Le Maroc et Gaza

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueDans la situation actuelle à Gaza, les positions du Maroc bénéficient d’un capital d’écoute marqué du soutien indéfectible à la cause palestinienne et d’une approche pragmatique et progressive. Le Royaume dispose des atouts pour apporter sa part à un éventuel schéma d’intermédiation. Il serait alors aux côtés d’autres pays comme l’Égypte, le Qatar ou encore l’Arabie saoudite. Avec un avantage particulier: celui de pouvoir s’adresser aussi bien au Hamas et à l’Autorité palestinienne qu’aux Israéliens et aux Américains.

Le 24/10/2023 à 08h59

Sur les manifestations au Maroc, à propos des opérations de l’armée israélienne à Gaza, plusieurs observations sont à faire. Premier trait: la distinction entre une grande manifestation, le 15 octobre à Rabat, et d’autres moins massives, dans d’autres villes du Royaume. La première, qui a eu lieu dans la capitale, a mobilisé environ 10.000 personnes. Elle a été organisée par des associations islamistes (Jeunesse du parti du PJD, dirigé par Abdelilah Benkirane, ancien Chef du gouvernement de 2012 à 2016), des membres de l’Association ismaliste Al Adl Wal Ihssan, des formations de gauche (le Parti socialiste unifié, de Nabila Mounib, le Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste), ainsi que des associations (Association de solidarité avec le peuple palestinien, Association marocaine des droits de l’homme…). Les autres manifestations dans le Royaume, qui ont mobilisé quelque 50.000 personnes, ont été de moindre dimension. Elles ont été provoquées par le bombardement de l’hôpital civil «Al Maamadani» à Gaza, imputé à Israël, mais démenti par Tel-Aviv et le président américain Joe Biden.

L’état d’esprit des Marocains se distingue par la solidarité traditionnelle et continue avec la cause palestinienne. C’est un fait historique, unanime, par-delà les clivages partisans et les différenciations socioéconomiques. C’est en symbiose avec les positions réitérées du roi Mohammed V et du gouvernement marocain. Le Roi est président du Comité Al Qods (Jérusalem), créé par l’Organisation de la coopération islamique (OCI), il apporte aide et assistance avec le financement majoritaire de Bayt Mal Al Qods, dont le siège est à Rabat (soutien humanitaire et social, éducation, santé, développement humain…).

La première réaction officielle date du 7 octobre. Le ministère des Affaires étrangères publie un communiqué qui exprime «sa profonde préoccupation suite au déclenchement des actions militaires» et condamne «les attaques contre les civils, d’où qu’elles viennent». Cette prise de position a été suivie dans la foulée, le 11 octobre, par la réunion d’urgence du Conseil arabe, au Caire, le Maroc présidant depuis le mois de septembre cette instance. Le souci du Royaume était de faire réagir collectivement ce Conseil. Lors du «Sommet de la paix», tenu le 21 octobre dans la capitale égyptienne, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita rappelle que le Royaume demeure attaché à l’option de la paix et à la réalisation de la stabilité, de la prospérité et du progrès pour tous les peuples. Il souligne également la disposition de Rabat, en coordination avec tous les partenaires, à s’engager dans une mobilisation internationale pour mettre fin à la situation tragique et dangereuse à Gaza.

Il déclare aussi que le Maroc souhaite que ce sommet émette cinq messages principaux à l’adresse de la communauté internationale. Le premier est un appel à réduire l’escalade, à cesser l’effusion de sang et les agressions militaires, et à épargner à la région les affres d’un conflit qui risque d’anéantir ce qui reste des chances de paix et de stabilité. Le deuxième a trait au besoin pressant de protéger les civils et de ne pas les prendre pour cible, conformément aux principes du droit international, du droit international humanitaire et des valeurs humaines communes. Le troisième concerne l’obligation de permettre l’acheminement des aides humanitaires, de façon rapide et fluide, et en quantité suffisante au profit de la bande Gaza. Quant au quatrième, il est relatif au rejet de toutes les solutions et idées visant à déplacer ou à déporter les Palestiniens de leur territoire et à mettre en danger la sécurité des pays voisins. Enfin, le dernier message se rapporte à l’impératif de lancer un véritable processus de paix qui mène à la solution à deux États dans les frontières du 4 juin 1967, avec Al Qods-Est (Jérusalem-Est) comme capitale, vivant côte à côte avec l’État d’Israël.

