Maroc-Turquie : Le PJD a fait dans l'impro'

Le360

La visite du chef du gouvernement turc au Maroc a été gâchée par le boycott du patronat. Un sacré revers pour le chef de file du gouvernement.

Le 03/06/2013 à 22h26, mis à jour le 03/06/2013 à 23h29

Il a fallu attendre la fin de la rencontre maroco-turque de coopération politique et économique à Rabat pour que le chef du gouvernement Abdeillah Benkirane, en présence de son homologue turc Recep Tayyib Erdogan, sauve in extremis ce rendez-vous en reconnaissant l’erreur de "ne pas avoir associé à temps" la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dans la préparation de la rencontre entre les hommes d’affaires des deux pays".

Furieuse de ne pas avoir été associée à la préparation de cette rencontre entre hommes d’affaires marocains et turcs -300 patrons turcs ont accompagné leur Premier ministre à Rabat- la CGEM a opté pour le refus catégorique de participer à cette activité, signifiant à cette occasion qu’une confédération de ce poids au Maroc avait toujours occupé une place privilégiée dans la promotion de l’industrie, du commerce et de l’économie nationale.

Côté Maroc, seuls des représentants d’entreprises marocaines de taille assez modestes ont parlé business avec les Turcs sous l’étiquette d’Amal entreprises, un regroupement proche du Parti justice et développement (PJD), parti au pouvoir de Benkirane.

Lors d’une conférence de presse, le chef du gouvernement a tenu à parler dans la "transparence pour affirmer que la réunion des hommes d’affaires a été préparée par seules deux groupements, l’un marocain l’autre turc" et de fait la CGEM "n’a pas été associée". La transparence voulait-il dire que le gouvernement a commis une grave erreur en mettant à la touche la CGEM, selon les observateurs. La CGEM reste un "partenaire essentiel" pour le gouvernement. "Elle a raison 100% et nous allons œuvrer pour que cette erreur ne se reproduise plus", a souligné Benkirane.Les deux chefs de gouvernement ont présidé auparavant la signature de deux accords de coopération, l’un sur la création d’un "Conseil de haut niveau de coopération stratégique" entre le Maroc et la Turquie et le second sur la coopération en matière de transport maritime et terrestre.

Pour revenir à la question de l’absence de la CGEM, le ministre de l’Industrie, Abdelkader Amara -qui était interrogé par L"360 bien avant la réaction de Benkirane- a estimé que la "décision de la confédération était souveraine". "Ce qui nous intéresse, ce sont les investissements et l’intérêt du pays", a ajouté Amara. La Turquie, selon lui, pèse 50 milliards de dollars comme investissements dans le monde. Et de préciser : "La CGEM est un partenaire et nous aurions aimé qu’elle soit présente avec nous aujourd’hui".

Cafouillage

Visiblement, il y a un "cafouillage quelque part, une marque d’improvisation dans la préparation de cette visite", du chef du gouvernement turc, estiment les observateurs. Lors des travaux de cette édition de la réunion de la haute commission mixte de coopération, Abdelilah Benkirane a insisté sur la "nécessité d’équilibrer la balance commerciale qui est déficitaire" pour le Maroc. Son homologue turc a saisi la balle au bond pour lui répondre que son ministre de l’Economie a reçu des instructions "aujourd’hui même" à Rabat pour régler cette anomalie.

En 2012, le volume global des échanges commerciaux bilatéraux a atteint plus de 14 milliards de dirhams, 10 milliards pour les importations marocaines de la Turquie et 400 milliards représentant les ventes du Maroc à ce pays. "Nos amis turcs ont compris notamment qu’il fallait augmenter le flux de leurs investissements au Maroc qui n’a atteint seulement que 32 millions de dirhams en 2012", selon le ministre Amara. Cette rencontre maroco-turque a marqué le sceau de "l’excellence des relations" entre les deux pays, lié depuis 2006 par un accord de libre échanges. La CGEM veut réguler à cet égard quelques dispositions qui favorisent le commerce turc en direction du Maroc.

La Turquie ne reconnait pas le polisario

Sur le plan politique régional, le chef du gouvernement marocain a appelé la Turquie à développer avec le Maroc un "dialogue fructueux sur le pourtour méditerranéen". "Le Maroc est un pays qui reste attaché à la paix et à la stabilité dans la région", a-t-il affirmé, ajoutant que les deux pays partageaient les mêmes points de vue sur de "nombreux sujets d’intérêt commun".

Benkirane a en outre mis en exergue la politique marocaine en matière de lutte contre le crime organisé, le trafic de drogue et le terrorisme, et a exprimé les préoccupations marocaines face à la situation prévalant au Sahel et dans la région. Pour sa part, son homologue turc a affirmé que cette rencontre mixte constituait une "nouvelle étape" dans la coopération notamment en matière culturelle avec le Maroc, un pays connu par "son histoire, sa civilisation et son rôle qu’il joue" sur le plan international.

Concernant la Syrie, le Premier ministre a été une nouvelle fois très dur à l’égard des dirigeants syriens notamment le président Bachar El Assad. "On est en face d’un génocide. Selon des indications, a-t-il ajouté, le nombre de morts se chiffrerait à 100.000 personnes sans parler des blessés". "La communauté internationale doit agir", selon lui.

A propos des récentes manifestations et des violences qui ont secoué les quatre derniers jours la Turquie, Recep Tayyib Erdogan a fait endosser la responsabilité des émeutes à Istanbul et Ankara à des "partis qui ont perdu les scrutins électoraux. Des extrémistes (de gauche, ndlr) que les urnes en Turquie ont écartés. On n’acceptera jamais cela (manifestations violentes)", a-t-il dit promettant qu’à "son retour le problème sera réglé. La situation est en train de se calmer".

Répondant à une question de LE360 au sujet du Sahara, Erdogan a rappelé que son "pays ne reconnaît" pas le polisario, affirmant que la Turquie "est disposée à aider" auprès de l’Algérie pour que ce problème soit "résolu entre les deux frères". "Nous ferons la même chose pour que les frontières terrestres s’ouvrent ", a conclu le Premier ministre turc qui doit quitter mardi matin Rabat pour Alger, deuxième étape de sa tournée maghrébine qui le conduira également en Tunisie. S'il y a une annonce à retenir lors de cette conférence, c'est celle d'Erdogan. Le chef du gouvernement turc a indiqué que le roi Mohammed VI entamera une visite en Turquie début 2014.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 03/06/2013 à 22h26, mis à jour le 03/06/2013 à 23h29