C’est une scène dont beaucoup de victimes se souviennent comme si c’était hier. La scène se déroule le 8 décembre 1975, quelques mois après la Marche Verte, pendant que les Musulmans célèbrent, à travers le monde, l’une des plus importantes fêtes de son culte: Aïd El Adha. Des milliers de femmes, d’hommes, d’enfants, de vieillards, de personnes handicapées sont forcés de quitter l’Algérie, expulsées par ce pays où elles vivaient depuis des décennies et y étaient majoritairement nées, écrit le quotidien Al Akhbar dans un dossier consacré à ce douloureux anniversaire paru dans son édition du 11 au 13 décembre.
Nombre d’entre eux, dont des célébrités, se souviennent encore de cet évènement de triste mémoire. Kaima Belouchi, première journaliste sportive marocaine, en fait partie. En ce sinistre jour, se souvient-elle, à sa sortie de l’école, elle était encore en primaire, son père l’attendait devant l’entrée. C’est de sa bouche qu’elle a appris qu’ils partaient pour toujours. C’était le 25 décembre.
De l'école, la petite fille native de la petite localité de Targa, près d’Oran, s’est déplacée avec sa famille au commissariat d’où ils ont été reconduits à la frontière. Fatiha Saadi, la non moins célèbre députée belge d’origine marocaine, garde un souvenir douloureux de cet événement. Son nom et celui des membres de sa famille figuraient bien sur les listes des Marocains objet de cette mesure arbitraire, mais elle était déjà ailleurs, en Belgique avec son père. Elle avait 14 ans quand cela est arrivé. Elle a, depuis, relégué ce souvenir dans un coin de sa mémoire, jusqu’en 2007 où elle a décidé de porter à bras le corps la cause des Marocains expulsés d’Algérie qui, comme son père et sa famille, ont été dépossédés de tous leurs biens.
Mokhtar El Idrissi, né à Mostaganem, poursuit le quotidien, fait lui aussi partie des victimes de l’expulsion abusive des Marocains d’Algérie. Après son expulsion, il a décidé de poursuivre ses études à Oujda avant d’émigrer, plus tard, aux Etats Unis. Aujourd’hui, c’est un expert en télécom sollicité par de nombreuses entreprises américaines. Il se souvient encore de ces jours où, à l’instar des autres familles marocaines, il a été reconduit à la frontière à bord d’un camion de transport de marchandises. Les insultes et injures des policiers et gendarmes algériens résonnent encore dans sa tête. Ils se souviennent comment les autorités de ce pays ont insisté pour séparer les membres d’une même famille, éloignant définitivement les enfants de pères marocains de leurs mères algériennes.
Un autre expulsé, qui s’est fait une réputation mondiale, Mohamed Cherfaoui, a été expulsé alors qu’il suivait des études de physique à l’université, note Al Akhbar. Il s’est rendu à l’interrogatoire avec deux valises pleines de livres. Après avoir été longuement interrogé par les gendarmes, ils lui ont donné le choix de rester ou partir. Il a préféré accompagner son père et a été reconduit à la frontière avec plus de 45.000 familles marocaines expulsées dans des conditions inhumaines. Il a eu des difficultés à s’intégrer. Son domaine d’études, la physique nucléaire, n’existait pas encore au Maroc. Il a préféré émigrer en Europe. Aujourd’hui, il est expert auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Dans son livre «Le sang du mort», Salem Moqran met en lumière la tragédie humaine qu’il a vécue avec sa famille. Âgé alors de 21 ans, précise le quotidien, Salem Moqran, aujourd’hui enseignant de langue française, décrit, dans son ouvrage, la façon dont des milliers de Marocains ont été expulsés de leurs maisons et comment leurs biens ont été spoliés et leurs enfants déplacés soudainement, ce qui a causé pour plusieurs d’entre eux de grands traumatismes psychiques.
Nassim Sbai fait lui aussi partie des nombreux enfants expulsés d’Algérie. Ce producteur et réalisateur marocain a passé une bonne partie de sa vie et de sa carrière au Royaume Uni où il a également fait ses études. Il a pu se rendre plus tard, alors adulte, dans le pays qui l’a refoulé alors qu’il n’était qu’un enfant de père marocain et de mère algérienne. Il garde encore un douloureux souvenir de cet événement et une énorme rancune envers les autorités algériennes qui l’ont privé de son enfance. «Une enfance que j’ai perdue, même si elle était heureuse, à cause des considérations politiques de l’époque», dira-t-il plus tard.
Quant à Miloud Chaouch, c’est un homme qu’on ne présente plus. Depuis des années, il ne cesse de frapper à toutes les portes, y compris à l’étranger, pour défendre les droits des victimes. Aujourd’hui à la tête de l’association des Marocains victimes d’expulsion arbitraire d’Algérie, il a été tiré de sa classe pour être emmené avec ses parents dans un poste de police, puis reconduit à la frontière dans des conditions dramatiques.