14 septembre 2022. À peine installé dans le fauteuil présidentiel, William Samoei Ruto frappe fort. Tout juste investi à la tête du Kenya, il dégaine sa première cartouche diplomatique: un tweet choc annonçant le retrait de la reconnaissance de la pseudo-Rasd (République Arabe Sahraouie Démocratique). Une claque monumentale à l’idéologie séparatiste, et surtout un virage à 180° pour ce géant est-africain, jusque-là allié historique du Polisario. Le message, bref mais tranchant, fait l’effet d’un coup de tonnerre. «Le Kenya annule sa reconnaissance de la Rasd et prend des mesures pour réduire la présence de cette entité dans le pays», avait écrit William Ruto.

À Alger comme à Pretoria, les bastions du séparatisme vacillent. C’est la panique. Les lignes bougent. Et très vite, la contre-offensive s’organise. Le régime kényan d’avant, incarné par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères de l’époque, entre en résistance. Il renie la déclaration présidentielle, tentant d’enrayer la dynamique. Sur le continent, l’Algérie et l’Afrique du Sud montent au front, usent de leur influence, et multiplient les pressions pour faire plier Nairobi. Le tweet du président Ruto reste alors suspendu dans les limbes de la diplomatie: ni enterré, ni concrétisé.
Le flou stratégique aura duré jusqu’à ce lundi 26 mai. Et là, c’est par la voix de Musalia Mudavadi, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Kenya, que la position est clarifiée. Pour de bon. Ce jour-là, à Rabat, les mots ont pesé lourd. Après une réunion stratégique avec Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine, une certitude émerge: ce n’était pas une question de si, mais de quand (et surtout de comment). Le Kenya, pays-pivot en Afrique de l’Est, bascule définitivement dans le camp du soutien clair et assumé à l’intégrité territoriale du Maroc.
Le tout est acté dans un très officiel communiqué conjoint publié à l’issue de la rencontre.
La pseudo-Rasd? Effacée du discours. Oubliée des cartes diplomatiques.
Le Sahara et sa marocanité s’imposent comme une évidence. Et cette évidence, elle est désormais scellée noir sur blanc. «La République du Kenya considère le plan d’autonomie comme la seule approche durable pour résoudre la question du Sahara et entend coopérer avec les États partageant la même vision afin de favoriser sa mise en œuvre», peut-on lire dans la déclaration conjointe. Pas d’ambiguïté. L’appui est franc, assumé, et surtout inscrit dans une dynamique que rien ne semble pouvoir arrêter. La diplomatie kényane va même plus loin. Elle salue «le consensus international croissant» et la dynamique portée par «Sa Majesté le roi Mohammed VI en faveur du plan d’autonomie présenté par le Royaume du Maroc, considéré comme la seule solution crédible et réaliste pour résoudre le différend relatif au Sahara».
Le ton est donné. Le Maroc n’est plus seul à porter sa vision: il est rejoint par ceux qui comptent. Le Kenya entre dans la même ligne diplomatique que Madrid, Paris ou Washington. Une ligne où le réalisme diplomatique prend le pas sur les postures idéologiques.
À elle seule, la déclaration conjointe Maroc-Kenya incarne un véritable basculement: un changement de paradigme dans la façon dont le Royaume tisse ses alliances sur le continent. Un virage stratégique que de plus en plus de pays africains semblent prêts à suivre. Certes, la question du Sahara reste la pierre angulaire. Mais le rapprochement entre Rabat et Nairobi ne s’arrête pas à un alignement diplomatique: il s’inscrit dans une dynamique bien plus vaste, celle d’un partenariat multiforme et assumé. Ce 26 mai 2025, les deux capitales ont mis les bouchées doubles. Le ton est donné: il faut aller vite, très vite. Séance tenante, Maroc et Kenya conviennent d’accélérer «immédiatement» leurs relations économiques, commerciales, notamment dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), et sociales. Les priorités sont claires et ciblées: pêche, agriculture, sécurité alimentaire et engrais, santé, tourisme, énergies renouvelables. Mais ce n’est pas tout. À ce socle s’ajoutent la sécurité, les échanges culturels et religieux, et une coopération humaine renforcée. Le Maroc est perçu comme un partenaire, mais aussi comme modèle. La preuve:
Le tout, «conformément au communiqué conjoint signé à Nairobi le 14 septembre 2022». En clair, les deux parties n’ont pas laissé le temps jouer contre elles. Elles avancent, méthodiquement.
Parmi les actions concrètes annoncées: la réouverture imminente de la liaison aérienne directe entre Casablanca et Nairobi, ainsi que l’accélération de la signature de la convention de non-double imposition. Désormais, cette coopération ne flottera plus dans le déclaratif. Elle aura ses structures, ses échéances, ses forums. Une Commission mixte est instituée, pour devenir un levier structurant de la coopération bilatérale. En parallèle, un Forum des Affaires sera lancé au Maroc, avec un objectif clair: booster les investissements et faire éclore de nouveaux projets.
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Fait marquant, le même jour, les deux ministres ont inauguré l’ambassade du Kenya à Rabat, après soixante ans de relations diplomatiques bilatérales.
Ce partenariat n’a rien d’un simple échange de bons procédés. Il illustre le nouveau visage Sud-Sud à la marocaine: concret, structuré, durable. Un modèle qui, à l’évidence, fait école.
