Le terrorisme actuellement actif au Mali, au Niger, au Tchad, au Burkina Faso, au Nigeria, au Cameroun, mais également plus au sud, dans la bande sahélo-guinéenne, est en revanche une donnée contemporaine. Il est né de la guerre civile algérienne quand, en 1998, naquit le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). En 2003, pourchassé par l’armée algérienne, il s’installa dans le nord du Mali. Le 24 janvier 2007, le GSPC annonça qu’il se ralliait à Al-Qaïda et qu’il changeait de nom, devenant AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique).
En arrière-plan, il importe de ne pas perdre de vue que, longtemps cantonné au Sahel, l’islam n’a désormais plus de frontière en Afrique. En raison des migrations intérieures et des conversions, les musulmans sont en effet devenus majoritaires dans nombre de régions du sud, phénomène particulièrement remarquable en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Nigeria. De plus, les jihad africains d’aujourd’hui ne concernent que des musulmans. Sauf sur certaines périphéries (Nigeria, Kenya ou Centrafrique), nous ne sommes en effet pas en présence d’un front musulman face à un front chrétien. Le phénomène que nous observons est celui d’une tentative de prise de contrôle des populations musulmanes africaines par les partisans d’un islam importé d’Orient. Pour ces derniers, l’islam traditionnel ouest-africain doit en effet être «purifié» car il est hérétique pour deux grandes raisons:
1- En Afrique de l’Ouest, au sein d’un sunnisme quasi exclusif, domine le malékisme, école de droit musulman qui, en plus de la sunna et des hadiths, utilise également dans sa jurisprudence la coutume des anciens habitants de Médine. Transposée en Afrique, cette école a donc tout naturellement pris en compte certains éléments de la coutume locale préislamique, ce qui explique l’existence de cet islam festif, thérapeutique et même thaumaturgique que dénoncent les wahhabites.
2- L’islam traditionnel ouest-africain est également largement influencé par le soufisme qui y a pris la forme confrérique. Ainsi, la Tijaniyya, majoritaire au Sénégal et fortement implantée au Cameroun où elle ancre la domination des Peul et des Haoussa. Son fondateur, Ahmed al Tijani, prétendait descendre d’Hassan, le petit-fils du Prophète Mohammed. En 1881, le Prophète en personne lui serait apparu pour lui annoncer qu’il avait été choisi pour être, auprès de lui, l’intercesseur des croyants ayant suivi sa voie («Sois mon vicaire sur terre (…) Je serai ton intercesseur auprès de Dieu»).
Le Prophète lui aurait ensuite enseigné le rituel religieux de la confrérie qu’il lui ordonna de fonder dans une nouvelle voie qu’il lui révéla. Postulé être le dernier porteur de la parole divine, Ahmed al Tijani est donc désigné par ses adeptes sous le nom de «sceau des saints» («khatm al-awliyâ»), celui avec lequel s’achève la transmission du message divin. A Fès, autour de son tombeau, les pèlerins se tournent vers La Mecque pour s’adresser à Allah en demandant à Ahmed al Tijani et au Prophète d’intercéder en leur faveur.
Pour les wahhabites, associer le nom d’Allah et du Prophète à celui qu’ils considèrent comme un «charlatan» est à la fois blasphème et polythéisme car, Allah, dieu unique, méritant Seul prière et invocation, il est interdit de demander à d’autres ce qui ne relève que de Lui. La «purification» de cet islam qu’ils considèrent comme étant «déviant» et «hérétique» est donc pour eux une nécessité passant par le retour au seul Coran et par le refus de toute tradition humaine, par définition polluante du message divin. Tout ce qui n’est pas prescrit dans le Coran doit donc être combattu et c’est pourquoi les mausolées funéraires des saints intercesseurs doivent être rasés, comme cela fut le cas à Tombouctou en 2012.
Les confréries sont quant à elles durement attaquées. Leurs maîtres sont qualifiés de sorciers en raison de leur culte de possession, de l’utilisation des tambours, de la danse, de la croyance aux amulettes et aux esprits. En plus de cela, leur refus des barbes longues, la «factorisation» des prières à la mosquée, le rituel de la mort qui prévoit des funérailles trois jours après le décès, et non dans les heures qui le suivent, les font considérer comme des «hérétiques» par les jihadistes.