Arabe de service, dites-vous?

Karim Boukhari.

ChroniqueSi «trahir» veut dire préserver son indépendance d’esprit, sa lucidité, et avoir le courage de ses opinions, le mieux à faire alors est de «trahir». Plus qu’un droit, c’est un devoir.

Le 09/11/2024 à 09h02

Le Goncourt de Kamel Daoud est une bonne nouvelle, parce que cela fait un moment que cet homme nous dit des choses importantes sur notre époque tourmentée et sur nos sociétés malades. Ses livres, et surtout ses chroniques, frappent là où ça fait mal. La parole de Daoud est nécessaire. Elle va dans des endroits pas beaux à voir, et que la plupart d’entre nous préfèrent d’ailleurs ne pas voir. C’est courageux.

Kamal Daoud est autant, sinon plus, intellectuel dans le sens organique du terme que romancier. On peut passer à côté de ses romans ou les aimer pour les idées et le propos qu’ils portent, sans plus. Ce qui est déjà beaucoup.

Le Goncourt vient donc légitimer tout cela, il donne une grande envergure à cette démarche, il garantit une plus grande diffusion encore de ces idées et de ces paroles. Et c’est une excellente nouvelle. Personnellement, je m’en réjouis.

Chaque Goncourt raconte une histoire. Et aucune histoire ne ressemble à l’autre. Avec son premier roman, déjà, «Meursault, contre-enquête», Daoud s’était emparé de l’un des grands mythes de la littérature francophone, «L’Étranger» d’Albert Camus, qu’il a totalement déconstruit et qu’il a prolongé, mais en reprenant l’histoire d’un autre point de vue, celui de l’Autre. C’est une idée brillante, qui ne pouvait que marquer les esprits. Elle rappelle, dans un autre registre, la démarche d’un Amin Maalouf, quand il avait écrit le magnifique «Les Croisades vues par les Arabes». Avec cette courageuse et nécessaire idée de confronter Occident et Orient, Nord et Sud, «Eux» et «Nous».

«Houris» aussi repose sur une idée forte: celle de raconter, de l’intérieur, en partant du ventre d’une femme enceinte, cette décennie noire algérienne. Le sujet est peut-être tabou en Algérie, pour des raisons qu’il n’est pas très important de commenter ici, mais il appartient à tous. Tout le monde a besoin de savoir et de comprendre ce qui s’est passé. Et si les autorités algériennes ne sont pas prêtes, tant pis pour elles.

À côté de ses livres, Kamel Daoud multiplie les sorties médiatiques. Il opine, il «pense», il se «mêle» de sujets clivants et il ne caresse pas dans le sens du poil. Cela lui vaut, parfois, de n’être compris et soutenu ni par «Nous», ni par les «Autres». C’est ce qui fait sa force aussi. C’est un éclaireur. Et, c’est bien connu, les éclaireurs n’apportent pas que des bonnes nouvelles. En plus de jouer leur peau à tous les coups…

«Les grandes récompenses vont aux livres et aux films qui ont une grande résonance contemporaine, qui “remuent” les grandes questions de notre époque, qui font avancer le curseur.»

On parle aujourd’hui d’un Goncourt politique, voire idéologique. C’est possible. Et alors, où est le mal? On le disait plus haut, chaque Goncourt raconte une histoire et renvoie à quelque chose qui n’appartient qu’à lui. Le «phénomène» n’est pas propre à la seule littérature, on le voit dans le cinéma aussi. Les grands prix ne récompensent pas que les meilleurs livres et films, dans leur dimension intrinsèque ou technique. Les grandes récompenses vont aux livres et aux films qui ont une grande résonance contemporaine, qui «remuent» les grandes questions de notre époque, qui font avancer le curseur…

Évidemment, beaucoup ne comprennent pas cela. Tant pis pour eux. On ne va blâmer personne.

Cela dit, remarquez que chaque fois qu’un Maghrébin (Tahar Ben Jelloun, Leila Slimani) ou un Oriental (Amin Maalouf) gagne le Goncourt, on nous ressort des arguments que la raison ne connaît point. Subitement, on oublie la littérature, l’art, l’intellect et jusqu’au talent, on laisse tout cela de côté. On ne voit rien de tout cela, comme si un voile nous en empêchait.

Alors on dénigre à tout-va. Le succès attire la haine, la rancœur. On parle facilement de trahison. Pourquoi donc? Parce que l’auteur expose la maladie de nos sociétés aux yeux des «Autres», il «Nous» fait mal en leur faisant plaisir à «Eux».

Notez au passage comment ce genre d’arguments renseigne davantage sur la maladie de nos sociétés, surtout dans leur rapport pathologique à l’Autre…

Il y a une forme de parano qui s’empare de nous devant le succès et la reconnaissance, surtout quand ils viennent de l’étranger. Et plus encore de ce qu’on appelle l’Occident.

Comme d’autres avant lui, Daoud passe pour l’Arabe de service. Comprenez: celui qui dit à l’Autre ce qu’il veut bien entendre, qui flatte sa bonne conscience, tout en trahissant les siens. C’est terrible d’en arriver là. C’est un aveuglement. Mais cela n’empêchera pas le monde de continuer d’avancer.

Et si «trahir» veut dire préserver son indépendance d’esprit, sa lucidité, et avoir le courage de ses opinions, le mieux à faire alors est de «trahir». Plus qu’un droit, c’est un devoir. C’est ce que Kamal Daoud aime à répéter. Et il a mille fois raison.

Par Karim Boukhari
Le 09/11/2024 à 09h02

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VOS RÉACTIONS

Nul n est prophete dans son pays et le prix Goncourt attribue a Kamal Daoud pour son livre Houris est merite pour sa valeur litteraire sans tenir compte uniquement pour son role d opposant au regime repressif algerien mais cela aussi doit etre pris en consideration. Sa plume est l arme ou le moyen qu il utilse pour s exprimer in former peu importe la langue choisie.Cest un ecrivain en exil. Ce prix va booster sa divulgation a une large echelle

Et pourtant elle tourne a dit le grand Galilée, "l'italien de service". Et contre tous, il avait raison!

Bonjour. J'aime beaucoup vos articles: propos pertinents, sujets intéressants et une tonalite piquante sans être totalement sarcastique. Et vous avez mille fois raison ainsi que le lauréat du Goncourt : ce qu'il faut privilégier, c'est son intégrité intellectuelle à soi. On ne peut contenter tout le monde. Autant donc chercher à sa satisfaire, soi, et à coucher sur le papier le trop plein qui mine et qui nous dérange e, au rsque de voir la gangrène s'établir et nous hacher tout vifs. Merci pour vos chroniques :)

très bon article sur 1 grand écrivain qui dit tout haut la vérité. on voit dans vos mots votre honnêteté de plus vous n'écrivez pas les banalités habituelles qui font passer certains pour des lumières

En Occident, en France pour être bien précis. Si vous écrivez un livre ( Roman) sur qui raconte la civilisation islamique avec l'art et la la manière et la littérature les plus nobles et les plus ... Sachez le bien: Vous ne recevrez au plus grand Jamais aucune récompense littéraire en Europe. Je ne suis pas contre les prix littéraires décernés aux écrivains arabes francophones. Mais , il faut avoir le courage de le dire ..on ne récompense que les écrivains qui **répondent comme l'abbé chante...** ( pour ne pas dire il faut être un arabe de service pour gagner un prix littéraire.) Merci. Cordialement.

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