Les origines historiques de la proposition de partition du Sahara par Staffan de Mistura

Jillali El Adnani.

Jillali El Adnani.

ChroniqueLe plan de partage du Sahara évoqué récemment par l’Envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, remonte à une époque lointaine, marquée par les ambitions coloniales françaises. Vieux de 125 ans, ce plan a été établi en 1900 par Jules Cambon, alors gouverneur général de l’Algérie française.

Le 27/10/2024 à 11h59

La proposition de partage du Sahara, ressuscitée récemment par l’Envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, révèle un profond ancrage dans l’histoire coloniale de la région. En effet, ce plan, vieux de 125 ans, remonte à une époque où l’Afrique du Nord était le théâtre d’ambitions impérialistes européennes, notamment françaises. Ce n’est donc pas dans les années 2000, sous l’impulsion de l’ancien Envoyé personnel de l’ONU, James Baker, à l’ère de Bouteflika, que ce plan fut conçu, mais bien à l’aube du siècle dernier, en 1900, sous les auspices de Jules Cambon, alors gouverneur général de l’Algérie française.

Cambon, un esprit colonial et fervent défenseur de l’expansion française, était un acteur clé de la politique impérialiste de la Troisième République, un fervent partisan de l’Afrique française, qui collaborait étroitement avec le gouvernement de Paris pour encourager l’essor des colonies en Afrique du Nord et en Afrique.

La ligne de partage de Tarfaya: un héritage colonial

Il voyait dans l’établissement de cette ligne de partage un moyen stratégique d’étendre les territoires sous domination française, notamment en Algérie et en Mauritanie. La ligne avait pour but de redessiner la géopolitique de la région en fragmentant le Maroc, dont l’influence et les revendications territoriales posaient un obstacle à l’unification et à l’expansion des colonies françaises. En effet, la création d’une frontière artificielle à Tarfaya permettait de relier directement les territoires algériens et mauritaniens, donnant à la France un accès stratégique à l’Atlantique, tout en obstruant la continuité territoriale du Maroc.

Cette délimitation s’inscrit dans un projet plus vaste de l’époque, celui de bâtir une Afrique française continue, qui ferait de l’Afrique du Nord une véritable extension des intérêts économiques et militaires de la France métropolitaine. À l’époque, la France cherchait à s’imposer comme la puissance dominante de l’Afrique occidentale et saharienne, en créant des structures administratives et militaires visant à contrôler non seulement les territoires, mais aussi les populations locales. Cette ligne de partage devait également favoriser la migration de colons français vers le sud, offrant ainsi un bassin économique plus large et davantage de ressources exploitables, comme les mines, les ports, et les routes commerciales traversant le désert.

Le retour de cette proposition dans les négociations contemporaines montre à quel point les dynamiques coloniales continuent de hanter le débat sur le Sahara. Elle révèle également la complexité des enjeux géopolitiques actuels, où les revendications historiques se mêlent aux nouvelles réalités stratégiques.

Le partage: un instrument de division colonial

La logique du partage territorial au Sahara n’est pas une idée récente, mais un instrument de division qui trouve ses racines dans l’époque coloniale. L’actuel Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara, Staffan de Mistura, doit se confronter à cette réalité historique lorsqu’il aborde la question du Sahara. La proposition de partage émise par Abdelaziz Bouteflika et James Baker s’inscrit dans une continuité idéologique coloniale. L’ambition de doter l’Algérie d’une façade atlantique n’était pas uniquement géographique, mais aussi économique et stratégique. Et toutes les puissances voulaient une part du gâteau.

Elle avait pour objectif de renforcer la mainmise française sur l’Afrique du Nord, en facilitant les échanges commerciaux maritimes et en consolidant le contrôle des voies de communication entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Cette vision expansionniste fut articulée par Augustin Bernard, géographe et théoricien de la colonisation française, dont les écrits témoignent de l’ampleur des ambitions coloniales en Afrique du Nord. Bernard affirmait sans ambiguïté : «En établissant la prépondérance française au Maroc, le but, lointain sans doute, devrait être, semble-t-il, de donner à l’Algérie ses frontières scientifiques, qui ne sont autres que l’Atlantique, et de réaliser sous notre hégémonie l’unité de l’Afrique du Nord, comme l’ont fait tous les peuples qui nous ont précédés [1]». Cette déclaration reflète l’essence même de la politique coloniale française: l’unification forcée de l’Afrique du Nord sous l’égide de la France, avec des frontières redessinées pour servir ses propres intérêts géopolitiques.

[1] Mohammed Maazouzi, L’Algérie et les étapes successives de l’amputation du territoire marocain, Casablanca, Dar al-Kitab, 1976, 244 pages, p. 84.

Par Jillali El Adnani
Le 27/10/2024 à 11h59