De la Somalie à la Slovénie en passant par l’Italie: comment le Sahara obnubile la diplomatie algérienne

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors une conférence de presse conjointe avec la cheffe de l'Exécutif italien à la Villa Doria Pamphili, à Rome, le 23 juillet 2025.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors une conférence de presse conjointe avec la cheffe de l'Exécutif italien à la Villa Doria Pamphili, à Rome, le 23 juillet 2025.. AFP or licensors

L’inauguration en grande pompe du nouveau siège de l’ambassade de Somalie, membre non permanent du Conseil de Sécurité, à Alger n’est pas un simple geste protocolaire. Elle s’inscrit dans la stratégie constante d’Alger visant à mobiliser ses petits réseaux, cajoler le très peu qui lui reste comme partenaires et instrumentaliser chaque relation bilatérale pour servir une cause unique: l’hostilité au Maroc sur la question du Sahara, l’alpha et l’oméga de sa diplomatie. Voici comment.

Le 11/08/2025 à 14h10

Dimanche soir, Alger a déroulé le tapis rouge pour Abdisalam Omar Abdi Ali, ministre somalien des Affaires étrangères. Décorations, discours emphatiques, gestes fraternels… tout y était pour célébrer l’inauguration du nouveau siège de l’ambassade de la République fédérale de Somalie. Officiellement, comme l’explique une longue, trop longue, dépêche de l’agence officielle APS, il s’agissait d’un symbole de coopération et de «solidarité de longue date» entre les deux pays. Les salamalecs étaient nourris et les égards réservés au chef de la diplomatie somalienne dignes des réceptions accordées au plus grands chefs des plus grands des États. Le tout, sous les auspices de la secrétaire d’État algérienne chargée des Affaires africaines, Selma Bakhta Mansouri, tout de blanc et de vert vêtue. Officieusement, l’enjeu est ailleurs.

La Somalie siège actuellement comme membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Or, en octobre prochain, cette instance doit voter une nouvelle résolution et abriter des débats sur la question du Sahara. Pour Alger, qui en est à sa deuxième et dernière année comme membre non permanent du CS, chaque voix compte. Chaque geste diplomatique est calibré pour tenter d’obtenir, sinon un soutien franc, au moins une position favorable à ses thèses. La secrétaire d’État algérienne chargée des Affaires africaines, Selma Bakhta Mansouri, a d’ailleurs insisté sur les «opportunités supplémentaires de concertation et de coordination» qu’offre la double présence au Conseil de sécurité. Derrière la formule, on devine l’objectif: peser sur la résolution à venir.

Cette opération séduction n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une longue tradition diplomatique algérienne: investir temps, énergie et ressources pour contrer le Maroc sur la scène internationale, quitte à reléguer au second plan d’autres enjeux stratégiques. C’est la constante de la politique extérieure d’Alger. Le Sahara n’est pas un dossier parmi d’autres, c’est le dossier.

C’est d’ailleurs la même motivation ayant servi de lit au déplacement en Slovénie du président algérien Abdelmadjid Tebboune himself. Les 12 et 13 mai dernier, le président algérien a en effet effectué une visite d’État à Ljubljana. Objectif principal, et en échange d’un généreux contrat gazier, arracher un semblant de concession…sur le Sahara. Si la Slovénie capte autant l’attention du pouvoir algérien, c’est parce qu’elle a été parmi les rares pays à voter en faveur des amendements mort-nés présentés par l’Algérie à la résolution 2756 adoptée le 31 octobre 2024 par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Une résolution dont la principale nouveauté aura été l’appréciation par les membres de cet organe de la dynamique créée autour de la proposition d’autonomie et de la nécessité de la mettre à profit. Ces amendements n’avaient aucune chance de passer mais leur simple présentation servait l’image d’une Algérie entreprenante, combative et qui tient tête aux grandes puissances. Les amendements du régime d’Alger n’ont pas été pris en considération, ce qui a généré une drama de la part du représentant algérien au Conseil de sécurité, Amar Bendjama, et poussé son pays à ne pas prendre part au vote. Un geste rare qui témoigne de l’échec humiliant du régime d’Alger.