Ce sommet a connu la participation de 30 pays, dont les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, le Canada, l’Espagne, l’Italie et la Turquie, ainsi que des chefs d’État arabes (le président égyptien Sissi, le roi Abdallah de Jordanie), Mahmoud Abbas, président de l’autorité palestinienne et le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Il n’est pas arrivé à publier un communiqué final, faute d’un accord entre les pays occidentaux et les pays arabes sur la qualification terroriste de Hamas…

Devant la nouvelle situation créée, après le 7 octobre, quelles sont les options du Maroc? À cet égard, référence doit être faite à des contraintes qui pèsent de tout leur poids sur le processus de décision. En premier lieu, il y a cette donnée: la solidarité du peuple marocain avec les Palestiniens. Elle est historique et elle est l’une des composantes de ses positions. Les manifestations qui ont eu lieu à Rabat et dans d’autres villes du Royaume en sont l’illustration. Cette donnée-là, SM le Roi en tient compte, d’autant plus, rappelons-le, qu’il est Président du Comité Al Qods. En second lieu, il faut mentionner la nature et la dimension de la normalisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv. C’est là un axe stratégique consolidé, articulé autour de plusieurs composantes: la coopération économique, militaire et sécuritaire; la reconnaissance par Israël de la marocanité des provinces sahariennes du Royaume; le soutien de la diaspora juive à l’international…

Jusqu’où doit aller le curseur de l’équation solidarité avec les Palestiniens, couplée avec les intérêts supérieurs du Maroc? La position du Royaume n’entend pas minorer ces termes de référence, mais se préoccupe plutôt de les optimiser avec le moindre coût politique et diplomatique.

La situation est complexe et peu maîtrisable, compte tenu du fait que l’armée israélienne veut détruire les infrastructures et les centres de commandement de Hamas à Gaza.

Que peut faire le Maroc? Participer à l’aide humanitaire (alimentation, soins médicaux…), étant entendu que Tel-Aviv a fait savoir qu’elle ne s’opposerait pas à cet acte et que Le Caire ne peut qu’y souscrire. Pour ce qui est de la reconstruction de Gaza, c’est là un programme qui n’est pas -encore?- à l’ordre du jour, tant que la situation actuelle de confrontation n’aura pas été dépassée. Reste la problématique de la stabilisation politique et sécuritaire qui commande des préalables: un cessez-le-feu, la levée du blocus, un processus de négociation globale sur la question palestinienne.

Dans la perspective de ces paramètres à réunir, le Maroc dispose des atouts pour apporter sa part à un éventuel schéma d’intermédiation (Ligue arabe? ONU?). Il serait alors aux côtés d’autres pays comme l’Égypte, le Qatar ou encore l’Arabie saoudite. Il a cet avantage particulier: celui de pouvoir s’adresser aussi bien au Hamas et à l’Autorité palestinienne qu’aux Israéliens et aux Américains.

Les positions du Maroc bénéficient d’un capital d’écoute marqué du soutien indéfectible à la cause palestinienne et d’une approche pragmatique et progressive. La négociation entre les protagonistes est nécessaire et incontournable pour parvenir à une solution définitive, durable et globale tant attendue par la communauté internationale.

Le Maroc n’ignore pas cette donnée. Il sera constant dans les positions de sa diplomatie, tant pour ce qui est de la question palestinienne que sur les autres grands dossiers de la paix et de la sécurité régionale et internationale.

Par Mustapha Sehimi
Le 24/10/2023 à 08h59