La montée des tensions géopolitiques et l’accessibilité croissante des technologies ont ouvert la porte à une nouvelle ère de désinformation, où l’automatisation des interactions sur les réseaux sociaux et les deepfakes, ces fausses images plus vraies que nature, posent des défis considérables. Issam El Alaoui, expert en la matière, souligne ainsi que la prolifération de deepfakes de haute qualité a brouillé la frontière entre le réel et le faux, rendant difficile pour l’œil humain de faire la distinction.
«Avant ces 6 dernières années, cela demandait beaucoup de moyens techniques et financiers, mais désormais, avec des outils comme ChatGPT, n’importe quelle personne, avec un peu de connaissances techniques, peut se permettre de créer un deepfake», explique-t-il, soulignant que non seulement les deepfakes sont devenus moins coûteux et plus faciles à produire, mais aussi que la création de profils automatisés sur les réseaux sociaux est devenue monnaie courante.
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Les implications de cette évolution sont triples, selon Issam El Alaoui. Tout d’abord, sur le plan politique, des campagnes de désinformation automatisées sur les réseaux sociaux ont été utilisées pour manipuler l’opinion publique, la plus grande menace étant la création de tensions touchant à la stabilité de l’ordre intérieur. Sur le plan économique, les deepfakes sont devenus des outils redoutables pour des escroqueries sophistiquées et des tentatives d’usurpation d’identité, menaçant la sécurité financière des citoyens. L’impact psychologique de la désinformation, amplifié par la technologie, est également préoccupant. «La découverte de deepfakes ou de documents fabriqués par IA remet en question la confiance envers nos médias traditionnels, favorisant un climat de suspicion et de conspirationnisme. Cela nuit gravement au débat démocratique, car les citoyens se retrouvent submergés par la manipulation», dénonce l’expert.
«X (ex-Twitter) est un remède algorithmique assez efficace, ses utilisateurs sont de plus en plus sensibles aux deepfakes et font passer le mot grâce à ce qu’on appelle « les notes de la communauté », où ils s’avertissent entre eux en cas de détection de désinformation générée par intelligence artificielle», annonce le spécialiste. Des outils similaires ne sont pas encore disponibles sur Instagram ou TikTok, mais ne devraient pas tarder à l’être.
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Pour contrer ce phénomène, notre interlocuteur prône une collaboration entre les services marocains de lutte contre les fausses informations, les médias locaux et le gouvernement, avec la création de cellules de veille sur les réseaux sociaux, surtout lors des situations de crise. «C’est dans ces cas-là que la désinformation s’amplifie. Tel a été le cas lors du séisme du 8 septembre, quand des informations non fondées fusaient de partout. Ce type d’évènements présente une opportunité pour les personnes malveillantes afin de semer le désordre dans le pays», déclare-t-il.
Au niveau institutionnel, l’expert appelle à plus de transparence avec une communication officielle constante sur les réseaux sociaux, insistant sur la nécessité d’une approche proactive des gouvernements. «Nos politiques doivent être capables d’offrir des processus de communication rapide, chercher l’information des bons organes, la faire contrôler par des personnes d’autorité, et puis la faire filtrer par les journalistes», propose-t-il. «Le gouvernement doit adopter une approche proactive afin de prendre de l’avance sur la propagation de la désinformation. L’intérêt d’une telle démarche est de prévenir le vide informationnel qui alimente la désinformation. Il ne faut pas laisser libre cours aux individus sur les plateformes pour partager des contenus sans discernement».
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Et d’ajouter: «Une fois que la désinformation circule, une approche réactive, consistant à diffuser des démentis, s’avère peu efficace, car le niveau de diffusion de l’information erronée à travers des canaux tels que WhatsApp aura largement dépassé la portée d’un simple communiqué».
Pour faire face à ces défis, Issam El Alaoui suggère de miser sur la sensibilisation et la prise de conscience citoyenne. Il propose par exemple, des campagnes de communication incitant les utilisateurs à ne pas partager aveuglément des informations et les avertissant quant aux possibles conséquences, notamment sur le plan juridique. «Partager de fausses informations signifie être potentiellement acteur dans un schéma criminel ou de déstabilisation nationale, vu que l’on ne connaît pas toujours les sources de ces informations», indique-t-il.
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L’expert insiste cependant sur la nécessité de trouver un équilibre entre la répression et la préservation de la liberté d’expression, afin de protéger les individus sans entraver la diffusion d’informations légitimes. «C’est dans le rôle de nos législateurs de trouver cet équilibre. Ils doivent naviguer avec précaution pour éviter d’entraver la circulation de l’information tout en protégeant les individus contre la malveillance. Ce n’est pas une tâche facile, mais elle est nécessaire».