Cette reconnaissance et cette réhabilitation de la langue et de la culture amazighes a une longue histoire heurtée, voire cabossée, depuis plus de sept décennies. Dès le lendemain de l’Indépendance, il faut bien rappeler que la mouvance berbère -pourtant partie intégrante du mouvement national- a eu des difficultés à se voir reconnaître une place dans le champ politique et partisan national. La création du Mouvement populaire en 1958, sous la houlette du Dr Abdelkrim El Khattib et de Mahjoubi Aherdane, ne s’est pas faite pacifiquement. Elle avait en effet une «odeur de poudre», tant la formation istiqlalienne -le bloc de l’arabité- s’y opposait...
Depuis, la revendication amazighe n’a pas baissé, portée surtout sur des revendications linguistiques et culturelles. Celles-ci n’ont pas été satisfaites. Et il a fallu le Nouveau Règne pour que cette problématique sociétale soit reprise en main de manière conséquente et qu’elle donne lieu à une politique globale, déclinée autour de fortes séquences.
La première d’entre elles est le discours royal prononcé à Ajdir, le 17 octobre 2001. Un acte fondateur. Le Souverain déclare alors en substance: «À travers cet acte, nous voulons tout d’abord exprimer ensemble notre reconnaissance de l’intégralité de notre histoire commune et de notre identité culturelle nationale bâtie autour d’apports multiples et variés. La pluralité des affluents qui ont forgé notre histoire et façonné notre identité est indissociable de l’unité de notre Nation, regroupée autour d’apports multiples et variés, de ses valeurs sacrées et ses fondements intangibles que sont la religion musulmane tolérante et généreuse, la défense de la patrie dans son unité et son intégrité, l’allégeance au Trône et au Roi, et l’attachement à la Monarchie constitutionnelle démocratique et sociale». Et d’ajouter: «Nous voulons aussi affirmer que l’amazighité qui plonge ses racines au plus profond de l’histoire du peuple marocain appartient à tous les Marocains, sans exclusive, et qu’elle ne peut être mise au service de desseins politiques de quelque nature que ce soit…».
Dans le cadre de cette même vision, le pluralisme et la diversité ont été consacrés dans la nouvelle Constitution de 2011. Dans son préambule, la Loi fondamentale précise que le Maroc entend préserver dans sa plénitude et sa diversité son identité nationale, une et indivisible, et que son unité s’est forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie. L’amazigh a été consacré comme langue officielle comme la langue arabe. Et le 3 mai 2023, un communiqué du Cabinet royal a annoncé que le Souverain a décidé d’instaurer le jour de l’An amazigh jour férié national officiel payé. La date retenue par le gouvernement pour la célébration de cette fête est le 14 janvier.
C’est là une réappropriation d’un capital immatériel millénaire, une histoire à revisiter, tant au Maroc qu’en Afrique du Nord d’ailleurs. Elle conduit en effet à remonter au-delà des quatre siècles de présence des civilisations romaine et phénicienne, ainsi que des douze siècles de règnes des dynasties musulmanes qui ont suivi. Elle traduit une réconciliation de tous les Marocains avec leur histoire multimillénaire. Elle fait de la question de l’identité amazighe un facteur de cohésion sociale et d’unité nationale.
Reste l’implémentation de la langue amazighe dans la vie sociale. Voici quelques jours, le 10 janvier courant, s’est tenue à Khémisset une réunion de plusieurs ministres et responsables pour faire le point sur l’état d’avancement de la promotion de la langue amazighe. Une enveloppe de 300 millions de dirhams a été ainsi allouée dans la loi de finances 2024, et sera augmentée à hauteur d’un milliard de dirhams en 2025. Elle s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle feuille de route déclinée autour d’une bonne vingtaine d’autres mesures dans de nombreux domaines (administration, services publics, éducation, justice, culture, médias audiovisuels). De nombreuses conventions ont été signées à cette occasion entre des départements ministériels et des partenaires. Dans le bilan de l’année écoulée, il faut signaler des avancées dans le projet d’intégration de la langue amazighe dans l’administration: 460 agents d’accueil et 63 assistants téléphoniques amazighophones dédiés aux usagers, 63 assistants dans 9 centres d’appel ministériels, traduction en amazigh des débats parlementaires télévisés, 1.684 agents amazighophones en 2024 et 10 sites web officiels d’administrations. Une pleine citoyenneté donc -civique, politique linguistique et culturelle…