La méthode kényane
S’agissant du Kenya, c’est une véritable percée que réussit le Maroc. Le Kenya est l’une des principales puissances économiques et diplomatiques d’Afrique de l’Est. Avec un PIB de près de 106 milliards de dollars en 2024, il se classe parmi les 10 premières économies du continent. Il est le hub commercial et logistique de la région grâce à son port de Mombasa, l’un des plus importants d’Afrique. Sur le plan diplomatique, le Kenya joue un rôle central dans la médiation des conflits en Afrique (Soudan du Sud, République Démocratique du Congo) et abrite le siège de l’ONU à Nairobi, seule implantation de l’organisation dans l’hémisphère Sud. Il est également membre influent de l’Union africaine et de l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est).
Le Kenya, c’est aussi un soutien ferme au Front Polisario. Nairobi a reconnu la Rasd dès 2005, ce qui avait d’ailleurs entraîné des tensions diplomatiques avec le Maroc. Mais ça, c’était avant. «Les plaques tectoniques bougent depuis des années pour un rapprochement durable avec le Maroc. Cette position a évolué ces dernières années jusqu’en septembre 2022, une année de rupture, suivie d’un travail de fond couronné le lundi 26 mai. Cette évolution s’est faite par étapes, la preuve qu’il s’agit d’une construction faite pour durer. Là, c’est tranché et c’est net», explique Mohamed Bouden, politologue. «Le soutien du Kenya s’aligne aussi sur une décision prise en avril par la Commission de la Défense et des Relations internationales de l’Assemblée nationale, visant à supprimer les références explicites au droit du Sahara occidental à l’autodétermination dans la feuille de route de la politique étrangère du pays pour 2025», précise à ce titre l’influent média kényan The Eastleigh Voice.
Le tout est fait avec art et manière. Prompts à dégainer, Alger comme son protégé, plus groggy que jamais, n’y ont rien trouvé à redire. Le temps des verbiages est révolu. Et la méthode kényane a largement contribué à en sonner doucement le glas. La démarche est «diplomatiquement significative mais formulée avec précaution», commente The Eastleigh Voice. Le média évoque ainsi un «réajustement diplomatique pour Nairobi» qui «avait auparavant accueilli le président de la Rasd, Brahim Ghali, et entretenait des relations officielles avec cette république autoproclamée, une position plus proche de l’Algérie».
«Bien que le Kenya n’ait pas officiellement révoqué sa reconnaissance de la Rasd, ses actions parlent d’elles-mêmes. Avec l’ouverture de l’ambassade à Rabat et les louanges exprimées par Nairobi envers la position du Maroc, le message est clair: le Kenya a changé de cap». Le retrait de la reconnaissance de la pseudo-Rasd est non seulement une question de formalité et de temps, mais un détail.
Un nouveau leadership africain
Le même cap, une autre puissance africaine, présentant à peu près les mêmes caractéristiques, l’avait pris en ce début d’année. Le 7 janvier 2025, la République du Ghana a décidé de suspendre ses relations diplomatiques avec la pseudo «Rasd». Cette décision a été communiquée dans un document officiel du ministère des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale de la République du Ghana, adressé au ministère des Affaires étrangères. Accra avait de ce pas «décidé d’informer immédiatement, à travers les canaux diplomatiques, le gouvernement du Royaume du Maroc, l’Union africaine et l’Organisation des Nations unies, de cette position».
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Là encore, il s’agit d’un poids lourd du continent, aussi puissant économiquement (le Ghana est la deuxième puissance économique de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le Nigeria) qu’historiquement acquis à Alger. Le Ghana avait reconnu la pseudo «Rasd» en 1979. C’est dire!
Signe des temps, l’annonce avait coïncidé avec la date de la prise de fonction officielle du nouveau président ghanéen, John Dramani Mahama, dont la cérémonie d’investiture a eu lieu le même mardi 7 janvier. Autant dire que nous assistons à l’émergence dans le continent d’un nouveau leadership qui n’a que faire des discours passéistes et des idéologies antérieures à la chute du mur de Berlin. Désormais priment l’intérêt national et le développement de l’Afrique. Dans le cas du Kenya comme celui du Ghana, il s’agit pour le politologue Mustapha Sehimi, du couronnement d’un processus de maturation qui est arrivé à son terme. «Après plusieurs alternances politiques, les deux pays atteignent une forme de maturité politique. Leur évolution comme leurs rapports au monde obéissent aujourd’hui à la raison et non à l’idéologie», explique le politologue.
Pays anglophone, la décision du Ghana n’a pas manqué de faire réfléchir un certain nombre d’États africains similaires. Le cas kenyan est épatant. On citera également le Nigeria, pays où le processus de maturation est également en cours. «C’est une dynamique intéressante qui va conduire, et le plus tôt sera le mieux, l’Union africaine à s’interroger sur le fait d’avoir dans ses rangs, en tant que membre, une entité qui constitue un obstacle majeur à la paix, la sécurité et la stabilité dans la région sahélo-saharienne», souligne Sehimi.
La nouvelle position du Kenya est également l’illustration de l’isolement de l’Algérie, aujourd’hui le seul pays arabe à s’opposer à la souveraineté du Maroc sur son Sahara, et l’un des rares dans le continent, avec l’Afrique du Sud. Avec le Kenya, et en tout, 41 pays africains soutiennent désormais le Maroc et sa solution d’une autonomie des provinces méridionales sous souveraineté du Royaume. Le compteur n’est pas près de s’arrêter. La tendance est lourde et, en face, l’Algérie, qui a tenté trois ans durant de faire fléchir Nairobi mais a échoué, n’a pas de plan B, résume l’expert. D’où son silence de mort.











