La logique, pour peu qu’elle en soit une, en devient franchement lassante. Fidèle au logiciel «faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais», l’Algérie, nouvellement membre non permanent du Conseil de sécurité, vient d’annoncer la couleur de ce que sera «son» mandat de deux ans: des paroles creuses et une série d’«auto-guili-guilis» tout juste bonnes à satisfaire l’ego hypertrophié de ses dirigeants. «Au pays du monde à l’envers», selon l’expression très juste des auteurs de l’excellent livre «Le Mal algérien», avoir voix au chapitre dans le concert des nations est une consécration en soi. Y compris en y tenant un discours en décalage total avec la littérature habituelle du régime, manifestement destinée uniquement à la consommation intérieure.
Le mercredi 3 janvier, et d’entrée de jeu, Amar Bendjama, ambassadeur représentant de la junte à l’ONU, a donné le ton dans la déclaration inaugurale de son pays «en tant que membre élu au Conseil de sécurité». Que nous apprend-il? Que l’Algérie s’engage à «participer activement à la mission du Conseil, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde». Un peu large comme programme, non? Vous voulez quelque chose davantage «sur mesure»? Il faudra aller jusqu’en mer Rouge, à la nage, où les milices des Houthis font la loi et, au nom de Gaza, bloquent le trafic maritime.
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Dans sa déclaration, Amar Bendjama a livré un exercice de haute voltige de banalités, de déclarations plates et insignifiantes sur «les développements» dans cette région, qui «ont des répercussions significatives sur la sécurité économique et maritime». «Nous reconnaissons, a-t-il précisé, que la mer Rouge constitue un passage essentiel pour le commerce international et concerne environ 15% de l’activité maritime internationale». Et la lumière fut.
Le raisonnement qui a suivi est tout aussi éclairant. «La protection de la navigation en mer Rouge revêt une importance capitale pour le monde entier». Plus loin: «La région affronte actuellement une étape délicate caractérisée par une absence de stabilité et une potentielle extension du conflit régional à n’importe quel moment». Encore plus loin: «Il faut s’éloigner complètement de toute démarche qui pourrait avoir pour conséquence l’exacerbation de la crise au Yémen». Tout simplement fabuleux, et en anglais dans le texte s’il vous plaît. Aligner autant de mots avec fougue et conviction pour ne strictement rien dire, voilà qui mérite une standing ovation.
Lapalissades en série
Mais alors, où sont passés les grands discours sur LE sujet du moment? Sur la situation à Gaza, Bendjama ne pipera mot. Les diatribes habituelles contre «l’entité sioniste» et les envolées lyriques, mais uniquement verbales, pour la cause palestinienne? La junte a décidément jugé que ce n’était ni l’heure ni l’endroit. Alors qu’elle avait bâti sa candidature sur ce genre de sujets qui non seulement ne mangent pas de pain, mais présentent bien. En vrai, l’ambassadeur algérien n’a pas prononcé une seule fois le mot Israël ni le mot Palestine, des cartes gagnantes certes, mais uniquement pour la consommation intérieure, faute de lentilles et de lait en poudre. Dans la cour des grands, on tient sa langue et on brasse du vent. Les lapalissades ont cela d’utile qu’elles sont plus safe. Et c’est à peine si le représentant algérien a osé dire que la situation suppose «le traitement des causes radicales qui entravent la sécurité maritime». Libre à vous d’imaginer ce que c’est: la guerre à Gaza, le réchauffement climatique, ou alors, peut-être, une attaque des Martiens. Faites vos jeux.
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Ce que le porte-parole du régime algérien a tu, lui qui avoue négligemment qu’il venait d’être informé de la situation, c’est que la situation en mer Rouge est le fait des Houthis chiites yéménites, eux-mêmes le fait de l’Iran, allié et ami… de l’Algérie. Même en matière d’improvisation et de bricolage d’un discours de circonstance, un diplomate de la trempe de Bendjama n’est pas censé passer outre. Mais on ne se refait pas. Même vis-à-vis de ses rares amis, et pour ceux qui en doutaient encore, l’Algérie se révèle être un faux jeton et un régime poltron.
On retiendra que pendant ce temps, le président Abdelmadjid Tebboune, candidat à sa propre succession, a reçu pendant trois jours Julius Maada Bio, le président de la Sierra Leone, autre membre non permanent africain qui a rejoint le Conseil de sécurité. «L’Algérie et la Sierra Leone, en leur qualité de membres non permanents du Conseil de sécurité, œuvreront de concert pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, dans le respect des principes de la charte des Nations unies et des règles du droit international», a lancé, curieusement le même 3 janvier, le grand, l’immense Tebboune devant la presse. La face du monde s’en trouvera sans doute changée.
Cherche alliés désespérément
Plus sérieusement, il ne faut pas être très perspicace pour savoir que derrière ce discours, et le théoriquement vaste programme de partenariats économiques entre les deux pays, le régime d’Alger a une seule visée avec l’accueil du président de la Sierra Leone: chercher un allié africain contre l’intégrité territoriale du Maroc. La scène se déroulant cette fois en Algérie et devant des caméras inféodées, le président-candidat s’en est d’ailleurs donné à cœur joie en la matière. Ce que l’Algérie fera, c’est interpeller la communauté internationale, notamment le Conseil de sécurité, à l’effet d’«assumer ses responsabilités historiques, légales et morales en ce qui concerne l’injustice historique infligée au peuple palestinien, en témoigne la situation prévalant actuellement dans la bande de Gaza, en proie à un génocide et à des crimes de guerre inhumains, au vu et au su d’un monde impuissant et incapable de mettre un terme à l’occupation sioniste».
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À Alger, on peut se permettre les diatribes habituelles contre Israël, au Conseil de sécurité on avale sa langue! Mieux, et concernant «la cause sahraouie», le président Tebboune a affirmé que l’Algérie et la Sierra Leone «poursuivront leurs actions dans le sens d’une solution juste et durable à cette question, conformément aux décisions du Conseil de sécurité et de la légalité internationale». Tebboune a dû avaler bien des couleuvres pour consentir à cette déclaration, qui ne mentionne ni les mots décolonisation, ni référendum, usuelles dans les litanies du régime.
Mieux: le régime d’Alger en appelle au respect des résolutions du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental, alors qu’il a rejeté celles de 2021 et 2022 et observé un silence contraint sur celle de 2023. Ne cherchez surtout pas de la cohérence au «pays du monde à l’envers».
On passera sur la consternante et poussive lecture faite par Tebboune de cette déclaration «commune», pour retenir qu’en fonction de l’audience et du besoin du moment, Alger a cette époustouflante capacité de changer de priorités, de discours et même d’axes d’interventions. Sauf que l’enfumage systématique commence sûrement à se dissiper. Car la Sierra Leone n’est pas près d’emboîter le pas à l’Algérie sur le Sahara et le wishful thinking qui sert de politique d’État à Tebboune n’engage finalement que lui.
Pas plus loin que le 4 septembre dernier, et depuis Rabat où il a été reçu par son homologue Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la Sierra Leone, Timothy Musa Kabba, a réitéré le soutien indéfectible de son pays à l’intégrité territoriale du Maroc et au plan d’autonomie comme la seule base pour le règlement du conflit régional autour du Sahara marocain. Pour la petite histoire, la Sierra Leone dispose d’un consulat à Dakhla depuis août 2021. De là à soutenir une quelconque thèse algérienne sur le dossier du Sahara, ou encore une option (martienne pour le coup) de référendum si chère au régime d’Alger, ce n’est pas la mer Rouge, mais l’Océan Atlantique à boire.