Arabie Saoudite-Chine-Iran: quelle équation?

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueIl faut rappeler qu’il y a plus d’une vingtaine d’années, un accord sécuritaire avait été conclu entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le 17 avril 2001, mais il n’a jamais été mis en œuvre. Il avait été conclu sous les auspices d’un responsable de la Chine, Wang Yi, promu ensuite ministre des Affaires étrangères (mars 2014-décembre 2022).

Le 23/04/2023 à 09h01

Le 10 mai prochain, il est prévu le rétablissement des relations diplomatiques saoudo-iraniennes. Une grosse surprise sans doute. De fait, les discussions entre les deux pays ont débuté en avril 2021, et ce par l’intermédiaire de Bagdad et avec l’aide d’Oman. La dynamique en cours s’est accélérée avec la rencontre des ministres des Affaires étrangères saoudien et iranien à Pékin, voici deux semaines, le 6 avril courant. Un rendez-vous qui devait discuter, entre autres, du retour des ambassadeurs et consuls. La surprise? Elle tient, en revanche, à la médiation de Pékin… Traditionnellement, la Chine ne priorisait pas un rôle sur les questions politiques et de sécurité dans la région. Désormais, un contexte pousse dans ce sens: blocage sur l’accord nucléaire avec Téhéran, impacts de la guerre en Ukraine sur l’envol des prix des produits alimentaires et énergétiques dans la région. Et Pékin a estimé qu’elle pouvait agir pour calmer le jeu.

Après tout, pourquoi pas? Elle a d’excellentes relations avec l’Arabie saoudite et les autres membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG); il en est de même avec l’Irak, l’Iran, Israël et l’Égypte. De quoi lui offrir l’opportunité de s’ériger en acteur global responsable. En parrainant un accord destiné à apaiser les tensions et en particulier à prévenir un conflit ouvert entre Israël et l’Iran. Il faut ajouter que Pékin profite de fait de la perte d’influence politique américaine auprès des dirigeants du Golfe; qu’elle s’est assurée que les parties respectent les principes de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures; et qu’elle offre une plateforme de parrainage de cet accord de normalisation entre les deux pays à saisir par Riyad -en creux, n’est-ce pas au passage l’échec de tout ce qui a été tenté avec Washington pour stabiliser la région?

Hormis Israël, l’ensemble des pays de la région ont accueilli avec soulagement cette normalisation. L’investissement de la Chine pour aider à bâtir des mesures de confiance entre les deux États suscite le plus d’espoirs parmi les monarchies du Golfe, surtout qu’ils sont les partenaires pivots de ce pays dans la région. Cela dit, Riyad attend et souhaite quoi de Téhéran? Qu’elle agisse pour faciliter les réconciliations internes au Yémen; qu’elle pèse de tout son poids pour convaincre les houthistes de conclure une paix durable à la frontière du royaume; que cette normalisation puisse contribuer à faire pression sur les milices chiites en Irak et celles du Hezbollah au Liban. Quant à la République islamique, elle attend de son côté du royaume qu’il évite de s’immiscer dans ses affaires intérieures. De plus, le régime des mollahs est à rude épreuve, notamment depuis septembre 2022 par suite d’une contestation populaire qui l’a défié d’abord par la «révolte des femmes» et plus globalement par des populations périphériques kurde et baloutche, Riyad étant accusé de soutenir ces régions majoritairement sunnites. Fragilisé à l’intérieur comme à l’extérieur, le régime iranien a mesuré qu’il lui fallait négocier avec le régime saoudien.

