Jusqu’à lundi dernier, je n’avais jamais entendu parler de Mme Laureline Savoye. J’avais grand tort. Il est évident que cette dame est une excellente journaliste puisqu’elle exerce ses talents dans les colonnes du Monde. Quand on franchit le seuil de cette prestigieuse institution, on est adoubé comme ce pâtissier de Bourré (Loir-et-Cher) proclamé ‘meilleur ouvrier de France’ ou ce boulanger parisien qui cuit, dit-on, la meilleure baguette de la planète.
Or donc, lundi dernier, un ami me signale une chaîne Youtube, Le Monde-Afrique, qui vient de diffuser un documentaire produit par Laureline. Et je dois avouer que Laureline m’a, hélas, déçu d’emblée. Le titre de son parvum opus donnait le ton: ‘Maroc: à la conquête du Sahara occidental’. On voit le parti-pris. Il aurait été plus correct d’intituler la chose ‘Le Maroc et la question du Sahara’. Mais non. Tout de suite les grands mots: la conquête! L’affaire est jugée avant même la première image. Ça me rappelle ce juge farfelu du Wild West qui entamait chaque procès en tonnant:
- Faites entrer le condamné!
Laureline, auriez-vous intitulé ‘La France à la conquête de l’Alsace-Lorraine’ un documentaire sur la guerre 14-18?
Dès la 53ème seconde (ô frénésie), on apprend que le droit international est ‘piétiné’ (sic) chaque fois qu’un pays reconnaît la marocanité du Sahara. Et voici qu’apparaît le premier invité de ma’âme Savoye, Bertrand Badie, qui enfonce le clou: tout cela est ‘illégal’. Heureusement, un invité marocain, le professeur X, mouche immédiatement Badie:
- Et le dépeçage du Maroc par les puissances coloniales, la France et l’Espagne, qui l’ont amputé de pans entiers de son territoire historique, dont le Sahara, c’était légal?
Euh… En fait, X n’a pas pu dire cela puisqu’il était absent. Laureline avait oublié d’inviter le moindre pèlerin susceptible d’apporter la contradiction à Badie ou à l’autre invitée, Khadija Mohsen-Finan, qui a fait carrière sur sa détestation du Maroc. De ce fait, la petite bande Laureline-Bertrand-Khadija s’en est donné à cœur joie sans crainte qu’on apporte la moindre nuance à son réquisitoire. C’est ça, un débat?
Juchée sur un escabeau qui menaçait de choir– adieu veau, vache, cochon, couvée…– dame Savoye nous instruisit donc en ressortant le vieux bobard d’un Maroc lorgnant sur les phosphates du Sahara– en ‘oubliant’ que 2/3 des réserves mondiales de phosphate se trouvent au Maroc et que le Sahara ne lui ajoute que 1% de réserves en plus, c’est-à-dire presque rien…
Même chose pour ‘les eaux poissonneuses de l’Atlantique’ évoquées comme motivation des revendications marocaines. D’abord, le Maroc a déjà deux mille kilomètres de côte atlantique sans ses provinces du Sud. C’est même le pays d’Afrique qui a le plus long littoral! Ce n’est pas comme s’il avait besoin du Sahara pour s’ouvrir sur l’Océan– ce qui n’est pas le cas de tous les pays de la région…
Réduire cette question de droit et d’Histoire au phosphate et aux petits poissons est donc une ineptie. Heureusement que l’invité marocain, le professeur X… Ah mais non: il n’était pas là.
«On touche le fond de l’absurdité– ou de l’ignorance ou du mensonge éhonté…– quand la journaliste affirme que les accords de Madrid maintenaient la souveraineté de Madrid sur le Sahara (!) en n’en confiant que l’administration au Maroc et à la Mauritanie. Il est vrai que l’Allemagne est toujours souveraine en Alsace-Lorraine et que la France ne fait qu’en assurer l’administration…»
— Fouad Laroui
À un certain moment, la petit bande parle de ‘chantage diplomatique’. Si l’on comprend bien, lorsque l’Algérie menace ou corrompt le dirigeant d’un pays africain pour qu’il reconnaisse la fantomatique RASD, il n’y a là rien que de très normal; mais lorsque le roi du Maroc dit posément que la question du Sahara est le prisme à travers lequel son pays considère son environnement international, c’est du chantage?
Badie ne connaît pas grand-chose au dossier mais ça ne l’empêche pas, armé de son ignorance, d’assener des phrases définitives du genre:
- Les accords de Madrid (entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie) ne valent rien!
Ah, bon? Et pourquoi donc? De quel droit taxez-vous de ‘rien’ un traité élaboré, signé et ratifié par trois pays souverains, m’sieur Badie? On ne le saura jamais puisqu’après avoir dit ça, le bonhomme disparaît de l’écran. Bel exemple de journalisme scrupuleux et exhaustif… On dit quelque chose de grave, qu’il faudrait prouver, puis on se lève et on s’en va.
On touche le fond de l’absurdité– ou de l’ignorance ou du mensonge éhonté…– quand la journaliste affirme que les accords de Madrid maintenaient la souveraineté de Madrid sur le Sahara (!) en n’en confiant que l’administration au Maroc et à la Mauritanie. Il est vrai que l’Allemagne est toujours souveraine en Alsace-Lorraine et que la France ne fait qu’en assurer l’administration…
On pourrait continuer longtemps comme ça, en pointant par exemple l’utilisation de l’expression ‘peuple sahraoui’ sans définir de quoi on parle, de qui on parle (un habitant de Guelmim ou de Tata fait-il partie de ce ‘peuple’?). Mais en vérité, le simple fait que pas un seul Marocain n’ait été invité à apporter la contradiction à ces valeureux amis du Polisario suffit à discréditer l’exercice. À tout le moins, dame Savoye aurait pu donner la parole à quelqu’un d’objectif. Apparemment, ce n’est pas comme cela qu’on débat sur cette chaîne.
Le documentaire se termine par quelques phrases grommelées par un Badie bougon sur lesquelles il vaut la peine de s’attarder. En gros, il prédit des conséquences tragiques si le conflit était réglé sur la base de la souveraineté marocaine. On se frotte les yeux. Ce professeur spécialiste (paraît-il) des relations internationales préfère que le conflit dure encore un demi-siècle– et que des Sahraouis continuent de croupir dans les camps de Tindouf– plutôt qu’il soit résolu dans une formule ni vainqueur ni vaincu, comme le propose le Maroc. Parce que c’est le Maroc, l’horrible Maroc, qui le propose.
Et dire que l’opinion publique internationale se forme sur la base de ce genre de documentaire bancal, biaisé et contenant de graves erreurs!
Ah Laureline, ma pauv’ dame, on n’est pas aidés…





