite et conceptuelle qui s’est imposée à partir de Descartes jusqu’à l’hégélianisme allemand. Pour le dire simplement, la vérité, pour le Vieux continent, descend du haut vers le bas, là où pour les anglo-saxons, elle monte du bas vers le haut.

Là encore, former une génération de Marocaines et de Marocains à l’anglais, a fortiori dans un cadre scolaire et académique, c’est aussi diffuser un rapport au monde plus pragmatique, plus réaliste et par conséquent plus efficace. Ce qui, au fond, n’est pas plus mal. Mais le faire, comme c’est le cas au Maroc, en gardant le français et, bien entendu, l’arabe, c’est joindre l’utile à l’agréable. Reste maintenant à donner une cohérence à tout cela, ce qui revient, là encore, à poser une question éminemment importante, celle de la langue maternelle. Car c’est beau d’avoir plusieurs fenêtres, mais encore faut-il avoir une porte d’entrée. Mais sur ce terrain glissant, les choses sont loin d’être évidentes. Car une langue «maternelle», comme son nom l’indique, est celle qui structure notre psyché durant les premiers mois et années de notre enfance, celle que vocalise notre mère en la chargeant d’amour et d’affection, celle qui nourrit notre mémoire et nous imprègne de sa musicalité et, enfin, celle qui nous permet de verbaliser nos premiers désirs, émotions et rêves.

Est-ce l’arabe? La darija? Le tachelhit? Le tamazight? Ou le tarifit? C’est à chacun d’y répondre selon son vécu et son contexte. Mais avant de penser à intégrer une langue vernaculaire mondiale, peut-être que l’autre urgence serait de désigner notre langue vernaculaire à l’échelle nationale. Mais cela est une toute autre histoire, qui sera probablement abordée dans une prochaine chronique.

Par Rachid Achachi
Le 02/06/2023 à 17h32

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Non je ne nie pas mon histoire. avoir été colonisé et interdit de pratiquer ma propre culture. Maintenant je suis libre, l'arabe est ma langue maternelle. Edarija est un moyen pour rester con et incapable de s'exprimer. Je souhaite de tout mon cœur que le Français disparaisse de mon pays et que l'arable surgisse un moment ou un autre

Bref, vous n'avez pas mentionné le point le plus important c'est que la non maitrise de l'anglais fait perdre au Maroc deux à trois points de croissance.

Vous serez un peu plus américains

Bonjour Monsieur Rachid Achachi. La maitrise de l'anglais est aujourd'hui une nécessité flagrante dans l'évolution du monde. L'anglais à l'école est une bonne nouvelle. Le français lui, fait définitivement partie de nos langues et sabirs. Les langues n'appartiennent à personne, elles sont à la disposition de tous. Cordialement.

Notre cher Fouad Laroui ds son livre "Le Drame Linguistique Marocain" avait bien traité le problème des dialectes Marocains, c'est dommage qu'il ne veut plus en parler !! À mon humble avis la Darija est 1 handicap au développement de la langue arabe classique et des autres langues vivantes ! Même au Cinéma l'usage du dialecte de la rue est devenu money courante... on n'y peut rien ! Pour l'enseignement, les Médias et l'ouverture vers l'international c'est 1 Grand Handicap... Merci

Vous avez mis le doigt sur le problème. Rien n'est fait pour favoriser l'enseignement de la langue arabe classique et encore moins au supérieur.

L'arabe n'est la langue maternelle de personne dans notre Royaume. Elle n'est la langue vernaculaire d'aucune communauté humaine. Parler de Tamazighte ou des Darija, on vous comprend et on vous suit. L'arabe non. Il n'est la langue vernaculaire de personne.

Est-il normal que des films Marocains soient sous-titrés en Arabe ?! ... Même ds certains documentaires télévisés ds des chaînes Internationales Arabes le dialecte Marocain est sous-titré en Arabe !!! ... Merci

Du point de vue professionnel, la darija et l'amazigh ne servent à rien en dehors de nos frontières. L'arabe SI!

Salam 3alaykoum wa rahmatulahi wa barakatuh 1) Le français nous ouvre les portes du monde francophone tandis que l’anglais nous ouvre les portes du monde entier ! 2) N’en déplaise à certains, la darija n’est pas une langue mais un dialecte et ce détail change tout. Une langue est structurée tant au niveau de la grammaire que de la conjugaison. Est-ce le cas de la darija ? 3) La plupart de nos élites francophones et francophiles ne cessent de répéter qu’au lendemain de notre indépendance, l’arabisation a été une terrible erreur mais sur quelles études se sont-ils appuyés pour l’affirmer haut et fort ? Pourtant, notre histoire prouve que l’arabe était également une langue de la science et de la culture (voir ne serait-ce que certaines chroniques de Mouna Hachim…)

Enfin un point de vue intelligent !

Do you speak technology ? ... Do you speak science ? ... Savez-vous faire quelque chose avec vos mains ? ... Voilà les vraies questions à poser au système éducatif ! Peu importe la langue utilisée... Dans 1 enseignement Scientifique la Langue n'est qu'un Outil ! ... Merci

Je suis rassuré de voir M. Achachi souligner que l’ apprentissage de l’ anglais à partir du CP au Maroc serait une richesse alors que tout autour de lui des voix manquantes de sagesse s’ élèvent autour de lui pour appeler au remplacement du français par l’ anglais dans nos écoles. Ça serait un appauvrissement monstre si cela se produisait au Maroc. Étant un professeur d’ anglais retraité et ayant enseigné la langue de Shakespeare en Scandinavie et en Angleterre, je tiens à mettre en évidence à quel point ma maîtrise du français m’ a servie professionnellement et socialement. En dehors du travail, étant un globe-trotter qui a foulé le sol de quarante-cinq pays de par le monde, la versatilité d’ être un parfait bilingue m’ offert des atouts qu’ un unilingue can only dream of.

merci monsieur Rachid, une idée qui mérite plus de réflexion et d'analyse.

Et bien partons parlons et tour ons le dos à notre histoire , crachons au premier investisseur de notre pays et premier fournisseur de devise par nos MRE .... Faut arrêter de renier notre histoire,glorieuse ou pas

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