Sommet arabe: le «multi-alignement» de MBS expliqué par Abdelhak Bassou

Abdelhak Bassou, Senior fellow au Policy Center for the New South.. Khadija Sabbar/ Le360

EntretienAbdelhak Bassou, Senior fellow au Policy Center for the New South, décrypte pour Le360 les motivations ayant conduit l’Arabie saoudite à inviter le président ukrainien au sommet de la Ligue arabe, prévu vendredi 19 mai à Jeddah, et les réactions hostiles auxquelles il faudra s’attendre. Pour lui, Damas comme Alger «ne se sont pas encore débarrassés de l’esprit de la guerre froide, ils sont orphelins de l’URSS».

Le 18/05/2023 à 14h01

L’invitation adressée par l’Arabie saoudite à Voldymyr Zelenski pour assister au Sommet de la Ligue arabe vaut-elle alignement du monde arabe sur l’Occident dans sa guerre contre la Russie?

On ne peut répondre à la question sans savoir qui est la partie qui a décidé d’inviter le président ukrainien. Est-ce la Ligue arabe? Est-ce l’Arabie saoudite en tant qu’hôte du sommet? Si c’est la Ligue arabe, il s’agit alors de juger la position de l’institution en tant qu’ensemble. Si c’est l’Arabie saoudite, nous évaluerons la position de ce pays et non celle de la Ligue. Les informations disponibles laissent toutes apparaître qu’il s’agit d’une décision unilatérale saoudienne. On ne peut donc poser la question sur la position de la Ligue, mais uniquement sur celle de l’Arabie saoudite. Est-ce que le fait d’avoir invité le président ukrainien signifie un alignement du Royaume saoudien sur les positions de l’Occident dans la guerre en Ukraine. Personnellement, je crois que non.

Pourquoi, selon vous?

Plusieurs pays optent aujourd’hui pour ce que le Premier ministre indien appelle «le multi-alignement». L’Arabie saoudite est dans ce principe. Elle s’aligne en fonction de ses intérêts et de la conjoncture internationale, d’un côté ou de l’autre, sans que cet alignement ne soit dirigé contre la partie opposée.

L’Arabie saoudite s’aligne sur la Chine pour ses affaires commerciales, sur la Russie pour ses intérêts en matière d’hydrocarbures et sur les USA pour les questions de sécurité. Quant aux autres pays arabes, nous attendrons leurs réactions à cette invitation. Certains parmi eux s’en féliciteront, d’autres s’y opposeront en boycottant le sommet ou en baissant le niveau de leur représentation.

Quid des pays traditionnellement rangés du côté de Moscou, comme la Syrie et l’Algérie?

Les pays arabes n’ont jamais été dans le consensus, leurs positions et alignements divergent et c’est traditionnellement connu depuis le temps de la guerre froide. La Syrie et l’Algérie ont, avant les années 90, constitué avec d’autres pays ce qu’il était convenu d’appeler le «Front de refus», un ensemble de 5 pays alignés sur l’Union soviétique. Ces deux pays ne se sont pas encore débarrassés de l’esprit de la guerre froide, ils sont orphelins de l’URSS. Des médias algériens se sont déjà prononcés en critiquant la décision de l’Arabie saoudite. «Qu’est-ce qui a donc pris MBS d’inviter Zelenski à un sommet devant consacrer le retour à l’unité des rangs de la ligue telle qu’énoncée lors du sommet d’Alger en novembre 2022?», lit-on par exemple.

La Syrie est dans l’embarras: doit-elle accepter la présence, même virtuelle, de l’ennemi de son allié russe? Doit-elle boycotter un sommet qui consacre son retour à la Ligue arabe? Elle en référera certainement à Moscou et décidera en fonction de ce que lui dictera le président russe. A mon avis, Algériens et Syriens participeront au sommet mais quitteraient la salle en cas de discours du président ukrainien.

Par Tarik Qattab
Le 18/05/2023 à 14h01