Il vaut aussi de mettre en relief une autre contrainte: celle de la sécurité au cœur des négociations. Il faut rappeler qu’il y a plus d’une vingtaine d’années, un accord sécuritaire avait été conclu entre les deux pays, le 17 avril 2001, mais il n’a jamais été mis en œuvre. Il avait été conclu sous les auspices d’un responsable de la Chine, Wang Yi, promu ensuite ministre des Affaires étrangères (mars 2014-décembre 2022). Du côté de Washington prévaut plutôt aujourd’hui un malaise perceptible; il est lié au scepticisme quant à la capacité de Pékin à tenir le rôle attendu par l’Arabe saoudite d’imposer à Téhéran de respecter ses obligations. Riyad a fini par se rallier à l’approche de Pékin qui privilégie le principe des modalités de négociation pour la résolution de conflits entre deux États: un déclassement de la proposition d’une architecture de sécurité globale alternative. Ainsi, Pékin aurait convaincu Riyad d’accepter de renouer avec Téhéran sans poser de conditions préalables sur la question de l’abandon de soutien aux houthistes.

Par ailleurs, l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni ont manifesté leur intérêt. Une relance des négociations sur le nucléaire paraît s’engager: visite à Téhéran le 3 mars 2023 de Rafaël Grossi, directeur de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA); retour des contrôleurs de cette institution; rencontre à Oslo, le 21 mars du négociateur iranien du dossier nucléaire, Ali Bagheri-Kani et de hauts représentants des ministères des Affaires étrangères du Royaume-Uni, de France et d’Allemagne ainsi que de l’UE -mais absence de Robert Malley, envoyé spécial américain pour l’Iran…

Il semble bien que le sommet de Jeddah, en juillet 2022 (réunissant le président Biden, les chefs d’État du CCG, de la Jordanie, d’Irak et de l’Égypte) ait été une forte prise de conscience par le prince héritier saoudien Mohamed Bin Salman (MBS) que la normalisation avec l’Iran était un prérequis à une future normalisation avec Israël, fût-elle progressive. Face à l’impasse du dossier nucléaire, l’administration Biden s’est efforcée à convaincre Riyad d’intégrer les accords d’Abraham (septembre 2020) comme ses voisins du Golfe (Émirats arabes unis et Bahreïn). Mais l’absence de perspective à une solution de la question palestinienne a dissuadé Riyad d’aller au-delà d’un rapprochement informel avec Tel-Aviv: il aurait été exploité par Téhéran pour déstabiliser davantage la monarchie saoudite. Une vision qui n’est pas celle du gouvernement israélien, qui comptait au contraire normaliser avec l’Arabie saoudite pour constituer et renforcer un front israélo-arabe pour faire face à l’Iran.

Un autre paramètre est également à prendre en compte: celui de la nouvelle orientation diplomatique saoudienne avec la priorité dorénavant donnée à la défense de ses intérêts nationaux sur leurs relations privilégiées avec les États-Unis. Une inflexion qui n’a pas échappé à Téhéran… Après la page de son isolement post-affaire Khashoggi, MBS inscrit son action diplomatique dans le cadre du monde multipolaire en gestation; il veut que son pays émerge en tant que puissance moyenne et qu’il puisse rayonner au-delà de son identité de puissance islamique et de Gardien des Lieux Saints. Il a fait part en direction de Téhéran de grands projets d’investissements; les opportunités et les potentialités commerciales sont immenses; il escompte que, de fait, la dynamique économique va créer du liant et un matelas d’intérêts communs de nature à être l’élément clé d’une normalisation durable.

MBS caresse et met en avant des rêves de dimension économique pour engager les nouvelles orientations de sa diplomatie. Faire de son pays un hub économique, technologique et touristique du Proche-Orient, une Vision 2030 avec le slogan «Saudi First»; une plateforme logistique aussi de l’Asie occidentale avec l’aide de la Chine et la route de la soie chère au président Xi Jinping. Et ces objectifs-là passent d’abord par la fin de la guerre au Yémen et l’évitement de toute confrontation militaire entre Israël et l’Iran. C’est sans doute cette grille de lecture à reprendre pour les faits suivants: associé à 1′Organisation de coopération de Shanghaï, intérêt pour adhérer aux BRICS, multiples accords avec la Turquie, Israël, l’Iran et le Qatar, imminente normalisation avec la Syrie probablement au Sommet de la Ligue arabe le 19 mai à Riyad. Les lignes bougent dans 1′équation Arabie saoudite, Chine, Iran…

Par Mustapha Sehimi
Le 23/04/2023 à 09h01