Le Maroc pour seule métrie

Qu’à cela ne tienne. À Ljubljana, après une rencontre avec son homologue slovène, Natasa Pirc Musar, Tebboune a salué «les positions de la Slovénie concernant la question du Sahara occidental, en faveur d’une solution acceptée par les deux parties sous l’égide des Nations unies, qui reconnaît le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination à travers l’organisation d’un référendum». Ceci, alors que le gouvernement slovène avait réaffirmé, le 18 avril, que le plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental «est une base solide pour une solution définitive» à ce différend régional. En Slovénie, une république parlementaire, le pouvoir exécutif, y compris en matière de politique étrangère, est exercé par le chef du gouvernement. D’ailleurs, la visite d’État de Tebboune s’est conclue par une réunion avec le Premier ministre Robert Golob. Et la question du Sahara occidental n’a à aucun moment été évoquée avec le chef de l’exécutif.

Ce décalage révèle toute la fragilité de la lecture algérienne. En réalité, le déplacement du président algérien, présenté comme un succès diplomatique, illustre surtout la stratégie récurrente d’Alger: tenter d’exploiter les nuances de langage pour présenter comme des soutiens fermes ce qui n’est souvent qu’un rappel des positions de principe. La démarche peine à produire des effets tangibles face à la consolidation de l’appui international au plan marocain.

Cela n’empêche pas le régime d’Alger de pousser le bouchon chaque fois plus loin. Quitte à mentir. Et qui de mieux que Tebboune pour faire dire à une dirigeante comme Georgia Meloni, présidente du Conseil des ministres, ce qu’elle n’a jamais dit? À Rome, où il était en visite officielle le 22 juillet dernier, Tebboune s’est, face caméra, permis un «Nous» englobant Georgia Meloni pour affirmer qu’ils auraient «réaffirmé ensemble» un prétendu «soutien commun» au «peuple sahraoui» et à son «droit inaliénable à l’autodétermination» (Voir vidéo à partir de 12:55).

Le communiqué conjoint publié côté italien n’a laissé place à aucune ambiguïté. Ni «peuple sahraoui», ni «droit inaliénable», ni «autodétermination». Juste une phrase standard sur une solution «mutuellement acceptable» dans le cadre de l’ONU. On passera sur le fait que si l’Algérie s’est autant rapprochée de l’Italie, lui cédant à prix bradé le plus gros de ses ressources gazières, c’est en réaction contre la France…et son soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara. Tout ça pour ça.

Reste une grande question: cette manœuvre portera-t-elle ses fruits? Les précédents montrent que la machine diplomatique algérienne, aussi bruyante soit-elle, peine à convertir le décorum et les déclarations en résultats concrets. Les réalités du terrain et le poids croissant des positions marocaines dans les forums internationaux ne se dissipent pas avec des rubans coupés et des sourires devant les caméras. Si chaque action, chaque réception, chaque poignée de main officielle s’inscrit dans une stratégie unique, aussi constante que prévisible, faire du Sahara l’alpha et l’oméga de sa diplomatie, le résultat est tout aussi identique. Le fiasco. Avec ou sans la Somalie, le prochain vote de la résolution onusienne sur le Sahara suivra la même logique. D’autant que parmi les cinq pays membres du Conseil de Sécurité, trois (États-Unis, Royaume-Uni, France) soutiennent officiellement la marocanité du Sahara et le plan d’autonomie comme seule et unique issue. Les deux autres, la Chine comme la Russie, se tâtent sérieusement. Le cas échéant, l’Algérie n’y pourra strictement rien.

Quant à la Somalie, le régime d’Alger espère forcer le destin. Mais il est fort à parier qu’il sera déçu: la Somalie fait partie des pays qui ont ouvert un consulat à Dakhla.

Par Tarik Qattab
Le 11/08/2025 à 14h10