La France et le Sahara marocain: et maintenant?

Mustapha Sehimi.

ChroniqueBien des interrogations se posent quant aux effets de la décision historique de la France concernant sa position dans la question du Sahara marocain. Sur le plan national, le président Emmanuel Macron a «sanctuarisé» cette position pour les trois ans restants de son mandat. Et à l’international, l’on peut penser que la diplomatie de l’Hexagone va prendre des initiatives allant dans le même sens, dans le cadre des Nations unies comme au sein de l’UE.

Le 01/08/2024 à 15h18

Assurément, un tournant historique que le message du président français, Emmanuel Macron, à SM le Roi, qui coïncide avec le 25ème anniversaire de la Fête du Trône. Plus qu’un message conventionnel conforme aux bons usages diplomatiques: une longue lettre exprimant avec gravité et conviction la nouvelle orientation de Paris sur la question nationale.

Quoi de neuf? L’annonce officielle que, pour la France, «le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine»; que «l’autonomie est un enjeu de sécurité nationale pour le Royaume»; que «l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue»; que «le soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant». Et d’ajouter encore que ce plan «constitue désormais la seule base pour aboutir à une solution politique, juste, durable et négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité». Le constat fait par le locataire de l’Élysée fait état de cette évaluation complémentaire: «Aujourd’hui, un consensus international de plus en plus large se dégage» et «il est temps d’avancer». Cette lettre vient donc acter officiellement une nouvelle politique de la France à l’endroit du Sahara marocain, une rupture même…

Ce n’est pas -pour l’instant?- une reconnaissance formelle de la marocanité de ce territoire récupéré en 1975, comme celle exprimée par les États-Unis avec la décision du président Donald Trump, le 10 décembre 2020. Mais c’est un soutien plus appuyé que la position de Madrid qui qualifie, depuis avril 2022, à l’issue de l’audience royale accordée au Président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez, le plan marocain d’autonomie comme «la base la plus sérieuse» pour le règlement de cette question; ou encore que celle de l’Allemagne, affirmée par la voix de la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, réitérant le 24 juin dernier qu’il était également «une bonne base» et «un très bon fondement» pour la mise en œuvre d’un processus de règlement. D’autres pays, européens, latino-américains et autres ont adopté des positions comparables.

Cela dit, bien des interrogations se posent quant aux effets de cette décision de la France. En interne, l’on a pu observer une division au sein de la classe politique. D’un côté, le soutien notamment des partis de droite et du centre -Les Républicains (LR) avec le président du Sénat, Gérard Larcher, et le parti macronien et d’autres responsables. Dans ce registre, même approbation pour Marine Le Pen, la leader du Rassemblement national (RN), pour qui «le gouvernement français n’a que trop tardé pour reconnaître l’engagement constant du Maroc depuis des décennies dans la stabilisation et la sécurisation du Sahara occidental, partie intégrante du Royaume chérifien». De l’autre, les critiques du Parti communiste français (et de son secrétaire national Fabien Roussel) accusant le chef de l’État d’ouvrir une «crise diplomatique grave», ainsi que celles de la cheffe des Écologistes, Marine Tondelier, dénonçant «une erreur historique grave prise par un homme seul, à la tête d’un gouvernement d’un État sans gouvernement ni majorité». Il faut aussi relever l′indignation du Parti socialiste (PS) et d’une partie des membres de La France Insoumise (LFI) à propos d’ «un geste précipité en plein JO Paris 24, contre le droit international, sans débat, qui est une erreur».

En précisant qu’il «considère que le présent et l′avenir du Sahara occidental s’inscrivent désormais dans le cadre de la souveraineté marocaine», le président Macron entend bien marquer que sa décision n’est pas ponctuelle, conjoncturelle, mais qu’elle traduit «l′intangibilité de la position française». Son mandat de Président ne s’achève qu’en mai 2027. Quelles que soient les sorties de crise de la situation politique actuelle -quels Premier ministre, gouvernement, majorité ?-, le chef de l’État français aura la haute main sur des secteurs régaliens, en particulier la diplomatie et la défense. C’est là un champ d’attributions traditionnel dans la pratique institutionnelle de la Vème République depuis 1958. Dans ces domaines, l’usage, plutôt que la Constitution elle-même, reconnaît la prééminence du Président de la République. C’est dire qu’Emmanuel Macron, dans son message à SM le Roi, a voulu «sanctuariser» pour les trois ans restants de son mandat la position de son pays sur la question du Sahara marocain.

Il a d’ailleurs jugé utile de préciser que son pays «entend agir en cohérence avec cette position à titre national et au niveau international». National donc, comme on l’a relevé, mais également au-delà. Nul doute que d’ici la prochaine reprise de l’Assemblée générale des Nations unies, et surtout au mois d’octobre quand la question nationale figurera de nouveau à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, Paris aura certainement à cœur de prendre telle ou telle initiative. En octobre dernier, l’ambassadeur français, Nicolas de Rivière, avait demandé dans l’explication de vote en faveur de la résolution 2703 qu’«il faut avancer» dans la recherche d’un règlement. Ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, en visite à Rabat le 26 février dernier, avait insisté sur ce point. La lettre du chef d’État français le précise une nouvelle fois: «Il est temps d’avancer». Et l’on peut penser que la diplomatie de ce pays va donc encourager «toutes les parties à se réunir en vue d’un règlement politique, qui est à portée de main».

Au mois d’octobre, la haute instance onusienne va-t-elle délibérer sur la question nationale sans prendre des initiatives? Se bornera-t-elle à reconduire le mandat de la MINURSO pour un an, condamner les violations du cessez-le-feu par les bandes armées du mouvement séparatiste et rappeler les responsabilités de l’Algérie dans la situation actuelle (retrait du processus des tables rondes, paramètres de négociation, enregistrement et identification des «réfugiés» par le HCR)?

Autre domaine où Paris a un champ diplomatique ouvert: celui de l’Union européenne. Au sein de la Commission d’abord, pour faire justice des procédures contestables de certains sur l’exploitation des ressources naturelles dans les provinces méridionales; au sein du Parlement européen ensuite, avec les députés macroniens, LR et RN, pour contrer les manœuvres de certains eurodéputés «activistes» connus pour leur hostilité à l’endroit du Royaume. Enfin, la décision historique du président Macron ne peut pas être sérieusement minorée ni évacuée par certains membres de l’UE, encore en retrait sur la marocanité du Sahara, ainsi que dans d’autres latitudes. Le «consensus international de plus en plus large (qui) se dégage à cet égard», comme il l’a souligné dans sa lettre, ne peut à terme que se développer. Et se consolider…

Par Mustapha Sehimi
Le 01/08/2024 à 15h18